Demandez votre abonnement gratuit d'un mois !

SV 2050 : « Chaque projet d’occupation du théâtre doit laisser une trace » (Julie Deliquet, TGP)

News Tank Culture - Paris - Actualité n°258752 - Publié le 19/07/2022 à 12:00
- +
©  NTC
Jacques Renard, Eli Commins, Sarah Dion et Julie Deliquet - ©  NTC

« La question des nouvelles écritures et de leur impact est née à travers ma pratique d’auteur. J’ai commencé à jouer avec des systèmes d’écriture non-linéaires. (…) Le fait de changer le mode d’écriture du texte m’a amené à penser une forme de représentation qui sorte des formes traditionnelles et notamment d’un rapport frontal à un public assis », indique Eli Commins, directeur du Lieu Unique à Nantes, lors du débat « Quel impact des nouvelles écritures sur l’équipement des lieux », le 15/07/2022. La rencontre était organisée dans le cadre de la deuxième édition de l’événement « Quel spectacle vivant en 2050 ? Prospective à l’échelle d’une génération », par le Festival d’Avignon et News Tank Culture les 15 et 16/07/2022.

« Ces questionnements ne portaient pas seulement sur le plan artistique, mais sur toutes les activités d’une maison de spectacle vivant (billetterie, communication, etc.) Je suis parti d’une modification de la forme de l’écriture pour interroger le fonctionnement des lieux, ce qui explique peut-être partiellement pourquoi je suis au Lieu Unique aujourd’hui », ajoute Eli Commins.

« Je me suis dit que chaque projet d’envergure, c’est-à-dire des projets sur le long terme d’occupation des murs du théâtre, devait laisser une trace qui appartiendrait à toutes et tous. Comme je me suis appropriée une histoire tout en sachant que j’allais la transmettre à mon tour, il fallait que le lieu incarne ce maillage collectif. Je ne pouvais pas faire fi de ce qui s’était passé auparavant. Il fallait que je me pose la question du présent en permanence et que ce présent-là permette d’accéder à la suite », indique Julie Deliquet, directrice du Théâtre Gérard Philipe • Centre dramatique national depuis 1983. • Créé en 1960 dans un bâtiment existant depuis 1902, rénové en 2013. • Directions successives : - Jacques Roussillon (1960-1964) - José Valverde… à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).

News Tank rend compte des échanges.


Initiées en 2021, ces deux journées de réflexion sur l’avenir du spectacle vivant sont organisées cette année les 15 et 16 juillet à l’ISTS Institut Supérieur des Techniques du Spectacle  par News Tank Culture et le Festival d’Avignon, avec le soutien du ministère de la Culture • Création : 1959 • Missions : - rendre accessibles au plus grand nombre les œuvres capitales de l’humanité et d’abord de la France, - conduire la politique de sauvegarde, de protection et de… , de l’Association pour le soutien du théâtre privé • Association de droit privé et organisme d’intérêt général de la filière du spectacle vivant privé théâtral créée en 1964.• Assume une mission de structuration de la filière, de promotion de la… et du Pass Culture. Cette 2e édition est consacrée à la question des lieux de spectacle et questionne les nouveaux modèles en devenir.

« Modifier la forme de l’écriture pour interroger le fonctionnement des lieux » (Eli Commins)

  • « La question des nouvelles écritures et de leur impact est née à travers ma pratique d’auteur. J’ai commencé à jouer avec des systèmes d’écriture non-linéaires, à savoir des systèmes autres que celui qui consiste à ouvrir Word pour y écrire un texte. J’ai notamment écrit des programmes et des médias d’écriture pour la scène. Le fait de changer le mode d’écriture du texte m’a amené à penser une forme de représentation qui sorte des codes traditionnels et notamment d’un rapport frontal à un public assis. Je suis vraiment parti d’écritures numériques qui créent d’autres porosités, d’autres liens. Il y a toute une tradition, qui est d’ailleurs plus ancienne que le numérique, d’artistes qui partent de ces formes avec l’idée que les murs du lieu vont pouvoir s’écarter.

    Mobiliser les imaginaires des gens autrement »

  • J’ai découvert que j’avais besoin, en tant que metteur en scène, de mobiliser les imaginaires des gens autrement. La situation habituelle du théâtre était plutôt un frein par rapport à cette ouverture. Elle a amené des codes, des idées qui étaient finalement omniprésents sans qu’on y pense en matière de règles du jeu. J’avais besoin de modifier ce contexte pour changer la perception de ces règles.
  • De fil en aiguille, ces formes-là ont beaucoup questionné les directrices et directeurs, comme les programmatrices et programmateurs. Ces questionnements ne portaient pas seulement sur le plan artistique, mais sur toutes les activités d’une maison de spectacle vivant (billetterie, communication, etc.). Je suis parti d’une modification de la forme de l’écriture pour interroger le fonctionnement des lieux, ce qui explique peut-être partiellement pourquoi je suis au Lieu Unique • Scène nationale • Association loi 1901 • Créée le 01/01/2000 au sein de l’ancienne usine LU • Revendique 100 000 spectateurs et 550 000 visiteurs par an • Salles et espaces : - Grand atelier… aujourd’hui. »

