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Think Culture 2018 : « Il faut cesser de penser en termes de fréquentation » (Marie Lavandier)

Paris - Actualité n°127495 - Publié le 04/09/2018 à 17:49
©  Seb Lascoux
Marie Lavandier - ©  Seb Lascoux

« Il faut parvenir à renouer avec des usages élargis, sociaux, économiques, écologiques de la culture dans le monde qui est le nôtre. Il faut cesser de penser en termes de visiteur et de fréquentation pour penser usage et relation », déclare Marie Lavandier en introduction de la 3e édition de Think Culture, organisée par News Tank Culture à l’Université Paris-Dauphine le 04/09/2018.

« Cette politique originale nous permet d’accueillir aujourd’hui 450 000 visiteurs. C’est un public local à 60 %, où les familles, les ouvriers, les employés sont singulièrement plus nombreux qu’ailleurs. 56 % de nos visiteurs se déclarent peu ou pas du tout familiers des musées, c’est 13 points de plus que la moyenne des établissements français », ajoute-t-elle.

« L’art à l’origine est quelque chose de vital, de nécessaire qui remplit une fonction magique, sociale, spirituelle, prophylactique parfois » (Marie Lavandier)

  • « La question des publics est au cœur de notre action car sans eux, il n’y aurait ni action culturelle, ni institution culturelle, ni même de culture ou d’art tout simplement. Nous disposons aujourd’hui d’une offre de plus en plus importante et d’un public de plus en plus nombreux. La fréquentation du Louvre • Ancien palais des rois• Création en 1793 • Fréquentation 2023 : 8,9 millions de visiteurs (+14 %)• Fréquentation 2022 : 7,8 millions de visiteurs• Fréquentation 2021 : 2,8 millions de visiteurs… s’élevait à trois millions en 1980, c’est le triple aujourd’hui. Malgré ces chiffres, nous ressentons un sentiment d’échec ou du moins une limite dans notre action après des décennies de politique de démocratisation culturelle.
  • Nous échouons toujours à capter certains publics qu’on qualifie d'« éloigné », d'« empêché ». Pour le dire autrement ce sont les publics les plus pauvres, les moins diplômés, ce sont souvent aussi les jeunes qui ne viennent pas au musée en dehors des périodes scolaires.
  • Au lieu de chercher systématiquement à connaître les études des publics et à contrôler les usages culturels de nos publics, il vaudrait mieux faire évoluer l’usage de l’art et de la culture eux-mêmes. Car l’art à l’origine est quelque chose de vital, de nécessaire qui remplit une fonction magique, sociale, spirituelle, prophylactique parfois.
  • Il faut parvenir à renouer avec des usages élargis, sociaux, économiques, écologiques de la culture dans le monde qui est le nôtre. Viser l’inclusion de la culture dans ces domaines ne la réduit pas, bien au contraire. Cela la refonde. C’est sur ce changement de paradigme que je vous propose d’évoquer mon expérience au musée du Louvre-Lens. Il faut cesser de penser en termes de visiteur et de fréquentation pour penser usage et relation.
  • C’est le défi fondamental du Louvre-Lens. Le musée a ouvert en 2012 sous l’impulsion de l’État, du musée du Louvre, et de la Région pour accompagner un geste fort : celui du renouveau du bassin minier totalement sinistré après la fermeture des mines dans le Nord-Pas-de-Calais jusqu’en 1990. Le musée avec une architecture contemporaine est située sur une ancienne friche minière et doté d’un parc qui raconte son passé.
  • L’ambition était de présenter le Louvre autrement, sous la forme d’un Louvre laboratoire tout en conservant la marque de fabrique de ce musée avec un axe fort : l’ancrage dans le territoire, en démontrant qu’une grande collection comme celle du Louvre pouvait toucher un public « élargi » que nous n’avons pas l’habitude de voir dans nos institutions.
  • Le défi consistait également à montrer autrement la collection du Louvre à partir d’une proposition scénographique originale. La Galerie du Temps fait voler en éclat le modèle habituel de la muséographie : il n’y a plus de cloisonnement ni de structuration du lieu. C’est un espace de liberté de 3000 m2 qui invite les visiteurs à plonger dans l’histoire de l’art autour de 250 œuvres.
  • Je souhaiterais citer 3 exemples pour évoquer la diversité des champs d’action et les manières de procéder que nous adoptons :
  • Pôle Emploi nous a sollicités pour organiser des ateliers d’accès à un premier emploi à destination de jeunes qui n’ont jamais travaillé. Nous avons répondu à cette demande par une opération de transfert de compétences. Nos médiateurs accompagnent ces jeunes pendant une semaine en leur transmettant les techniques de prise de parole en public qui sont les leurs au quotidien. L’atelier consistait à présenter une œuvre de la Galerie du Temps, au bout d’une semaine, devant le public. C’est très émouvant car sur ces ateliers qui se déroulent au musée, 12 % de plus de jeunes accèdent à un emploi que sur les ateliers ordinaires.
  • Autre domaine, celui du médico-psychologique avec l'APSA Association Pour la Solidarité Active et sa succursale « Neuf de Cœur » qui travaille avec des femmes battues et s’appuie sur des collections du musée pour des visites et des ateliers pratiques sur le thème de la représentation du corps. Cela participe d’un travail de réhabilitation du corps chez les femmes, victimes de violences conjugales. Ce travail s’intègre d’ailleurs dans une approche à laquelle je suis très attachée qui vise à engager davantage le corps de nos visiteurs dans l’expérience de la culture, au travers de joggings guidés dans le parc, des visites Pilates de la Galerie du Temps, des initiations yoga…
  • Dans le domaine du développement social, nous travaillons avec les associations de quartier et les bailleurs sociaux. Nous proposons une double approche très active : soit hors les murs afin de transposer l’expérience muséale dans les centres commerciaux par exemple, comme à Auchan. Soit à l’inverse, en offrant un espace aux habitants quand manque un lieu pour organiser le loto associatif ou un atelier de pratique artistique. Il s’agit à la fois d’investir l’espace public et — c’est l’un des enjeux fondamentaux — de devenir un espace public.
  • Cette politique originale nous permet d’accueillir aujourd’hui 450 000 visiteurs. C’est un public local à 60 %, où les familles, les ouvriers, les employés sont singulièrement plus nombreux qu’ailleurs. 56 % de nos visiteurs se déclarent peu ou pas du tout familiers des musées, c’est 13 points de plus que la moyenne des établissements français.
  • Il y a un défi à relever qui dépasse largement le musée. Nous devons chaque jour améliorer nos manières de faire, expérimenter, innover, faire plus de place à l’autre et même intervertir les rôles.
  • Il ne s’agit plus d’une institution et de son public mais d’une relation fructueuse et enrichissante pour les deux partis. Dès lors, nous cessons de limiter notre action à notre public pour investir la cité, nous sommes délivrés de la dictature de la fréquentation au profit de l’aventure de la relation."

Marie Lavandier, directrice du musée Louvre-Lens

Marie Lavandier


Conservatrice générale du patrimoine

Membre du Conseil scientifique du musée du Louvre

Membre du comité d’acquisition du musée national des arts asiatiques Guimet

Membre du Comité Culture de la Fondation de France


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Fiche n° 607, créée le 04/11/2013 à 09:50 - MàJ le 29/05/2024 à 16:47

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Marie Lavandier - ©  Seb Lascoux