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Think Culture 2019 : « Prouver aux banques que nous avons une maîtrise du risque » (Mehdi El Jaï)

Paris - Actualité n°155632 - Publié le 12/09/2019 à 15:30
©  Seb Lascoux
©  Seb Lascoux

« La méfiance des banques vis-à-vis du secteur culturel est justifiée dans le sens où il y a eu régulièrement des faillites retentissantes ces dernières années. Nous sommes dans une économie de prototype et il est donc très compliqué de faire un business plan. Même un artiste qui, à l’apogée de sa carrière, a vendu 300 000 disques peut, cinq ans plus tard, n’en vendre plus que 10 000. Il faut essayer de prouver aux banques que nous avons une compréhension et une maîtrise du risque. Les entrepreneurs culturels doivent mieux comprendre le fonctionnement d’une banque et donc se mettre en conformité avec leurs obligations et attentes pour corriger cette aversion des banques vis-à-vis de notre secteur », déclare Mehdi El Jaï, directeur général de Verycords, lors de la table ronde « Les banques et la culture : au-delà du mécénat, quel rapprochement ? », organisée dans le cadre de la 4e édition de Think Culture à l’université Paris-Dauphine le 10/09/2019.

« Les banquiers regardent de plus en plus le secteur culturel. Mais dans le même temps, ils ont une certaine méconnaissance de ce secteur. Un banquier qui ne comprend pas ce que vous faites, c’est un banquier qui a peur et qui ne mettra jamais un centime sur la table. Cette méconnaissance s’explique aussi par un manque de stratégie nationale des banques vis-à-vis du secteur culturel », ajoute Véronique Gomez, responsable du secteur culturel au Crédit coopératif. Pour Florence Philbert, directrice générale de l’Ifcic Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles , « cette meilleure compréhension passe par un travail de pédagogie auprès des banques et le développement d’outils plus adaptés aux modèles économiques du secteur culturel ».

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« Les banques sont guidées par des ratios prudentiels » (Véronique Gomez)

  • « Dans l’esprit des banques, les producteurs de musique étaient souvent perçus comme des saltimbanques. Le regard sur notre profession a beaucoup évolué, mais il y a 35 ans, lorsque j’ai débuté, il était difficile de trouver des financements auprès des banques.
  • Dans le spectacle vivant, le secteur d’activité de la musique enregistrée est pourtant celle qui a le plus besoin de financement (rémunération des artistes, location du studio, intervention de musiciens additionnels, frais liés à la pochette de l’album…). Mais ce qui rend les banques frileuses c’est qu’entre le lancement de la logique d’investissement et le moment où vous en récoltez les fruits s’écoule une période assez longue d’environ six mois.
  • À ces premiers coûts de production, il faut ajouter les dépenses de marketing, nécessaires pour faire connaître notre production. Ces coûts entraînent forcément un BFR Besoin en fonds de roulement important. Et c’est justement là que les banques peuvent intervenir. »

    Mehdi El Jaï
  • Florence Philbert - ©  Seb Lascoux
    « Il y a une spécificité des modèles économiques du secteur culturel. Cette spécificité c’est l’immatériel, le prototype. Lorsque l’on est dans les secteurs du livre, de la musique, des jeux vidéos ou de la presse, on touche à la propriété intellectuelle. Il est compliqué de valoriser a priori ce que sera l’album d’un artiste ou une collection de mode. On ne sait pas mesurer le succès à l’avance.
  • De plus, le cycle de production dans ces secteurs est très différent de celui de l’industrie classique.
  • Enfin la rémunération des artistes, qui comprend les droits d’auteurs et les droits voisins, est là aussi tout à fait singulière.
  • La frilosité des banques vis-à-vis du secteur culturel n’est pas propre à la France. Elle est à l'œuvre partout en Europe. »

    Florence Philbert
  • « Cette frilosité s’explique aussi par le fait que le secteur bancaire est de plus en plus fortement régulé. Et les banques sont malheureusement guidées par des ratios prudentiels.
  • Lorsque le Crédit coopératif est né, il n’a pas tout de suite été la banque de référence du secteur culturel. Mais défendant les valeurs d’intérêt général, c’est logiquement qu’elle l’est progressivement devenue. Nous avons aussi fait le choix de nous rapprocher de ce secteur par ce que nous avons vu l’enjeu qu’il représente et le poids qu’il a en France - il représente notamment 2,2 % du PIB Produit intérieur brut .
  • De plus en plus d’acteurs culturels nous font confiance parce que nous avons acquis une expertise fine des spécificités du secteur de la culture. Nous parlons aujourd’hui le même langage que nos clients et avons donc pu innover et mettre en place une palette de produits qui répondent à leurs attentes. La plupart du temps, nous sommes vraiment sur du “sur-mesure”. 
  • Nous avons pu acquérir cette expertise en nous entourant de partenaires du secteur (Ifcic Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles , fédérations professionnelles, ministère de la Culture…). »

    Véronique Gomez

« Le fondement de l’Ifcic : faire le pont entre les banques et les acteurs culturels, entre le secteur privé et le secteur public » (Florence Philbert)