    Eli Commins

« Que les habitants puissent avoir un rôle actif dans l’utilisation du lieu » (Julie Deliquet)

  • « J’ai été nommée à la direction du CDN Centre dramatique national  de Saint-Denis en mars 2020. Or, nous avons tout de suite été confinés. J’ai donc eu un rapport au lieu très étrange, puisqu’il s’agissait d’un lieu vide de spectateurs, vide d’artistes. J’héritais d’un bâtiment avec son histoire, notamment marquée par toutes les problématiques liées à la pandémie. Les artistes en présence étaient des artistes que je n’avais pas programmés, mais qui étaient en grande souffrance. Il fallait que j’intervienne dans cette histoire passée avant de mettre en œuvre ma propre histoire avec le lieu.
  • Finalement, nous avons été très en lien avec les habitants et les habitantes. Nous avons utilisé le bâtiment différemment. J’ai aussi eu envie, dans les premiers projets artistiques que j’ai réalisés, d’aller à la recherche des archives départementales, de l’histoire de ce théâtre. L’objectif n’était pas de mettre en œuvre un théâtre passéiste, mais de comprendre quelle avait été la fonction de ce bâtiment, comment il avait muté et était devenu centre dramatique national après avoir été un théâtre municipal. Je voulais savoir comment il avait accueilli des assemblées générales, avait une histoire politique forte, et comment cette histoire appartenait à la ville, aux habitants et aux habitantes. Il s’agit aussi d’un théâtre appartenant à la jeunesse situé sur le territoire le plus jeune de France métropolitaine. Tout cela m’a beaucoup marquée.
  • Je me suis dit que chaque projet d’envergure, c’est-à-dire des projets sur le long terme d’occupation des murs du théâtre, devait laisser une trace qui appartiendrait à toutes et tous. Comme je me suis appropriée une histoire tout en sachant que j’allais la transmettre à mon tour, il fallait que le lieu incarne ce maillage collectif. Je ne pouvais pas faire fi de ce qui s’était passé auparavant. Il fallait que je me pose la question du présent en permanence et que ce présent-là permette d’accéder à la suite.

    Que les habitantes et les habitants puissent avoir un rôle actif dans l’utilisation du lieu »

  • À travers les projets participatifs que j’ai imaginés, je voulais que les habitantes et les habitants puissent avoir un rôle actif dans l’utilisation du lieu. Avec les jeunes, nous avons fait pousser des jardins. Dans le cadre d’un grand projet de territoire qui a duré un an, les femmes ont également rebaptisé la grande salle du théâtre. En tant que directeur ou directrice, en tant que collectif, nous laissons une trace avec des œuvres éphémères. Or, considérer l’histoire d’un bâtiment au centre d’une ville, d’un département, est particulièrement riche. Il s’agit d’un point d’ancrage artistique et culturel, de service public important.
  • Dans le cadre de la pandémie, j’ai voulu mettre le bâtiment en lien avec les autres équipements publics de la ville, c’est-à-dire principalement l’hôpital, les écoles. Nous possédons à la fois des salles de spectacle, mais aussi un restaurant, des loges, des machines à laver. Nous nous sommes posés des questions que nous ne nous serions pas posés en temps normal. Lorsque l’on travaille en compagnie, on est nomade. En revanche, lorsqu’on arrive dans un lieu, intervient la notion d’ancrage. Une maison, est une protection, un abri. Elle ne doit évidemment pas être une forteresse. Notre travail du quotidien œuvre à déjouer cette idée et à réaliser nos missions qui consistent à faire de la culture pour toutes et tous, mais d’être en lien avec une forme de réalité et une forme d’ambition pour le théâtre qu’on a envie de penser pour demain. »

    Julie Deliquet

« Les nouvelles écritures instituent un nouveau rapport avec le public » (Eli Commins)

