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Think Culture 2017 : « Les élus veulent étrangement maîtriser les lieux déficitaires » (Daniel Colling)

Paris - Actualité n°100787 - Publié le 06/09/2017 à 18:30
©  Seb Lascoux
Propriété publique, gestion privée - ©  Seb Lascoux

« En France, les élus veulent étrangement maîtriser ce qui est déficitaire et laisser au privé ce qui engrange de l’argent. Cette réalité est encore plus évidente dans le spectacle vivant. Pourtant, ce n’est pas une fatalité et une scène nationale pourrait très bien être exploitée dans le cadre d’une DSP délégation de service public entièrement privée, comme certains Zéniths. Le rôle de l'État n’est pas de tout gérer mais d’impulser des politiques. Il ne faut pas qu’il hésite ensuite à déléguer », déclare Daniel Colling, gérant des Zéniths de Paris, Nantes et Toulouse, lors de l’atelier « Propriété publique, gestion privée : quelle efficacité et quelle exigence ? » organisé dans le cadre de Think Culture Événement dédié à l’innovation dans le pilotage de la culture, organisé par News Tank Culture 2017 à l’université Paris-Dauphine le 05/09/2017.

« Le Quartz à Brest est géré par une SEM Société d'économie mixte . Il s’agit d’un modèle très atypique dans le réseau des 70 scènes nationales qui sont pour la plupart des associations ou des EPCC Établissement public de coopération culturelle subventionnés par l'État et les collectivités territoriales. Je n’y vois que des avantages : une trésorerie mutualisée avec les autres établissements de la métropole, la fin de l’entre-soi culturel et un sentiment de sécurité quant à l’argent investi par les pouvoirs publics », indique Matthieu Banvillet, directeur du Quartz - Scène nationale de Brest.

« Culturespaces s’est construit en proposant aux collectivités démunies de s’occuper de leurs biens dans le cadre d’une DSP. Aujourd’hui, nous gérons 12 établissements qui accueillent un total de 3 millions de visiteurs et engendrent 37 M€ de CA chiffre d’affaires par an. Nous sommes arrivés à ces bons résultats grâce à trois axes stratégiques : mettre le visiteur au centre, avoir une rigueur scientifique et une gestion dynamique tant dans la communication que la politique RH Ressources humaines . Mais, les belles années de la DSP sont désormais derrière nous car les collectivités veulent reprendre le contrôle. Nous devons nous renouveler en créant nos propres institutions et en nous développant à l’international », précise Bruno Monnier, président de Culturespaces.

News Tank rend compte des échanges modérés par André Cayot, consultant et ex-conseiller pour les musiques actuelles au ministère de la Culture (1998-2017).

« Les belles années de la DSP délégation de service public sont désormais derrière nous » (Bruno Monnier)

  • Bruno Monnier - ©  D.R.
    « L’idée de créer Culturespaces, il y a 29 ans, m’est venue lorsque j'étais chargé de mission sur la modernisation de la gestion des monuments historiques au cabinet du Secrétaire d'État à la Culture (1986-1988) et que j’ai découvert que la moitié des monuments dans le monde étaient supportés par le privé. 
  • Je me suis inspiré du modèle britannique du National Trust pour proposer des DSP délégation de service public à des institutions qui étaient démunies pour la gestion de leurs biens, notamment les communes ou les instituts publics autonomes comme l’Institut de France qui nous a délégué l’administration du musée Jacquemart-André (Paris 8e).
  • Culturespaces gère aujourd’hui une douzaine d'établissements qui regroupent 200 collaborateurs, accueillent un total de 3 millions de visiteurs et engendrent 37 M€ de CA chiffre d’affaires par an. Nous sommes arrivés à ces bons résultats grâce à trois axes stratégiques : 
    • mettre le visiteur au centre : aujourd’hui cela semble une évidence, mais à l'époque il s’agissait d’une approche novatrice. Nous avons notamment ouvert nos établissements 7 jours sur 7, engagé du personnel parlant plusieurs langues et inclus les audioguides dans le prix du billet - qui est le même que celui des établissements publics.
    • la rigueur scientifique : un facteur indispensable pour que les grandes institutions muséales nous fassent confiance pour les prêts d'œuvres. Nous ne faisons jamais appel à un commissaire généraliste, mais toujours à l’un des deux ou trois meilleurs spécialistes reconnus dans le monde sur un peintre ou une époque. Ce fut le cas cette année pour les expositions Rembrandt intime au musée Jacquemart-André ou Sisley l’impressionniste à l’Hôtel de Caumont à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône).
    • une gestion dynamique : la première grande différence avec le secteur public est que nous misons beaucoup sur la communication puisque 10 % du CA annuel lui est consacré et qu’elle représente jusqu'à 40 % du budget des expositions temporaires. Le deuxième atout est notre politique RH Ressources humaines . Nous maîtrisons nos effectifs et n’employons que des personnels polyvalents formés en histoire de l’art. Ils s’occupent à tour de rôle de la caisse, de la librairie et des visites guidées pour les scolaires, ce qui leur permet de rester motivés
  • De fait, Culturespaces arrive à équilibrer son budget sans aucune subvention publique dans tous ses établissements et même à dégager des excédents ; excédents reversés sous forme de redevances au propriétaire pour financer des travaux de rénovation (à hauteur de 10 % du CA annuel). Notre modèle économique nous permet de financer 120 % de charges alors que certains établissements publics n’en assument que 30 %. 
  • Néanmoins, notre modèle économique n’est pas valable pour les établissements qui accueillent moins de 100 000 visiteurs par an. De plus, les belles années de la DSP sont désormais derrière nous. La plupart des collectivités souhaitent récupérer le contrôle de leurs établissements culturels. Culturespaces doit donc se renouveler. 
  • Nous avons plusieurs pistes de développement : 
    • Créer nos propres établissements : en louant avec des baux de longue durée ou en achetant des édifices comme c’est le cas avec l’Hôtel de Caumont. 
    • Poursuivre dans la voie numérique : nous avons été pionniers dans l’organisation d’expositions temporaires entièrement numériques - non pas au rabais comme Imagine Van Gogh actuellement présentée à la Grande Halle de la Villette (Paris 19e) - mais de véritables spectacles son et lumière aux Carrières de Lumières aux Baux-en-Provence (Bouches-du-Rhône). 
    • Se développer en France et à l’international : sont notamment prévus l’ouverture d’un nouveau lieu Culturespaces dans une usine désaffectée à Paris - entre Nation et République - et la vente de franchises aux États-Unis et en Asie.
  • Les établissements culturels publics sont freinés dans leur gestion par plusieurs problèmes : le statut de fonctionnaire qui entraîne un manque de flexibilité, le poids des syndicats qui empêche l’ouverture de créneaux horaires plus larges dans les musées - alors qu’ils sont possibles dans d’autres structures publiques tels les hôpitaux ou les aéroports, - et enfin l’habitude de nommer un commissaire-scientifique plutôt qu’un manager à la direction générale. » 

