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Think 2018 : « En matière d’innovation, on pense souvent que tout a déjà été fait » (Didier Fusillier)

Paris - Actualité n°127868 - Publié le 04/09/2018 à 17:23
©  Seb Lascoux
Didier Fusillier - ©  Seb Lascoux

« En matière d’innovation, on pense souvent que tout a déjà été fait, inventé et a échoué. (…) On croit qu’en changeant la forme, on change tout. Or changer la façon de faire ne suffit pas, si elle ne met pas en perspective une autre façon de regarder et de voir. Faire bouger celui qui regarde, le faire changer de point de vue, c’est là à mon sens qu’intervient la vraie question. », déclare Didier Fusillier, président de l’EPPGHV Établissement public du parc et de la grande halle de la Villette , en introduction de la 3e édition de Think Culture, organisée par News Tank Culture à l’Université Paris-Dauphine le 04/09/2018.

« À travers les Micro-Folies, nous voyons une appétence extraordinaire du public vers ces formes nouvelles, ces formes d’innovation qui présentent les socles qui nous unissent tous. Ce partage du public, cette innovation nécessaire, permanente, vient de la conjonction entre un public qui se rassemble à un moment donné et une forme qu’on lui propose et qui est elle-même malléable », ajoute-t-il.

« C’est la conjonction du contexte, de la forme et du changement de regard du public qui peuvent faire évoluer considérablement les choses » (Didier Fusillier)