Les nouvelles écritures instituent un rapport renouvelé avec le public »
  • « Les nouvelles écritures instituent un rapport renouvelé avec le public. Toute forme, toute institution, tout type de rapport est un média, le théâtre peut être qualifié de média. Les nouvelles écritures créent de nouveaux liens, de nouvelles temporalités, de nouvelles formes de logistique. Ces nouvelles écritures déplacent des catégories instituées. Le premier choc est en général celui de l’architecture du bâtiment. Même au Lieu Unique, qui est un lieu qui a été conçu pour la modularité et où Patrick Bouchain, l’architecte du projet, était très ouvert à l’idée de déplacer des choses, un mur pose problème. Entre la théorie de la modularité et la possibilité de le faire, il y a un écart souvent important. Le fameux mur, qui devait être mobile depuis 20 ans n’a évidemment pas bougé d’un millimètre. Les catégories architecturales sont très prégnantes, comme les catégories administratives également.
  • Dans le monde actuel, de nouvelles formes, que nous ne reconnaissons pas de manière évidente comme artistiques du fait de l’histoire qui est la nôtre, s’écrivent. Il s’agit de savoir comment les ranger dans les cases des tableaux Excel qui constituent nos cahiers des charges et reposent sur des définitions disciplinaires. Nous sommes confrontés à des contraintes, qui sont très justes par ailleurs, mais qui nous restreignent. Avoir un impératif de jauge globale sur une saison complique la mise en œuvre de formes hybrides qu’on essaye d’accueillir au Lieu Unique et qui, étant dans une phase expérimentale, concernent des jauges plus réduites. Les catégories administratives sous lesquelles nous fonctionnons créent des formes concrètes sur des plateaux.
  • Le point de départ est toujours la singularité des œuvres, la singularité des parcours artistiques, la forme de l’adresse. On pourrait aussi parler, non seulement de nouvelles écritures, mais de nouvelles adresses. Comment la rencontre s’opère-t-elle avec les publics ? Cela interroge le fonctionnement global du système dans lequel nous évoluons. »

    Eli Commins

« Entretenir un rapport moins cloisonné entre les structures » (Julie Deliquet)

  • « Nous recevons des artistes qui s’inscrivent profondément dans le théâtre d’aujourd’hui, un théâtre qu’ils ont envie de défendre, avec une volonté de diffusion qui va largement écrire leur avenir immédiat. Il est difficile de se projeter en 2050. Nous aimerions que notre bâtiment puisse tout faire, mais ce n’est pas possible. Il s’agit d’un bâtiment classé avec lequel nous faisons régulièrement du Tetris. Cela prend du temps et implique des coûts.

    La contrainte peut être fertile »

  • Je n’ai pas du tout un parcours institutionnel. C’est vraiment le rapport aux lieux qui a été la signature de mon parcours artistique. J’ai la sensation qu’aujourd’hui, je l’incarne, qu’il s’agit vraiment d’un élément avec lequel je joue. Quand je rencontre les artistes, il existe à la fois leur projet artistique et le mien. Quand je construis une saison, quand j’offre des phases de recherche, je m’inscris dans un maillage collectif. Mon histoire comme celle du bâtiment entrent en jeu. Il s’agit d’un élément vivant, tout aussi mortel qu’un acteur. Il faut donc prendre en compte sa fragilité, sa durée de vie, ses possibilités, ses incapacités. Or, cette contrainte peut être fertile. Il ne s’agit pas forcément d’une contrainte qui empêche. Il faut en parler, mutualiser cette parole. Je viens aussi d’une histoire au cours de laquelle j’ai fait du quadri-frontal, du frontal, des choses qui sont imaginables dans un endroit, puis tout d’un coup très difficile dans une autre.
  • Il faut entretenir le dialogue avec les compagnies, non pas pour avoir un impact sur leurs choix artistiques, mais pour pouvoir leur donner suffisamment d’éléments pour que l’utopie qu’ils ont imaginée soit au plus près de la réalité avec laquelle ils vont jouer demain. J’essaye de dialoguer au maximum avec les équipes, de leur donner notre réalité sans dire qu’on ne pourra pas y arriver, mais ce que chaque chose peut engendrer. Un dispositif impliquant le montage d’un proscenium pourra par exemple induire un jour de représentation en moins. Nous pouvons aussi appeler d’autres équipes de la saison qui ont mis en œuvre un dispositif un peu comparable, rencontrer le directeur technique, afin d’essayer de collectiviser la pensée.
  • Nous incarnons le moment de la production et de la création, mais l’objectif est de rendre aussi concrète que possible la suite du projet, toute sa durée de vie après la diffusion. Nous avons une responsabilité en matière d’expérience, dans le rapport modulable au dispositif.
  • Lorsque nous ne pouvons pas monter certains projets, nous réfléchissons aussi à l’échelle du département, puisque nous sommes constitués en collectif avec les lieux labellisés de Seine-Saint-Denis. Si une production n’aboutit pas chez nous, peut-être qu’elle le pourra ailleurs. Il s’agit d’entretenir un rapport moins cloisonné entre les structures, car nous n’avons pas du tout la même réalité de bâtiment, les mêmes possibilités. »

