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« Sans tournée, la durée de vie d’un album est réduite à un mois » (M. Dassieu, Félin)

News Tank Culture - Paris - Entretien n°212494 - Publié le 26/03/2021 à 10:30
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©  D.R.
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« À la Félin Fédération nationale des labels et distributeurs indépendants , que ce soit pour les labels ou les distributeurs que nous représentons, le physique compte encore énormément. Or, ce marché a encore chuté en 2020, et plus fortement (de 20 %) du fait des différents confinements (…). La crise actuelle a par ailleurs fait apparaître des dysfonctionnements de marché. Les labels que nous représentons sont des acteurs qui dépendent du live pour la visibilité des projets qu’ils sortent. Or, le live étant à l’arrêt, nous n’avons plus aucun levier pour promouvoir nos artistes. N’ayant historiquement pas accès aux radios ni aux télés, ou très peu, il est difficile d’exister pendant la période que nous vivons. Et ces déséquilibres se retrouvent sur le digital, où les principaux acteurs parviennent plus facilement à tirer leur épingle du jeu parce qu’ils ont de la visibilité dans les playlists. Le fossé, donc, se creuse entre les gros et les petits », déclare Mathieu Dassieu Président @ Fédération nationale des labels et distributeurs indépendants (FELIN)
, président de la Félin, dans un entretien à News Tank le 26/03/2021.

Mathieu Dassieu revient par ailleurs sur l’initiative lancée par la Région Nouvelle-Aquitaine, à laquelle la Félin s’est associée, visant à demander la mise en place d’un groupe de travail avec Radio France et France Télévisions pour améliorer la présence à l’antenne des artistes et labels des territoires. « Que les artistes des labels indépendants n’aient pas accès aux radios et télévisions du service public est anormal. Cela a toujours été difficile pour eux mais la période que l’on vit souligne encore plus cette injustice criante entre grands et petits labels », indique-t-il, prônant des accords « contraignants » avec le service public afin de « pénétrer des playlists qui ne nous sont aujourd’hui pas accessibles au niveau national ».

Il évoque, également, le sujet du user centric Modèle de répartition des revenus du streaming basé sur la consommation de chaque abonné , après la publication du rapport du CNM Centre national de la musique le 27/01/2021. « Ce rapport dit que les grands gagnants du user centric seraient des esthétiques telles que le blues, le rock, le classique… Cela va, me semble-t-il, dans le sens d’une meilleure prise en compte de la diversité des répertoires. Cette diversité n’est pas défendue par le mécanisme de répartition actuel (…). Actuellement, nos catalogues n’ont pas la rémunération correspondant à leur succès. Et encore une fois, les gros acteurs s’en sortent mieux que les petits à cause d’une distorsion de marché », indique-t-il.

Mathieu Dassieu aborde, enfin, les conséquences de l’arrêt de la CJUE Cour de justice de l’Union européenne sur les producteurs indépendants et les pistes sur le financement futur du CNM.


Vous avez pris la présidence de la Félin en novembre 2020, dans un contexte de pandémie qui affecte lourdement les acteurs de la culture. Le secteur de la musique enregistrée semble moins impacté que d’autres, comme le montrent les chiffres du SNEP Syndicat national de l’édition phonographique publiés le 16/03/2021. Est-ce le cas pour les labels et distributeurs indépendants de la Félin ?

Le bilan du SNEP montre qu’en 2020, le marché est stable : pour une année de pandémie, c’est assez remarquable. Cela est principalement lié à la hausse de 18 % de la musique en ligne, progression qui profite essentiellement aux gros acteurs du marché. La réalité pour les structures indépendantes est relativement différente. À la Félin, que ce soit pour les labels ou les distributeurs que nous représentons, le physique compte encore énormément. Or, ce marché a encore chuté en 2020, et plus fortement (de 20 %) du fait des différents confinements qui se sont notamment traduits par la fermeture des magasins de disques. Donc l’année a été difficile et les incertitudes sont encore nombreuses.

Cette crise a par ailleurs fait apparaître des dysfonctionnements de marché. Les labels que nous représentons sont des acteurs qui dépendent du live pour la visibilité des projets qu’ils sortent. Or, le live étant à l’arrêt, nous n’avons plus aucun levier pour promouvoir nos artistes. N’ayant historiquement pas accès aux radios ni aux télés, ou très peu, il est difficile d’exister pendant la période que nous vivons. Et ces déséquilibres se retrouvent sur le digital, où les principaux acteurs parviennent plus facilement à tirer leur épingle du jeu parce qu’ils ont de la visibilité dans les playlists. Le fossé, donc, se creuse entre les gros et les petits.

