Think Culture 2017 : face aux Gafan, « il faut continuer à réguler » (Frédérique Dumas)
« Il y a un objectif sur lequel je sais que tout le monde est d’accord et qui est un modèle de civilisation : la diversité culturelle. Si l’on veut y parvenir, il faut continuer à réguler, d’où par exemple l’exception culturelle, pour qu’un secteur ne subisse plus de rapports de forces dans l’uniformisation », déclare Frédérique Dumas, députée LREM
La République En Marche
et vice-présidente de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation de l’Assemblée nationale, lors du débat « La culture sous l’emprise des Gafan
Google, Apple, Facebook, Amazon, Netflix
: quelles réponses ? » organisé dans le cadre de Think Culture
Événement dédié à l’innovation dans le pilotage de la culture, organisé par News Tank Culture
2017 à l’université Paris-Dauphine le 05/09/2017.
« Cette problématique des Gafan
Google, Apple, Facebook, Amazon, Netflix
ne concerne pas que la culture ; la culture en est le révélateur, mais il y a d’autres enjeux. Si nous ne nous saisissons pas de ces problèmes de souveraineté, nous serons une colonie numérique. Ce qui commence déjà à être le cas car nous ne parvenons pas toujours à peser sur le cours des choses », déclare quant à elle Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission Culture, Éducation et Communication du Sénat. « Je travaille avec les Gafan. (…) On a un souci particulier, c’est YouTube, qui crée une distorsion de concurrence énorme dans la rémunération des œuvres. YouTube ne joue pas les mêmes règles qu’Apple, Spotify ou Deezer », affirme Stéphane Le Tavernier, président du SNEP
Syndicat national de l’édition phonographique
et PDG de Sony Music Entertainment.
News Tank rend compte des échanges.
« À chaque fois, il faut être vigilant et ce sont des combats, mais à chaque fois on les a gagnés » (Frédérique Dumas)
- « Ce que le président de la République Emmanuel Macron fait volontiers, c’est replacer les choses dans leur contexte, comme on l’a vu récemment sur le dialogue social. Même si nous sommes tous plus ou moins d’accord sur le constat, c’est quand même bien de le refaire. Il y a une multiplication des contenus et aussi une multiplication du mode de diffusion, de réception et d’utilisation des contenus, mais aussi une multiplication des services. Une régulation uniquement liée au mode de réception des contenus n’est plus d’actualité. Nous sommes convaincus que cela reste une opportunité qui permet plus de diversité dans la création, plus de diversité dans l’accès et plus de partage dans la valeur, notamment parce que les coûts de distribution physique ont diminué. Mais il reste le danger de voir se reconstituer des monopoles économiques qui vont aboutir à de l’uniformisation et donc à moins de diversité et à une captation de la valeur.
- Il se trouve que, récemment, il y a eu des déclarations d’acteurs - non pas ceux qui sont évoqués ici, mais des acteurs qui sont plus dans les services traditionnels - qui ont remis en cause les fondements même de leurs obligations. J’ai envie que l’on abandonne cette relation entre rareté de la fréquence et contrepartie.
- Il y a un objectif sur lequel je sais que tout le monde est d’accord et qui est un modèle de civilisation : la diversité culturelle. La diversité est le fait de choisir et si on ne peut plus choisir, c’est qu’il n’y a plus de démocratie.
- Si l’on veut y parvenir, il faut continuer à réguler, d’où par exemple l’exception culturelle, pour qu’un secteur ne subisse plus de rapports de forces dans l’uniformisation. Une fois qu’on a rappelé l’objectif de civilisation, il y a des grands principes. Pascal Rogard est à mes côtés et cela fait des années que nous affrontons ensemble l’arrivée de nouveaux entrants. À chaque fois, il faut être vigilant, ce sont des combats, mais à chaque fois on les a gagnés.
- Oui, il y a un optimisme : on peut continuer à réguler si on se met d’accord sur les objectifs, les moyens et les grands principes.
- Les grands principes, ce sont la participation au financement de la création de tous ceux qui diffusent du contenu, l’exposition des contenus - sans laquelle il ne peut pas y avoir de choix - et le partage de la valeur. Et tout cela ne peut tenir que s’il y a de la concurrence loyale, d’où les combats qui sont menés et même gagnés, notamment sur le fait que la régulation ne s’appliquera plus au pays d’origine mais au pays d’émission des services.