  • « Souvent, les acteurs culturels nous sollicitent pour du mécénat et se rendent compte que nous pouvons en fait les accompagner par du crédit bancaire. Le fait est qu’ils ne savent pas toujours ce que nous proposons, ce qui nous oblige à faire auprès d’eux tout un travail de pédagogie. »

    Véronique Gomez
  • « Chez les entreprises culturelles comme chez les banques, il y a une volonté de mieux se comprendre. La création de l’Ifcic va d’ailleurs dans ce sens. 
    Mehdi El Jaï - ©  Seb Lascoux
  • Il y a du côté des banques, sous l’impulsion du Gouvernement et du ministère de la Culture, cette volonté de mieux accompagner les entreprises culturelles. Les banques ont pris conscience de la réalité de nos métiers et rentrent donc plus dans le cœur même de nos activités, au-delà d’une simple lecture du bilan ou du business plan.
  • C’est souvent au moment de la création d’un projet qu’on a le plus besoin de financement. Paradoxalement, c’est à ce moment que l’on est le moins à même de présenter un dossier aux banques. 
  • Aujourd’hui, les banques sont dans une lecture moins formelle et plus “humaine” du dossier. Le parcours de l’entrepreneur ou les projets antérieurs qu’il a pu mener sont des éléments qui viennent colorer positivement un dossier.
  • Par ailleurs, le retournement du marché actuel de la musique enregistrée rend les choses plus faciles. Il y a quelques années, l’industrie de la musique avait perdu 65 % de sa valeur en dix ans. Aujourd’hui l’analyse du risque est différente au niveau des banques.
  • Il y a aussi un effort à faire du côté des entrepreneurs culturels. Dans la musique enregistrée, le SNEP Syndicat national de l'édition phonographique et l’UPFI Union des producteurs phonographiques français indépendants  peuvent les aider à mieux présenter les choses auprès des banques. »

    Mehdi El Jaï
  • « Le fondement de l’Ifcic est bien de faire le pont entre les banques et les acteurs culturels, entre le secteur privé et le secteur public. C’est d’ailleurs pour cela que l’Ifcic a un actionnariat mi-public mi-privé et qu’elle a cette double expertise financière et culturelle. Quand le Gouvernement a créé l’Ifcic, c'était dans cet esprit de faciliter les relations et le dialogue entre les deux mondes.
  • Nous avons deux voies pour faciliter l’accès au financement :
    • La garantie des crédits
    • Le prêt en direct.
  • Dans nos comités d’experts qui examinent les dossiers, nous avons à la fois des acteurs publics et des acteurs privés, des professionnels du monde culturel et du monde financier. Cela permet un véritable dialogue entre tous ces acteurs.
  • Quand on a investissement assez important, on peut parfois avoir la chance d’avoir du soutien public qui “labellise” en quelque sorte le projet. Mais ça ne suffit souvent pas. D’où l’importance de réunir un tour de table. Les soutiens publics sont un effet levier pour aller vers de l’investissement privé ou de l’endettement bancaire. Et l’Ifcic permet de mettre en relation les deux mondes.
  • Il y a différentes phases de développement pour les acteurs et chacune d’elles nécessitent un accompagnement financier particulier. Au moment de la création d’un projet culturel, il y a un besoin plus important de financements publics. À l’inverse, plus l’entreprise atteint sa maturité, plus elle peut avoir recours au financement privé.
  • En mai 2019, le Gouvernement a annoncé la création d’un fonds public d’investissement de 225 M€. Ce fonds s’adresse à des entreprises plutôt assez matures. C’est pourquoi, dans le même temps, l’Ifcic a vu ses prêts participatifs renforcés pour qu’ils soient, en quelque sorte, un marchepied vers le financement en fonds propres.
  • Tout ce continuum de financements est pensé de tel sorte à ce qu’il soit en cohérence avec les réalités et besoins des entreprises du secteur culturel, de la subvention publique à l’investissement privé. »

    Florence Philbert

« Prouver aux banques que nous avons une compréhension et une maîtrise du risque » (Mehdi El Jaï)

  • « Lorsqu’ils nous sollicitent, nos clients sont sur du prévisionnel, ce qui rend les choses dificiles à appréhender. C’est en cela que l’Ifcic peut lever les freins auprès des banques.
  • Concrètement, si nous n‘avions pas la garantie de l’Ifcic sur certains dossiers, nous ne les prendrions pas ou nous demanderions aux dirigeants des entreprises ou présidents de l’association de se porter caution…
  • Par ailleurs, les prêts participatifs que met en place l’Ifcic servent de levier puisque le fait que des experts se soient positionnés en faveur de tel ou tel projet rassurent les banques. Toute la difficulté du financement du secteur culturel réside dans cette appréhension des sûretés.
  • Une banque ne peut pas prêter sans garantie, qui plus est dans un contexte où les taux sont négatifs. Il y a donc une double contrainte pour les banques : elles font peu de gains et prennent beaucoup de risques. »