Comment les labels se sont-ils organisés face à l’absence du live ?

On a vu tout type de réactions. Certains labels ont choisi de stopper net leurs sorties et d’attendre, d’autres ont décidé de les décaler, d’autres, encore, ont fait le choix de continuer à sortir des projets. Mon label, Baco Music, fait partie de cette dernière catégorie. Nous l’avons fait pour ne pas nous retrouver avec trop d’albums à sortir en même temps. Et puis cela s’est fait en accord avec les artistes, qui eux-mêmes ne voulaient pas que leur master reste trop longtemps dans le disque dur de l’ordinateur. Il n’y pas de sens à conserver trop longtemps un album dans un tiroir. Mais le sortir, c’est aussi prendre le risque de passer inaperçu, pour les raisons que j’évoquais plus haut. Ainsi, la durée de vie d’un album, qui peut aller en temps normal jusqu’à un an, est, en temps de Covid et sans tournée, réduite à un mois.

Il n’y pas de sens à conserver trop longtemps un album dans un tiroir. Mais le sortir, c’est aussi prendre le risque de passer inaperçu »

Et puis l’arrêt du live, c’est aussi l’arrêt des recettes liées au merchandising, que les indépendants ont su développer au fil des années et qui représentaient une bouffée d’air frais.

Les labels indépendants n’ont absolument pas profité de la croissance du streaming, y compris pendant cette année particulière ? 

Le streaming, qui était marginal il y a encore quelques années, est devenu une réalité et fait partie de notre économie. Chaque année, sa part augmente. Mais il y a une très grande diversité de labels au sein de la Félin. Le mien, par exemple, occupe une niche assez précise : les musiques jamaïcaines et la world music. Et ce ne sont pas celles qui tirent le mieux leur épingle du jeu avec les règles qui régissent actuellement le streaming.

Le sujet du user centric Modèle de répartition des revenus du streaming basé sur la consommation de chaque abonné est essentiel. Actuellement, nos catalogues n’ont pas la rémunération correspondant à leur succès. Et encore une fois, nous sommes dans un secteur du digital, en plein développement, où se développent les mêmes biais que d’habitude : les gros acteurs s’en sortent mieux que les petits à cause d’une distorsion de marché.

Le rapport du CNM Centre national de la musique sur le user centric reste assez prudent quant à l’impact effectif, en valeur absolue, que le changement de système pourrait occasionner. Qu’en pensez-vous ?

Le rapport dit tout de même que les grands gagnants du user centric seraient des esthétiques telles que le blues, le rock, le classique… Cela va, me semble-t-il, dans le sens d’une meilleure prise en compte de la diversité des répertoires, qui nous est chère à la Félin. Cette diversité n’est pas défendue par le mécanisme de répartition actuel, qui favorise en premier lieu les blockbusters et les musiques urbaines.

Dans le streaming, les gros acteurs s’en sortent mieux que les petits à cause d’une distorsion de marché »

Toutefois, en effet, le rapport reste mesuré quant à l’impact du user centric en valeur absolue sur les artistes qui sont censés en profiter. Certains s’en sont d’ailleurs servi pour appeler à un statu quo sur les règles de répartitions. Mais les choses sont bien plus complexes. Quoi qu’il en soit, la règle qui régit le user centric nous semble bien plus logique : un consommateur rémunère, avec son abonnement, les artistes qu’il a effectivement écoutés. Le mécanisme actuel entretient un système où les plus gros continuent de grossir tandis que les plus petits sont à la peine. Malgré les incertitudes sur ce que pourrait être la rémunération avec ce nouveau système, le user centric est, sur le principe, bien plus vertueux.

Parviendra-t-on à l’instaurer ? Cela pourrait être le cas si l’une des trois majors finissait par se positionner en faveur de ce nouveau mode de répartition. Après tout, elles n’ont pas que des artistes de musiques urbaines dans leurs cataloques, et dans un souci d’équité pour les artistes, et aussi peut-être d’image, peut-être peuvent-elles finir par y venir. Et cela accélérerait le mouvement, c’est évident.

