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Think Culture 2021 : « L'État n’est plus seul ; le MC n’intervient plus de la même manière » (C. Miles)

Paris - Actualité n°227592 - Publié le 09/09/2021 à 09:00
©  Seb Lascoux
Christopher Miles - ©  Seb Lascoux

« L’État n’est plus seul, les collectivités territoriales sont montées en puissance et leurs financements sont devenus aussi importants, voire plus, que ceux de l’État. D’autres ministères peuvent aussi avoir des idées et faire appel à des créateurs et il faut prendre en compte la montée en puissance du secteur privé. Il y a aujourd’hui des mécènes, des fondations et des gens qui peuvent aussi être force de propositions pour la culture », déclare Christopher Miles, directeur général de la création artistique au ministère de la Culture, au cours de son intervention en tant que grand témoin du thème « Le ministère de la Culture et ses modalités d’intervention : un modèle à revoir ? », dans le cadre de la 6e édition de Think Culture organisée par News Tank Culture au Centre Pompidou (Paris 4e), le 07/09/2021.

« Nous sommes en train de réfléchir, à la demande de la ministre, aux modalités de réengagement de l’État dans la politique des festivals. Les festivals sont ces lieux où il existe parfois une grande liberté d’invention, d’expérimentation aux deux bouts de la chaîne. Sans inventer un label “festival d’intérêt national”, nous allons essayer de trouver, avec les DRAC Direction régionale des affaires culturelles et les services déconcentrés, les moyens de faire plusieurs choses. Nous allons aider les festivals émergents et trouver des solutions pour que les festivals en phase d’évolution et de croissance puissent être accompagnés, de manière ponctuelle mais décisive, par l’État », ajoute Christopher Miles.

« La France prendra prochainement la présidence de l’Union européenne, ce qui pourrait être une opportunité intéressante de proposer un certain nombre de mécanismes. Il faut pouvoir imaginer des mécanismes de solidarité pour relancer la production artistique européenne. Peut-être un grand fonds de relance de la production artistique des grands festivals (…) Ce n’est pas seule que la France s’en sortira, mais en s’appuyant sur des mécanismes de coopération intelligents pour que l’Europe puisse continuer d'être ce continent où les artistes sont libres, d’écrire, de penser, d’inventer », indique encore Christopher Miles.

« Une dialectique permanente entre la question de la démocratisation et le soutien aux artistes  »

  • L’État n’est plus seul, les collectivités territoriales sont montées en puissance »

    Qu’est-ce qui a changé depuis mon arrivée au ministère de la Culture en 1994 ? D’abord, l’État n’est plus seul, les collectivités territoriales sont montées en puissance et leurs financements sont devenus aussi importants, voire plus, que ceux de l’État. D’autres ministères peuvent aussi avoir des idées et faire appel à des créateurs et il faut également prendre en compte la montée en puissance du secteur privé. Il y a aujourd’hui des mécènes, des fondations et des gens qui peuvent aussi être force de proposition pour la culture.

  • Le ministère de la Culture lui-même n’intervient plus de la même manière. Autrefois, le directeur pouvait prendre les décisions, maintenant si je dois m’occuper de musique, il faut que je prenne mon téléphone et que je coordonne le délégué musique et le directeur du Centre national de la musique Établissement public à caractère industriel et commercial, créé par la loi n° 2019-1100 du 30/10/2019 • Le CNM a succédé au CNV (Centre national de la chanson, des variétés et du jazz) le… pour être sûr qu’ils vont aller dans la même direction. Cela a de l’intérêt, car cela démultiplie les financements et permet à l’État d’avoir des opérateurs pouvant mettre en place des politiques pour lui, tels que le Centre national des arts plastiques • Établissement public administratif du ministère de la Culture.• Créé en 1982 par décret. • Missions :- soutenir la création artistique dans tous les domaines des arts visuels : peinture… , de la danse, de la musique. Cela pose aussi la question de l’agenciarisation de l’État et du fait qu’en tant que DGCA Directeur/trice général(e) de la création artistique ma capacité d’intervention est sans doute moindre qu’à l’époque. D’un côté, je suis heureux que les DRAC Direction régionale des affaires culturelles aient pu monter en puissance, se soient structurées et qu’il s’agisse d’interlocuteurs respectés. De l’autre, je constate que parfois pour accomplir des choses dans ce ministère, là où deux coups de téléphone suffisaient, il y a aujourd’hui quatre échelons intermédiaires à franchir. Parfois, au motif de simplifier les problèmes dans l’administration, on a seulement tendance à les diviser.
  • L’État s’est aussi complexifié et ce ministère est un ministère technique, ce que nous avons beaucoup de mal à faire entrer dans le crâne des politiques. Cela se traduit par un cycle budgétaire atroce que nous connaissons tous. En début de quinquennat, un président de la République arrive et annonce que sa priorité est la culture. Ensuite, Bercy réduit de 5 ou 10 %, voire 15 %, le budget de la culture. On met deux ans à s’en remettre, cela tue un ou deux ministres au passage. Ce n’est qu’aujourd’hui qu’on se rend compte que si l’État et le ministère de la Culture n’avaient pas été là, si pendant le confinement nous ne nous étions pas tous mobilisés à la DGCA, nous ne serions pas dans la même situation aujourd’hui. Il y a eu une vraie conviction politique de l’importance de la culture au sein de ce gouvernement.
  • Dans le domaine de la création artistique, les labels et réseaux ont été créés avec une visée protectrice. Dans le dialogue avec les collectivités, nous savons que cette logique de label rentre dans une logique de partage, de cahier des charges. Parfois, nous sommes dans l’injonction paradoxale, mais dans une logique de travail avec la collectivité qui permet d’avancer. En 2004, avec le rapport Latarjet, nous nous disions qu’il y avait un problème lié à la diffusion. Or, je ne suis pas sûr que le problème a véritablement régressé depuis. En 2007, il s’agissait de mettre en place des cahiers des charges sur les labels et réseaux pour y remédier, et de trouver des solutions pour que les institutions puissent mieux créer pour mieux diffuser. C’est en tout cas ce que la loi LCAP Liberté de création, architecture et patrimoine a gravé dans le marbre. Je pense, qu’aujourd’hui, le problème ne se situe pas qu’au niveau de la diffusion. Il est inextricablement lié entre la diffusion et la production.
  • Je me considère comme un accompagnateur de directeurs, de ministres, d’artistes »