 Bruno Monnier, président de Culturespaces

« La gestion du Quartz par une SEM Société d'économie mixte permet une trésorerie mutualisée avec les autres équipements de la métropole de Brest » (Matthieu Banvillet)

  • Matthieu Banvillet - ©  Seb Lascoux
    « Le Quartz à Brest (Finistère) est parmi les plus grandes scènes nationales de France avec 1 500 places, 100 000 spectateurs annuels et un budget de 7 M€. 
  • L'établissement est géré par une SEM Société d'économie mixte  : “Brest’aim”. Il s’agit d’un modèle très atypique dans le réseau des 70 scènes nationales qui sont pour la plupart des associations ou des EPCC Établissement public de coopération culturelle subventionnés par l'État et les collectivités territoriales. C’est un schéma qui n’est pas forcément reproductible et qu’il faut donc envisager à titre d’expérience. 
  • Les actionnaires de “Brest’aim” sont des acteurs publics qui sont présidés par Bretz Métropole, représentée par François Cuillandre, maire de Brest (PS Parti socialiste ). La SEM gère plusieurs établissements, notamment le Parc des expositions de Penfeld à Guilers, Brest Arena ou encore l’aquarium Océanopolis à Brest. Pour ma part, je suis directeur délégué du Quartz - Scène nationale de Brest et du Quartz Brest Congrès.  
  • Seule la scène nationale - Le Phénix à Valenciennes (Nord) a aussi le statut de SEM. Mais l’organisation n’est en rien comparable puisque dans ce cas le directeur de la SEM est aussi le directeur de la scène nationale. 
  • Je ne vois que des avantages à la SEM “Brest’aim” : 
    • une trésorerie mutualisée : notre schéma économique s'équilibre avec l’ensemble des établissements, par exemple une fréquentation accrue à Océanopolis en été qui comble la période plus creuse pour le Quartz. Par ailleurs, la trésorerie des autres scènes nationales, qui sont parfois subventionnées à hauteur de 60 % à 70 %, pâtit des virements tardifs, ce qui ne nous arrive jamais.
    • la fin de l’entre-soi : le comité de direction de la SEM regroupe une personne issue du milieu de la culture, un scientifique pour l’aquarium et un commercial pour Brest Arena et le Parc-expo. Nous apportons chacun nos compétences pour une vision enrichie du développement du territoire. 
    • un sentiment de sécurité : beaucoup de scènes nationales sont dans des situations d’incertitude quant aux subventions accordées chaque année par les collectivités locales. Cela les fragilise. À Bretz, en s’unissant dans la SEM, les établissements publics représentent un budget de 32 M€. L’agglomération ne peut pas nous lâcher aussi facilement. 
  • Il ne faut néanmoins pas se tromper sur le modèle promu par la SEM : les établissements sont solidaires entre eux selon les périodes, mais ils doivent chacun trouver leur propre équilibre financier. Le Parc-expo ou les parkings ne sont pas là pour payer un potentiel déficit de la scène nationale.
  • Les limites de ce modèle peuvent se trouver dans l’organigramme. Il est indispensable que toutes les parties prenantes s’entendent bien pour qu’il fonctionne. Si l’ego du directeur de la scène nationale est surdimensionné - comme c’est souvent le cas - de vives tensions risquent d’apparaître avec le directeur de la SEM. » 