Sur l’exposition de la musique dans les médias, la Félin s’est associée à la Région Nouvelle-Aquitaine pour demander la mise en place d’un groupe de travail avec Radio France et France TV, pour améliorer la présence à l’antenne des artistes et labels des territoires. En quoi consisterait ce groupe de travail ?

Que les artistes des labels indépendants n’aient pas accès aux radios et télévisions du service public est anormal. Cela a toujours été difficile pour eux mais, comme je le disais auparavant, la période que l’on vit souligne encore plus cette injustice criante entre grands et petits labels. L’objectif est simplement de pouvoir pénétrer des playlists qui ne nous sont aujourd’hui pas accessibles au niveau national.

Je refuse de croire que la production de centaines de labels indépendants est privée d’antenne parce qu’elle ne serait pas au niveau »

À ce titre, nous avons étudié la playlist de France Inter ces derniers mois : sur les 82 titres en rotation, seuls 5 étaient issus de labels TPE Très petites entreprises . Tout le reste provenait de gros acteurs. Et l’on parle là d’une radio de service public ! Pire, sur France Bleu, une radio dont la spécificité est l’ancrage territorial, c’est un zéro pointé : aucun titre d’indépendants TPE dans leur dernière playlist ! Il est donc nécessaire de mettre en place des accords entre le service public (Radio France et France Télévisions) et la sphère indépendante. Mais il faut des accords contraignants. Ce qui a été signé entre Radio France et la SPPF Société civile des producteurs de phonogrammes en France ne met, à mon sens, pas vraiment la pression sur les programmateurs.

Je refuse de croire que la production de centaines de labels indépendants est privée d’antenne parce qu’elle ne serait pas au niveau… N’oublions pas que les labels dépensent parfois des sommes très importantes en choisissant un projet qu’ils décident de pousser à fond, en pensant qu’il y a un potentiel important au niveau national. Ils s’entourent d’attachés de presse qui sont capables d’aller le défendre, et qui le plus souvent se heurtent à un mur. Cela crée de la déception.

Le SNEP a, lui, passé un accord avec le groupe M6 pour une meilleure exposition de la musique sur les chaînes M6 et W9, accord qui doit bénéficier à « la production musicale des labels dans toute leur diversité ». Cela va-t-il dans le bon sens ?

Nous avons suivi avec intérêt la signature de l’accord signé entre le SNEP et M6. Nos membres aussi : ils n’ont pas tardé à saisir les programmateurs, dont ils attendent la réponse… Évidemment, cet accord et son contenu vont dans le bon sens, il faut maintenant voir s’ils auront un réel impact sur l’exposition de la diversité des répertoires et des labels.

Le lancement de la chaîne Culturebox répond-il davantage à vos attentes ?

Là aussi, nous accueillons de manière très positive l’arrivée de cette chaîne. L’exposition de la musique à la télévision est devenue tellement faible qu’il serait même dommage que Culturebox, prévue pour être éphémère, disparaisse à la fin du Covid. Quant à notre appréciation du contenu, nous sommes dans l’attente des programmations à venir. Pour l’instant, on voit qu’il s’agit surtout de programmes diffusés par le passé sur France 4 ou France Ô. Cela est certainement dû à des contraintes budgétaires, qui ne leur permettent pas nécessairement d’acheter de nouveaux programmes.

À la pandémie et ses conséquences pour les labels s’ajoute l’arrêt de la CJUE Cour de justice de l’Union européenne du 08/09/2020, qui ampute les OGC Organisme de gestion collective de droits voisins de 25 M€ d’aides à la création. Quelles vont être les conséquences pour vos membres ?

L’arrêt de la CJUE remet en cause les relations que nous entretenions avec certains OGC. L'Adami Société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes , notamment, nous a indiqué vouloir repositionner ses aides sur les artistes-entrepreneurs. Nous perdons un partenaire historique, même si nous comprenons leur choix, lié aux problématiques de financement. La SPPF et la SCPP Société civile des producteurs phonographiques sont également impactées par cet arrêt, et ont réduit la voilure. Nous avons perdu énormément de leviers de financement. Ainsi, les aides annoncées par le CNM Centre national de la musique le 15/03/2021 vont dans le bon sens, mais il faut que cela aille vite, car le problème du financement de la production est central.