- Je vais pas aller plus loin que cela, mais si on se met d’accord sur les objectifs, les moyens et les grands principes, on va plus avoir à travailler sur la manière de les adapter. Je reprends l’exemple du dialogue social : on n’a pas voulu renverser le dialogue social, ni inverser les normes, mais remettre les choses à leur bon niveau. Et là il importe de repenser la régulation entre la France et l’Europe, entre la loi et le règlement ou l’accord professionnel, entre l’approche par récepteur et l’approche par service. Ce sont avec ces principes de réflexion que nous abordons ce sujet à la République en marche. »
Frédérique Dumas, députée des Hauts-de-Seine, vice-présidente de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation de l’Assemblée nationale
Frédérique Dumas
Membre de la commission Culture @ Région Île-de-France (Conseil régional d’Île-de-France)
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Membre de la commission Culture
Députée des Hauts-de-Seine
Vice-présidente de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation
Présidente de la commission Culture
Directrice générale
Fiche n° 20858, créée le 12/01/2017 à 08:57 - MàJ le 17/06/2022 à 18:19
« Si nous ne nous saisissons pas de ces problèmes de souveraineté, nous serons une colonie numérique » (Catherine Morin-Desailly)
- « On pourrait d’emblée accuser les Gafan de tous les maux, mais on doit se poser les bonnes questions et s’interroger sur les fondements de la révolution numérique avec des questions qui ne peuvent pas être éludées. Pourquoi n’existe-t-il aucun groupe européen parmi les Gafan ? Pourquoi des startup qui auraient pu devenir des Gafan comme Dailymotion, ont-elles été exclues de la course ? Pourquoi est-on passif dans la construction du grand marché unique du numérique ? Pourquoi sommes-nous de simples consommateurs sur ce marché ? Pourquoi assiste-t-on à des abandons successifs de souveraineté lorsque l’Éducation nationale contracte avec Google ou lorsque le ministère de l’Intérieur contracte avec une des entreprises américaines les plus proches de Donald Trump, Palantir Technologies ? Je pourrais multiplier les questions à l’infini et il y a une seule réponse : nous n’avons pas de stratégie du numérique, ni en France, ni au niveau européen.
- On doit constater que les Gafan constituent déjà des monopoles parce que dans les années 90, nous n’avons pas su mener des politiques à l’instar des États-Unis. Pas une technologie d’Apple n’a été mise au point sans financement de l’État américain. Des dispositions législatives et fiscales prises aux États-Unis ont soutenu la croissance de ces entreprises. Nous, nous n’avons pas pu engager la révolution numérique. Nous, les bons fournisseurs de contenus, nous sommes laissé dépasser, persuadés que tout naturellement Internet allait assurer la diversité. Nous nous sommes trouvés démunis aux deux bouts de la chaîne de l’écosystème numérique : d’un côté les fournisseurs, les hébergeurs, les créateurs de logiciels et, de l’autre côté, les équipementiers. Et nous qui produisons principalement des contenus, nous sommes quelque part asservis à cette structuration de l’économie numérique.
- Il y a quelques années, il y a eu cette affaire des éditeurs de presse affrontant Google et je regrette que, plutôt que des dispositions structurelles qui auraient pu rétablir un équilibre, l’on se soit contenté de l’aumône de 60 millions d’euros de Google.
- Aujourd’hui Bruno Lemaire entame la démarche courageuse de se rapprocher des Allemands pour résoudre la question de l’optimisation fiscale. La fiscalité ne suffit pas à une stratégie numérique. Aux États-Unis, Barack Obama s’est doté d’une équipe qui a organisé la stratégie numérique américaine, tous ministères confondus. Chez nous, je regrette que l’on recommence la même erreur, sans la moindre stratégie transversale dans le domaine de l’économie, de la protection de nos données ou des règles de la concurrence.
- J’ai rendez-vous dans quelques jours avec Bruno Lemaire pour évoquer la proposition de résolution européenne, que j’ai déposée au Sénat le 05/07/2017 et qui sera présentée par le gouvernement français à Bruxelles, visant à transformer nos règles de concurrence. Aujourd’hui, ces règles vont à l’encontre de la constitution de géants européens sur ce secteur mais sont notoirement insuffisantes face aux abus de position dominante, notamment dans le domaine numérique. Ma proposition de résolution vise à tuer dans l’œuf les abus de position dominante dès lors qu’ils sont constatés.