    Véronique Gomez
  • « Les banques sont de moins en moins frileuses parce qu’elles commencent à mieux comprendre les modèles économiques du secteur culturel.
  • Cette meilleure compréhension passe par un travail de pédagogie que nous devons mener collectivement auprès d’elles.
  • Il nous faut également essayer de développer des outils plus adaptés à ces modèles comme c’est le cas par exemple avec les prêts en direct.
  • Les entrepreneurs culturels doivent, eux, réfléchir à des stratégies qui permettent de diversifier leurs ressources. Dans la musique par exemple, on voit de plus en plus d’acteurs diversifier leurs activités pour pouvoir financer une activité plus risquée. C’est le cas des labels par exemple qui développent une activité de tourneur. »

    Florence Philbert

Véronique Gomez - ©  Seb Lascoux

  • « Les banques regardent de plus en plus le secteur culturel. Mais dans le même temps, elles ont une certaine méconnaissance de ce secteur. Et surtout, elles manquent souvent d’une stratégie nationale vis-à-vis du secteur culturel. Au Crédit coopératif, le secteur culturel fait partie des secteurs prioritaires que nous devons financer. C’est pourquoi il y a dans chaque agence un spécialiste culture.
  • Les clients qui viennent ouvrir un compte au Crédit coopératif nous disent très souvent que dans leur ancienne banque ils avaient un conseiller plutôt sensible à la chose culturelle.
  • Mais lorsque celui-ci est remplacé, le nouveau conseiller n’a pas forcément cette même sensibilité, ne comprend pas le secteur. Et un banquier qui ne comprend pas ce que vous faites, c’est un banquier qui a peur. Et un banquier qui a peur, c’est un banquier qui ne mettra jamais un centime sur la table. »

    Véronique Gomez
  • « La méfiance des banques vis-à-vis du secteur culturel est justifiée dans le sens où il y a eu régulièrement des faillites retentissantes ces dernières années. 
  • Nous sommes dans une économie de prototype et il est donc très compliqué de faire un business plan. Même un artiste qui, à l’apogée de sa carrière, a vendu 300 000 disques peut, cinq ans plus tard, n’en vendre plus que 10 000.
  • Notre business plan est basé sur une espérance : si ça se passe bien, on va “exploser les compteurs”. À l’inverse, si ça se passe mal, ça devient très compliqué. Essayons donc de trouver un juste milieu et de prouver aux banques que nous avons une compréhension et, surtout, une maîtrise du risque.
  • La maîtrise du risque passe déjà par une réduction du catalogue. Si vous avez une dizaine de projets, c’est un peu moins risqué que d’en avoir quinze sur lesquels vous êtes dans le rouge.
  • Les entrepreneurs culturels doivent mieux comprendre le fonctionnement d’une banque et donc se mettre en conformité avec leurs obligations et attentes pour corriger cette aversion des banques vis-à-vis de notre secteur.
  • À la SCPP Société civile des producteurs phonographiques , nous avons des adhérents très différents : association loi 1901, SARL Société à responsabilité limitée , SAS Société par actions simplifiée , artistes auto-entrepreneurs… Ce qui peut être frappant, c’est de voir certains dire que “l’artistique prime avant tout”. Or, ce n’est pas un service à rendre que de les conforter dans cette idée. Il faut que les entrepreneurs culturels apprennent à faire un business plan, à projeter leurs entreprises. »

    Mehdi El Jaï

Mehdi El Jaï


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Parcours

Verycords
Directeur général
XIII Bis Records
Directeur général

Fiche n° 16291, créée le 27/02/2016 à 15:17 - MàJ le 07/02/2024 à 08:57

Véronique Gomez


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Parcours

Crédit Coopératif
Responsable du secteur culturel
Crédit Coopératif
Directrice adjointe d’une agence bancaire
Le Divan du monde et Glaz’art
Administratrice de salles de spectacles

Établissement & diplôme

Université Paris 2 - Panthéon-Assas
DES Économie

Fiche n° 27574, créée le 07/12/2017 à 18:07 - MàJ le 30/05/2018 à 17:21

Florence Philbert


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Parcours

Ministère de la Culture
Directrice générale des médias et des industries culturelles
Cour des comptes
Conseillère maître
Chef du Gouvernement - Hôtel de Matignon
Conseillère culture, communication et régulation numérique (cheffe de pôle)
Cabinet du Premier ministre
Conseillère Comptes publics auprès de Manuel Valls
Ministère délégué chargé du budget
Directrice adjointe de cabinet
Ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités
Conseillère au cabinet de Michel Sapin
Cour des comptes
Rapporteure
Ville de Paris
Directrice du cabinet de l’adjoint en charge des finances et des SEM
Ville de Paris
Direction des finances

Établissement & diplôme

Institut national du service public (INSP)
Diplômée de la promotion Léopold Sédar Senghor

Fiche n° 12008, créée le 16/06/2015 à 10:07 - MàJ le 12/07/2023 à 09:34

©  Seb Lascoux
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