L’Adami nous a indiqué vouloir repositionner ses aides sur les artistes-entrepreneurs : nous perdons un partenaire historique »

Produire aujourd’hui est de plus en plus compliqué. Même si l’on dit souvent que l’artiste-entrepreneur est le modèle d’avenir, il est pourtant assez évident que tous les artistes n’ont pas envie de devenir entrepreneurs. Tous ne sont pas capables de produire chez eux, de manière autonome. Il faut arrêter de laisser croire qu’un artiste peut se passer d’un label.

Le SNEP a formulé une proposition pour le financement du CNM Centre national de la musique sur le long terme, consistant à créer une taxe sur les matériels audios (casques, écouteurs, enceintes), piste qu’il juge plus fiable que le fait de taxer les plateformes. Qu’en pensez-vous ?

Cela fait partie des idées les plus recevables quant au financement du CNM. Mais créer une taxe est toujours compliqué, et c’est Bercy qui a le dernier mot sur ces sujets. Sur la piste consistant à taxer les plateformes, on doit tout de même pouvoir se poser la question. Le problème des plateformes de streaming, pour le moment, c’est que leur modèle économique, pour la plupart, n’est pas à l’équilibre. Mais dans 5 à 10 ans, quand elles compteront encore plusieurs millions d’abonnés en plus dans le monde, peut-être qu’une taxation aura du sens. De toute façon, il va bien falloir trouver une source de financement pérenne pour le CNM, et lui donner les moyens de ses ambitions. Si on veut une machine puissante, capable de doter l’industrie des moyens dont elle a besoin pour continuer à produire de manière diversifiée, il faut se poser ces questions.

Le CNM, malheureusement, est né dans une période très compliquée pour la filière musicale. Il faut saluer le travail accompli en un peu plus d’un an, dans un tel contexte.

La Félin est très en pointe sur les questions d’égalité F/H et de lutte contre le sexisme dans l’industrie musicale. Où en est votre programme Mewem Mentoring Program for Women Entrepreneurs in Music Industry  ?

La 3e édition du programme a été lancée début février 2021. Le programme est constitué de workshops collectifs avec l’ensemble des participants et de rendez-vous individuels entre mentor et mentorée. Le projet franchit une nouvelle étape et se déploie au niveau européen (Autriche, Espagne, Belgique et Roumanie, en plus de l’Allemagne), le principe étant d’amorcer un réseau européen de femmes de l’industrie musicale.

Depuis la création, nous avons reçu des candidatures de centaines de femmes. Mewem a reçu un très bon accueil, dû à la qualité de ses mentors mais aussi à son bilan : à ce jour, 26 projets d’entreprises ont été accompagnés, avec un taux de satisfaction de 90 %. Par ailleurs, 80 % des mentorées ont décroché de nouveaux contrats grâce à Mewem. La philosophie du programme et des mentors permettent aux participantes de prendre confiance, en elles et dans leur projet.

Mathieu Dassieu


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Parcours

Centre national de la musique (CNM)
Membre du conseil professionnel
Baco Records
Directeur général
Danakil (groupe)
Manager/Saxophoniste

Fiche n° 43329, créée le 25/03/2021 à 09:40 - MàJ le 16/11/2023 à 09:22

Fédération nationale des labels et distributeurs indépendants (FELIN)

Fédération de labels indépendants française créée en 2009
• Représente 400 labels indépendants, 15 ditributeurs indépendants et 6 fédérations régionales

• Les fédérations membres :
- RIM (Réseau Indépendant des Musiques Actuelles)
- Grand Bureau (Espace coopératif et solidaire des acteurs musiques Auvergne-Rhône-Alpes)
- PAM (Pole de cooperation des Acteurs de la filière Musicale en Région Paca)
- Fraca-Ma (Fédeération des acteurs des musiques actuelles en région Centre-Val de Loire)
- APEM-LR (Association des producteurs et éditeurs de musique en Languedoc Roussillon)
- Fédélab (Fédération des labels producteurs phonographiques alsaciens)

• Président : Mathieu Dassieu, depuis le 02/11/2020
Vice-président : Grégory Pezard, depuis le 27/06/2023
• Déléguée générale : Céline Lepage (depuis février 2020)
• Tél : 05 57 59 14 13


Catégorie : Groupement professionnel


Adresse du siège

12 place de la Victoire
33000 Bordeaux France


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Fiche n° 178, créée le 27/09/2013 à 13:23 - MàJ le 05/07/2023 à 14:57


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