- Cette problématique des Gafan ne concerne pas que la culture ; la culture en est le révélateur, mais il y a d’autres enjeux. Si nous ne nous saisissons pas de ces problèmes de souveraineté, nous serons une colonie numérique. Ce qui commence déjà à être le cas car nous ne parvenons pas toujours à peser sur le cours des choses.
- Les acteurs de la culture ont mis du temps à comprendre la lame de fond qui arrivait. Cela a commencé par la musique, puis le cinéma. Le monde de la culture s’est mobilisé, on a légiféré mais on voit que cela va très vite. La structuration du monde de la culture n’est plus forcément adaptée à ce qui est en train de se passer. On voit par exemple que, sur la chronologie des médias, il y a des choses à faire évoluer et les parlementaires vont en être saisis prochainement. Les groupes audiovisuels doivent également s’adapter dans leur structure économique mais aussi dans leur offre de contenus par rapport aux nouveaux usages. »
Catherine Morin-Desailly, sénatrice de la Seine-Maritime, présidente de la commission Culture, Éducation et Communication du Sénat
Catherine Morin-Desailly
Présidente @ Association Française des Orchestres (AFO)
Conseillère régionale @ Région Normandie (Conseil régional de Normandie)
Sénatrice @ Sénat
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Conseillère régionale
Sénatrice
Présidente de la commission Culture, Éducation et Communication
Vice-présidente
Présidente
Vice-présidente de la commission des affaires européennes
Vice-présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication
Conseillère municipale
Adjointe au maire, déléguée à la culture, aux manifestations publiques et aux relations internationales
Adjointe au maire en charge des affaires scolaires et de la jeunesse
Fiche n° 1316, créée le 14/01/2014 à 16:02 - MàJ le 06/10/2020 à 20:02
« Il faut redéfinir notre politique culturelle en matière d’intervention publique » (Denis Gravouil)
- « Je ne suis ni pessimiste ni optimiste. Par contre, je suis déterminé sur les sujets qui concernent mon secteur, en constatant des points de convergence avec les visions exprimées ici de responsables politiques. Il y a un consensus politique - au moins depuis la Libération et la mise en place du CNC Centre national du cinéma et de l’image animée - sur le fait que nous avons besoin d’une économie régulée.
- La question posée aujourd’hui est de savoir comment faire participer les Gafan à cette politique sachant que leurs sièges sociaux sont localisés à l’extérieur de la France et que ce sont des géants capitalistiques qui ne vont pas se plier facilement à cette économie régulée.
- Toutes les questions d’emploi, de diversité culturelle, d’expressions diverses des auteurs et des artistes nous sont consubstantielles depuis toujours. On a bien vu à Cannes deux approches sur la question de Netflix et de ses films en compétition. Certains disent qu’il faut protéger les auteurs et la diversité et on constate qu’il s’agit de films d’auteur faits pour être vus sur grand écran. D’autres disent qu’ils n’ont pas respecté la chronologie des médias, ce qui est vrai.
- Ensuite, la question du partage de la valeur est essentielle. On a vu sur la question de la rémunération des artistes sur la diffusion des œuvres en streaming qu’il est difficile de se mettre d’accord entre nous en France. Il faut remettre les choses sur le tapis car ce partage ne laisse pas une grosse part aux auteurs et artistes.
- Nous devons affirmer que notre secteur n’existe que parce qu’il y a une intervention publique. Non pas uniquement un service public, comme celui de la télévision publique, utile en ce qui concerne la diversité, mais une régulation publique. Je suis d’abord avec Frédérique Dumas et Catherine Morin-Desailly sur ce point : il faut redéfinir notre politique culturelle en matière d’intervention publique.
- Ce n’est pas uniquement une question de budget. Il faut savoir aussi comment se fait la médiation, comment se fait la régulation publique. Quelles sont nos positions par rapport à des champions français ou européens ? Quelles obligations met-on en face de ces groupes qui se constituent, avec deux soucis - l’emploi et la diversité des œuvres. Car il y a un souci d’exposition et même de disponibilité des œuvres sur les grandes plateformes, notamment dans le cinéma et la musique, alors que le numérique était justement censé mettre à disposition des œuvres difficiles d’accès. »
Denis Gravouil, secrétaire général de la CGT-Spectacle
Denis Gravouil
En charge des questions emploi, retraites et chômage au bureau confédéral @ Confédération générale du travail (CGT)
Assesseur du Bureau @ Unédic
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En charge des questions emploi, retraites et chômage au bureau confédéral
Assesseur du Bureau
Fiche n° 11471, créée le 21/05/2015 à 18:43 - MàJ le 12/12/2023 à 17:05
« Moi, le contrat YouTube ou le contrat Netflix me conviennent » (Pascal Rogard)
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« Aujourd’hui on change de monde, on change d’échelle. Des acteurs de la télévision, notamment sont aujourd’hui concurrencés par les acteurs de l’Internet liés aux grandes entreprises de télécom.