Matthieu Banvillet, directeur du Quartz - Scène nationale de Brest

« Une scène nationale pourrait très bien être exploitée dans le cadre d’une DSP entièrement privée » (Daniel Colling)

  • Daniel Colling - ©  Seb Lascoux
    « La question centrale à poser est : quels choix s’offrent aux collectivités territoriales pour gérer leurs établissements culturels ? J’en vois trois : 
    • un mode d’exploitation directe : qui peut prendre la forme d’une régie municipale - peu adaptée à la gestion d’un établissement culturel car elle ne relie pas les recettes et les dépenses - ou d’un EPCC plus approprié. Dans les deux cas, la collectivité assume le risque financier et la programmation artistique. 
    • un mode d’exploitation indirecte : principalement sur le modèle d’une SEM dans lequel 51 % du capital doit obligatoirement appartenir à une ou des entités publiques. La collectivité donne alors une autonomie de gestion à son établissement mais conserve le risque financier. 
    • un mode d’exploitation privée : là encore deux options existent, une “fausse” DSP contractée avec une association loi 1901 ou une DSP réellement privée qui s’inscrit dans le cadre de la loi Sapin du 29/01/1993. Dans ce dernier exemple, la collectivité fait prendre les risques financiers à un prestataire extérieur. 
  • En France, les élus veulent étrangement maîtriser ce qui est déficitaire et laisser au privé ce qui engrange de l’argent comme c’est le cas des Zéniths. Le mariage de l’argent avec la culture fait peur aux acteurs publics. Et cette réalité est encore plus évidente dans le spectacle vivant. Pourtant, ce n’est pas une fatalité et on pourrait très bien exploiter une scène nationale dans un cadre entièrement privé. 
  • Les Zéniths sont nés dans les années 80 pour accueillir des spectacles vivants de grande envergure, équipements qui faisaient défaut à cette époque en France. Aujourd’hui, ils sont au nombre de 17. Ces salles sont destinées à être “des garages”, des outils au service des professionnels puisqu’ils ont l’interdiction de produire leurs propres spectacles. 
  • La gestion des 17 Zéniths est toujours déléguée par la collectivité qui les accueille, pour la moitié dans le cadre d’une SEM, pour l’autre dans celle d’une DSP totalement privée. 50 % d’entre eux sont excédentaires sur le plan financier et reversent donc des redevances à la collectivité, la moitié suivante reçoit, à l’inverse, de l’argent de la collectivité pour rééquilibrer son budget. 
  • Chaque salle fait donc l’objet d’un appel d’offres. Pour remporter celui de Toulouse (Haute-Garonne) en juillet 2017, j’ai joué la carte de la diversité.
  • Le Zénith de Toulouse privilégiait essentiellement les spectacles de variétés un peu faciles. J’ai proposé un programme pour capter le public étudiant - très nombreux dans la ville - en développant les concerts de musiques actuelles sur de plus petites jauges. 
  • Autre nouveauté : la création d’un “compte de soutien” (un pourcentage du CA mis de côté) pour organiser des activités non lucratives visant à créer du lien sur le territoire. Sont notamment prévues des aides aux producteurs pour amener de jeunes artistes à faire leur première scène et l’organisation d’expositions photographiques liées au spectacle. Nous voulons casser l’image de “cathédrales du show-biz” qu’ont les Zéniths pour les rapprocher des SMAC Scène de musiques actuelles
  • Est-ce que le rôle des pouvoirs publics est de tout gérer ? Non, sinon nous tombons dans un système communiste. Leur rôle est d’impulser des politiques, il ne faut pas qu’ils hésitent à déléguer ensuite la gestion à des sociétés privées. »

Daniel Colling, gérant des Zéniths de Paris et Nantes et exploitant - via sa société Colling & Cie - du Zénith de Toulouse

Bruno Monnier


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Parcours

Fondation Culturespaces
Président
Culturespaces
Président directeur général
Ministère de la Culture
Chargé de mission au cabinet du Secrétaire d’État à la Culture

Fiche n° 14104, créée le 03/11/2015 à 16:24 - MàJ le 25/11/2015 à 15:40

Matthieu Banvillet


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Parcours

Indépendant
Missions d’accompagnement culturelles et artistiques au Pérou
Atelier du Rhin, Centre Dramatique d’Alsace
Administrateur adjoint
Compagnie APSARAS théâtre - Bordeaux
Administrateur

Fiche n° 2324, créée le 26/02/2014 à 13:37 - MàJ le 28/03/2023 à 10:24

Daniel Colling


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Parcours

Zénith de Toulouse
Président
MaMA Festival & Convention
Directeur général
Réseau Printemps
Gérant
Ministère de la Culture
Mission sur le financement de la diversité musicale à l’ère numérique
Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV)
Président
Canal Production
Codirecteur

Fiche n° 119, créée le 02/10/2013 à 15:56 - MàJ le 11/12/2023 à 10:18

©  Seb Lascoux
Propriété publique, gestion privée - ©  Seb Lascoux