    Julie Deliquet
  • « Effectivement, les obstacles se dépassent quand on arrive à se rassembler au-delà des fonctions les plus instituées qui sont parfois très séparées. Sur un certain nombre de projets, nous avons pu avancer parce que nous nous sommes réunis avec des artistes, des techniciens et des techniciennes qui venaient d’autres horizons et pouvaient faire d’autres propositions, avec notre équipe technique, les producteurs, des diffuseurs potentiels, parfois même des personnes faisant partie du public. Cette idée d’une association collective très en amont de la conception des projets est l’une des clés.
  • C’est aussi ce que nous avions essayé de faire avec le dispositif “Chimère” au ministère de la Culture, qui s’inscrit dans une logique de filière, qui rassemble au-delà des positions les plus instituées. »

    Eli Commins

Chimères est un programme d’accompagnement à l’écriture et l’expérimentation artistiques allant jusqu’à la pré-production. Il propose à des artistes provenant de tous les champs de la création contemporaine (théâtre, cirque, musique, danse, arts visuels, littérature, cinéma, design, graphisme, architecture, métiers d’art…) et créateurs venant d’autres univers (jeu vidéo, code, réalité virtuelle et augmentée, etc.) d’explorer des formes artistiques dites hybrides au sens où elles relient les mondes “physique” et “numérique”.

  • « Je vois aussi ce qui s’est passé pour la direction précédente. L’objectif était de voir comment un bi-frontal construit pour la production du directeur ou de la directrice-artiste en place pouvait ensuite rester pour les suivants. J’ai la sensation qu’à notre échelle, puisque nous n’avons pas la possibilité de repenser l’intégralité de nos équipements et que nous sommes aussi confrontés à des problématiques d’entretien et de sécurité, de mise aux normes, ce sont des questions qui nous habitent tout le temps. Dès qu’un projet artistique soulève ces questions-là, il s’agit de savoir comment nous pouvons y répondre en tant qu’atelier de construction et pérenniser cet endroit-là pour les autres compagnies à venir. Nous avançons petit à petit, de manière un peu artisanale.
  • De grandes questions auxquelles il est difficile de répondre immédiatement se posent : des questions écologiques, des questions liées à la lumière au changement des LED diode électroluminescente , avec tout un parc à repenser. Cela fait partie des questions pour demain. Nous essayons aussi d’agir au présent, de construire un maximum de choses avec les équipes, dans une forme d’immédiateté. Ce présent nous permet aussi de penser une suite, l’équipement de demain que nous souhaitons le plus pérenne possible. »

    Julie Deliquet

« Il nous faut déterminer ce que nous voulons pour ce monde numérique » (Eli Commins)

  • « Dans un monde qui vit une mutation médiatique de cette magnitude, une mutation des imaginaires très profonde, j’estime que nous avons tous notre rôle à jouer. Il nous faut déterminer ce que nous voulons pour ce monde numérique. Il faut que nous évitions d’aboutir à la forme que l’on crée dans une banlieue de San Francisco. Le monde des GAFAM Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft  est très effrayant, mais le sujet est aussi, à notre modeste échelle, de pouvoir inventer des situations, des expérimentations qui offrent d’autres modèles. Il y a aussi toute une tradition utopiste dans le monde du numérique, qui provient des années 1960-70 et qui est très différente du numérique qu’on nous sert sur nos smartphones aujourd’hui. Il n’y a pas de peur à avoir, il suffit d’y travailler. »

    Eli Commins

Eli Commins


Consulter la fiche dans l‘annuaire

Parcours

Programme artistique et culturel Atelier B au sein de l’association Matrice
Directeur
Ministère de la Culture
Chargé de la coordination de la politique du multimédia et de la numérisation
La Panacée, centre de culture contemporaine de Montpellier
Adjoint au directeur, coordinateur du projet culturel

Fiche n° 42775, créée le 01/02/2021 à 17:59 - MàJ le 20/04/2021 à 10:59

Julie Deliquet


• Metteuse en scène
• Formée au Conservatoire de Montpellier, à l’École du Studio Théâtre d’Asnières, puis à l’École Internationale Jacques Lecoq
• Quelques-uns de ses spectacles :
- Un conte de Noël (2019)
- Fanny et Alexandre (2018)
- Mélancolie(s) (2017)
- Vania d’après Oncle Vania d’Anton Tchekhov (2016)
- Catherine et Christian (fin de partie) (2015)
- La Noce de Bertolt Brecht (2011)
- Derniers Remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce (2009)

Consulter la fiche dans l‘annuaire

Parcours

Collectif In Vitro
Fondatrice
Comédie de Saint-Étienne
Artiste associée
Théâtre de Lorient
Artiste associée

Fiche n° 37263, créée le 04/12/2019 à 18:34 - MàJ le 03/12/2021 à 15:30

©  NTC
Jacques Renard, Eli Commins, Sarah Dion et Julie Deliquet - ©  NTC