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Premier point : je ne diabolise pas les Gafan, en termes de droit d’auteur, ils sont corrects, ils ont des contrats et ils respectent leurs contrats. Netflix est venu me voir avant même d’être lancé. En France, il y a un acteur, Canal +, qui ne respecte pas ses contrats. Or les contrats en cours devront être respectés, et Vincent Bolloré me paiera. Nos avons rendez-vous au tribunal de grande instance de Nanterre le 15/09/2017 et cette pratique qui consiste à arrêter de payer les auteurs pour faire baisser les tarifs est inadmissible. Il faut dire non. Il faut renforcer les pouvoirs de sanction du CSA Conseil supérieur de l’audiovisuel pour que ce genre de pratique ne se renouvelle pas.
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Moi, le contrat YouTube ou le contrat Netflix me conviennent : ils payent.
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S’il y a un problème des Gafan, c’est qu’ils sont forts des faiblesses de l’Europe. L’Europe a été incapable d’adapter ses dispositifs fiscaux et ses dispositifs d’aide à la création pour s’adapter à l’univers d’Internet.
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Ils ne fraudent pas : comme il y a une différence entre les pays en termes d’emploi, ils vont se situer dans le pays où il y a le moins d’impôts et le moins de contribution à la culture. Il y a trois pays champions en la matière, le Luxembourg, l’Irlande, les Pays-Bas. Et l’Europe a laissé faire. Il faut maintenant qu’elle s’engage sur le terrain de l’harmonisation fiscale, ce qui semble pour l’instant dans ses intentions.
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En ce qui concerne le soutien à la création, le parlement français a voté une loi instituant un soutien de Netflix et des entreprises de VOD Video On Demand par abonnement au compte de soutien du CNC mais quand on vote quelque chose en France, il ne faut pas croire que ça s’applique : il faut demander l’autorisation à M. Juncker et on attend toujours… Le parlement français a voté une taxe sur la publicité générée par YouTube mais il va falloir aussi demander une autorisation à Bruxelles.
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La doctrine de l’Europe est celle du laisser faire et du laisser passer, et pas celle du soutien à la création. Ces entreprises ont des moyens colossaux, ont les plus importantes dépenses de lobbying aux États-Unis et certainement aussi à Bruxelles. Et c’est plus valorisant pour un fonctionnaire de Bruxelles de rencontrer un dirigeant de Google qu’un représentant d’une vieille société civile d’auteurs ou un producteur de musique.
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C’est à nous d’être forts. Et nous, Français, ne pouvons être forts seuls. Il faut être forts avec les Allemands, avec les Italiens, avec les Espagnols pour avoir la capacité de créer une Europe de la création.
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J’en terminerai sur Netflix. Les services publics sont ceux qui financent le plus la création - dans toute sa diversité - en matière de cinéma et de télévision, dans toute l’Europe. Pourquoi n’y a-t-il pas un grand projet pour faire en sorte que les services publics se regroupent, de la même manière que François Mitterrand et Helmut Kohl ont fait Arte pour avoir une plateforme avec le meilleur de la création européenne ? Car, pour l’instant, les seuls à répondre à Netflix sont Amazon ou HBO. Or, en Europe, nous avons les capacités créatives et industrielles mais il n’y a pas de souffle politique pour donner une ambition à ces services publics. »
Pascal Rogard, directeur général, SACD
Pascal Rogard
Président @ Coalition française pour la diversité culturelle
Directeur général @ Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD)
• Né en 1949
• Chevalier de la Légion d’Honneur
• Commandeur de l’Ordre du Mérite National
• Commandeur des Arts et Lettres
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Président
Directeur général
Délégué général
Fiche n° 62, créée le 30/09/2013 à 18:01 - MàJ le 05/07/2017 à 15:10
« Les patrons des Gafan sont aussi des utopistes qui ont un modèle de société très différent » (Bruno Boutleux)
- « Je voudrais d’abord rebondir sur ce que viens de dire Pascal Rogard. Les artistes sont solidaires des auteurs dans leur combat face à Canal + mais ce combat ne justifie pas que l’on pare des meilleures vertus les opérateurs d’Internet, et notamment YouTube, qui n’est pas encore aujourd’hui un ami des créateurs.