  • « En matière d’innovation, on pense souvent que tout a déjà été fait, inventé et a échoué.
  • Dans La Mouette de Tchekhov, en 1896, l’auteur s’interroge sur la façon de produire l’art à son époque et raconte une assemblée avec un vieux metteur en scène en fin de carrière, des artistes brillants sur le retour, de jeunes intrépides qui veulent tout changer… Une des actrices demande ce qu’il faut faire puisque tout a échoué et le metteur en scène répond qu’il faut des formes nouvelles, et s’il n’y en a pas, alors tant qu’à faire, plutôt rien.
  • On croit qu’en changeant la forme, on change tout. Or changer la façon de faire ne suffit pas, si elle ne met pas en perspective une autre façon de regarder et de voir. Faire bouger celui qui regarde, le faire changer de point de vue, c’est là à mon sens qu’intervient la vraie question.
  • Comment changer le regard du spectateur, l’amener dans une autre forme, un autre contexte, ce contexte qui déterminera la forme que l’on produira ? Aujourd’hui, on peut considérer qu’un spectateur, pisté comme il l’est par les réseaux sociaux, est couvert de signes et de traces qu’il va partager. Comment faire partager à un grand public, uni dans un lieu, ces signes et ces traces qui vont faire progresser l’ensemble du dispositif ?
  • C’est ce à quoi nous avons travaillé en 2004 avec Lille Capitale européenne de la culture. Nous n’avons pas conçu un grand programme, proposé une énorme programmation culturelle “comme nous n’en avions jamais eue” mais au contraire inventé des formes nouvelles. Nous avons décidé d’y aller à fond et de fatiguer le public. Après un an, je crois que tout le monde était épuisé ! Nous avons commencé par une grande fête le 06/12. Tous m’avaient dit de ne pas faire ça en plein hiver. Le matin, il neigeait. La police prévoyait 40 à 50 000 personnes. 750 000 personnes sont venues ! Le plan Orsec a été déclenché à une heure du matin, l’autoroute, la gare, le métro ont été fermés… C’était un véritable phénomène. Nous avons pu constater une attente énorme du public.
  • Nous avons repris à notre compte la pensée de Rem Koolhaas et cette idée de concevoir le temps comme la matrice essentielle de nos rapports aux choses et à la culture notamment. Et donc au lieu de tout calculer en termes de kilomètres, nous présentions les choses en termes de temps de trajet. Plutôt que d’inviter à faire 21 km, nous indiquions qu’il fallait 8 minutes pour aller voir telle exposition, que la mer était à 30 minutes et non plus à 120 km. Cela change tout. Nous avons donc eu pendant un an des sortes de séismes permanents. Lorsque nous avons proposé avec la SNCF des trains qui permettaient d’aller voir une grande exposition à Boulogne-sur-Mer et que les gens ont réalisé qu’ils pouvaient ainsi passer une journée à la mer, en 30 minutes, c’était un choc. Si bien que tout le monde a pris des trains toute la journée pour venir. Mais comme il faisait beau, tous ont voulu prendre le dernier train, et nous avons dû ouvrir en urgence des gymnases parce que le public ne pouvait pas repartir.
  • De même, lorsque nous avons lancé le projet des Berges de Seine à Paris, ouvertes du Musée d’Orsay à la Tour Eiffel, durant Nuit Blanche, un feu d’artifice devant le Louvre a été tiré au milieu de la Seine, ce qui semblait impossible pour des raisons de sécurité. Nous nous sommes retrouvés une fois encore devant un phénomène de communauté de public, avec une foule gigantesque mais très calme.
  • Ces événements ont conduit à une transformation du regard du public mais aussi de la matrice qui avait permis à ce public d’y accéder.
  • À la Villette, avec un parc de 55 hectares, qui abrite la Philharmonie de Paris, la Cité des Sciences, la grande halle, il y a une situation tout à fait intéressante, privilégiée. Il y a plein de choses à faire dans ce parc ouvert tous les jours de l’année, 24h sur 24. Après les attentats de novembre 2015, il y a eu une volonté de renforcement de la surveillance par la police et l’armée, de fermeture la nuit, etc.
  • Nous avons alors inventé le Festival Transforme qui dure 24h, avec des représentations durant la nuit, et propose un autre temps, un temps suspendu. Nous avions fait une expérience similaire avec Jan Fabre : 24h de performance durant lesquels les gens ont dormi au sein du parc, dehors, dans des tentes. On crée une nouvelle forme, un nouveau regard pour le public. C’est cette conjonction du contexte, de la forme et du changement de regard du public qui peuvent faire évoluer considérablement les choses.
  • Enfin, nous avons lancé le projet des Micro-Folies Concept lancé en 2017 de lieu culturel global, connecté et gratuit inspiré des Folies de La Villette et comportant un musée numérique modulable en espace scénique, un café et un atelier , petit objet à destination de zones surtout rurales ou de banlieues sans musées ou scènes, et qui présente des chefs-d’œuvre en format numérique. Elles permettent aussi d’accueillir dans le cadre d’un grand réseau des artistes, qui sont proposés par les Scènes nationales, les maisons de la culture, les CDN Centre dramatique national , les CCN Centre chorégraphique national , etc. Sont aussi présentés des films en 360. C’est une matière extrêmement vivante, malléable, peu chère, mais elle présente un choc de culture dans des endroits souvent très retirés. Nous avons commencé à Sevran qui compte 52 000 habitants et aucun lieu de culture. Nous allons développer plus de 140 Micro-Folies. Il en existe à Lima au Pérou et bientôt à Shanghai et à Pékin en Chine. Nous voyons une appétence extraordinaire du public vers ces formes nouvelles, ces formes d’innovation qui présentent les socles qui nous unissent tous.
  • Ce partage du public, cette innovation nécessaire, permanente, vient de cette conjonction entre un public qui se rassemble à un moment donné et une forme qu’on lui propose et qui est elle-même malléable. »

    Didier Fusillier

Didier Fusillier


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Parcours

Les Berges de Seine à Paris
Directeur artistique
Lille 3000
Conseiller artistique
Lille 3000
Directeur
Lille 2004
Directeur
Printemps du Québec
Commissaire général
Festival Les Inattendus
Créateur

Fiche n° 111, créée le 02/10/2013 à 09:40 - MàJ le 17/10/2023 à 09:03

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