- Par ailleurs, quand Catherine Morin-Desailly évoque le risque de devenir une colonie numérique, j’aimerais juste ajouter un mot : les patrons des Gafan sont des hommes d’affaires incroyables, mais ce sont aussi des utopistes qui ont un modèle de société qui est très différent du modèle d’aujourd’hui, comme le montre le projet de Ziptown que Marc Zuckerberg a dans ses cartons. C’est un modèle de société qui n’est plus démocratique, qui remplace la carte d’électeur par les conditions générales de vente. Il y a dans ces entreprises des modèles politiques qui à terme pourraient peser sur le nôtre.
- Qui aurait pu imaginer qu’une entreprise d’Internet arriverait à déstructurer le marché très éloigné du numérique qui est celui du taxi. Nous avons un risque pour notre modèle de démocratie avec des sociétés dont certaines sont plus puissantes et riches que des états européens.
- Pour en revenir au modèle culturel, les Gafan sont capables de tous les métiers. Partant de l’intermédiation entre le public et la création, ils sont devenus éditeurs, médias, producteurs et, en ce qui concerne la gestion collective, on peut très bien imaginer que pour gérer de la data, ces grands opérateurs s’intéressent à notre secteur qui est devenu un marché.
- La gestion collective des droits des auteurs, des artistes et des producteurs, au plan mondial, c’est 12 milliards d’euros environ, ce qui est un marché intéressant et d’autant plus qu’ils ont développé des savoir-faire, notamment dans le domaine de la data, qui sont parfaitement adaptés à l’exercice de nos métiers.
- Cela n’est pas seulement une crainte c’est aussi une réalité. Google, par l’intermédiaire d’un éditeur de musique, Kobalt, a fait l’acquisition d’une petite société d’auteurs américaine, Amra, société de gestion de droits mécaniques, dont on peut penser qu’elle finira par être activée en tant que telle.
- La concentration entre les mains que quelques rares opérateurs est une mauvaise chose pour la diversité. Notre gestion à nous, Adami, mais aussi à nos homologues françaises, est désintéressée. Mais ce secteur est devenu un secteur attractif pour le monde financier, notamment à cause de la reconnaissance du droit d’auteur dans notre pays, qui nous expose d’une certaine manière à un risque de prédation. Cette prospérité en France, ce n’est pas moins de 26 sociétés différentes pour gérer les droits des auteurs, des producteurs et des interprètes. C’est à peu près la même chose en Belgique et au Canada.
- En effet, il suffisait d’une dispute entre différents membres d’une même catégorie d’ayants-droit pour que l’on crée des sociétés de plus - l’Adami et la Spedidam Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes , la SCPP Société civile des producteurs phonographiques et la SPPF Société civile des producteurs de phonogrammes en France , par exemple. En période de prospérité, c’est une situation tenable. Mais en période de crise, cette division tant au plan français qu’au plan international fait courir des dangers.
- Apple, par exemple, exerce beaucoup de métiers liés à la création, annonce qu’il va investir un milliard de dollars dans la production et pourrait proposer en outre de gérer les droits d’auteur. Face à un secteur morcelé tel que celui des sociétés civiles, il y a un danger.
- Car la gestion désintéressée, contrôlée par les ayants-droit est surtout forte sur les principes - la diversité, l’égalité de traitement des sociétaires…
- La solution qu’est-ce que c’est ? Il faut que nous aussi, nous ayons une stratégie collective au plan national et international. Pas une seule société pour gérer tous les droits mais la capacité d’avoir un back office commun pour la gestion des données en conservant en front office des sociétés qui correspondent aux métiers, aux besoins et à l’histoire de tous les ayants-droit.
- Par exemple, une base mondiale est aujourd’hui développée pour les artistes interprètes. Mais il reste qu’un auteur-compositeur-interprète qui édite et produit ses œuvres a besoin de quatre sociétés civiles. C’est à nous de lui simplifier la vie et de faire en sorte qu’il n’ait qu’une déclaration à faire et ne soit pas séduit par l’éventuelle proposition d’un autre type de société de gestion des droits dont la gestion ne serait pas désintéressée. »
Bruno Boutleux, directeur général de l’Adami
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Directeur du FAIR (Fonds d’action et d’initiative pour le rock)
Entrepreneur de spectacles
Fiche n° 191, créée le 17/10/2013 à 14:19 - MàJ le 05/07/2023 à 13:55
« YouTube crée une distorsion de concurrence énorme dans la rémunération des œuvres » (Stéphane Le Tavernier)
- « Le titre de ce débat évoque l’emprise des Gafan. Si on a un sentiment d’emprise, on a envie de se débattre. C’est à la fois une longue et une courte histoire. Quinze ans c’est l’arrivée d’Internet et le fait que pour une raison technique - la taille des fichiers -, la musique a été la première a être très impactée par Internet. Il a fallu qu’on se débatte et il y a plusieurs façons de se débattre : la bagarre, l’innovation, le changement, l’adaptation, la compréhension du monde autour de nous et qui change.
- Le sentiment qu’ont eu les producteurs, les éditeurs, les auteurs, les artistes de la musique, c’est que pendant quinze ans, on s’est débattu un peu seuls. Nous avons été confrontés à un espace où la régulation n’existait pas. L’Internet de 1995 ne correspond en rien à ce qui existe aujourd’hui.
- On s’est débattu, on l’a fait relativement vite et pris des paris, et notamment le pari du streaming qui était audacieux. Quand un gamin de vingt ans vient vous voir et explique qu’il a construit un site sur lequel les gens viennent écouter la musique qu’ils veulent, soit on attaque ce garçon en justice, soit on cherche une forme contractuelle pour un modèle qu’on espère être un modèle d’avenir. Nous sommes en 2005 et Daniel Marhely vient d’inventer Deezer. Il a un équivalent en Suède, qui s’appelle Daniel Ek, et qui crée Spotify. Il a fallu prendre ces paris.
- Aujourd’hui, je n’ai pas le choix comme producteur ; les artistes que je représente n’ont pas le choix : les Gafan - ou du moins une bonne partie de l’acronyme - sont des outils de travail, des partenaires, des outils de promotion… C’est le paradoxe des Gafan : un artiste aujourd’hui a du mal à se passer de YouTube.
- Je travaille avec les Gafan, avec certains très bien, avec certains on trouve une forme économique, on parvient à rémunérer la création et à injecter de l’argent dans la création. Le principal problème que l’on a aujourd’hui c’est un problème de disparité avec certains acteurs. On a un souci particulier qui est YouTube, qui crée une distorsion de concurrence énorme dans la rémunération des œuvres. YouTube ne joue pas les mêmes règles qu’Apple, Spotify ou Deezer. Car aux termes des régulations de 1995, il a le statut d’hébergeur. Comme il n’est pas responsable éditorial de la musique qu’il diffuse, il n’est pas tenu de la rémunérer.
- Grâce à ces sociétés multinationales, de jeunes artistes peuvent émerger plus rapidement, peuvent se faire connaître plus rapidement, la musique peut voyager plus rapidement. Mais il y a un paradoxe : Internet permet d’exploser mais pas de construire une carrière.
- Et YouTube est en train d’aspirer la valeur de la musique. Mme Morin-Desailly, vous évoquiez l’aumône faite par Google à la presse, je reprends le terme : il y a une hypocrisie énorme de la part des pouvoirs publics en instituant une aumône pour financer la création, il faut autant qu’on peut le faire contraindre certaines sociétés à jouer les mêmes règles que tout le monde.
- 85 % des streams viennent de YouTube aujourd’hui, mais représentent seulement 15 % des revenus des producteurs et des artistes. Or, sans revenus il n’y a pas de possibilité d’investir dans la production nouvelle.
- Et je ne parle pas de la concurrence déloyale que YouTube fait à des sociétés comme Spotify, Deezer ou Qobuz.
- Vous parliez, Pascal Rogard, de votre bon contrat avec YouTube. Je ne sais pas ce qu’est un « bon contrat » avec YouTube. Il n’a jamais été possible de négocier avec cette société. »
Stéphane Le Tavernier, président du SNEP et PDG de Sony Music Entertainment
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Fiche n° 751, créée le 14/11/2013 à 16:17 - MàJ le 20/01/2020 à 12:09