    Nous sommes dans une dialectique permanente entre cette question de la démocratisation, de l’élargissement des publics et la question du soutien aux artistes tout au long de leur carrière. On parle beaucoup de l’émergence et de l’innovation et en réalité on en fait plus qu’on ne le dit, mais un artiste ne vit pas que de 25 à 35 ans. Il doit avoir une carrière, ce qui nécessite que des mécanismes de production résilients soient mis en place dans notre pays pour lui permettre de montrer son travail au-delà de la première ou de la deuxième fois. Cela nécessite aussi qu’on lui donne le droit de se tromper, le droit à l’échec pour pouvoir ensuite recommencer. Cela nécessite aussi d’avoir au sein des scènes nationales des accompagnateurs. Je me considère comme un accompagnateur de directeurs, de ministres, d’artistes. Je me demande toujours de quelle expertise nous avons besoin pour comprendre les artistes. Comment appréhender la carrière des artistes tout au long de leur vie, y compris quand ils cessent d’être artistes, qu’ils aient envie de cesser de l’être, ou ne puissent plus l’être ?

  • Comment justifier les privilèges un peu exorbitants qui ressortent du secteur culturel ? Nous venons d’obtenir quatre mois de prolongation de l’année blanche, nous en sommes à 16. Nous savons que les conditions économiques de la reprise ne sont pas complètement réunies. Nous allons encore essayer de récupérer quelques minutes de grâce, mais nous allons rentrer dans une phase de renégociation de la convention Unédic Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce, association nationale de gestion de l’assurance-chômage qui risque d’être extrêmement dure dans les mois à venir. Il s’agit de savoir comment mieux produire pour assurer l’emploi permanent dans la création artistique, afin qu’elle soit mieux diffusée et assure de meilleures conditions de travail et de sécurité, y compris dans la transdisciplinarité. 
  • Cette dialectique diffusion/production n’est pas simple. L’État est lui-même producteur, il a ses établissements publics, ce qui fonctionne bien dans un contexte de croissance budgétaire. Aujourd’hui, je peux très raisonnablement vous dire que cela ira mieux l’année prochaine. Nous avons connu des années avec des situations de stagnation budgétaire qui impliquaient de faire des choix difficiles si nous souhaitions en même temps aider l’émergence et accompagner ceux qui continuaient de structurer la vie artistique. Le rôle de l’État dans la culture est de bien observer, trouver les moyens de l’accompagnement, avoir une capacité d’expertise, mieux valoriser. Il se confronte aussi à des risques. Il doit faire attention aux interstices, aux petits endroits où un feu est en train de couver. Il doit avoir des repères, des moyens de veille. Je compte beaucoup sur l’inspection au sein de la DGCA, le réseau des conseillers au sein des DRAC et l’ensemble des labels et réseaux qui sont aussi ces endroits de veille.
  • La société, le théâtre, les arts plastiques se doivent d’intégrer tous les défis sociétaux actuels »

    Il s’agit de servir tout le champ des possibles et de faire attention à l’évolution de notre société. J’appartiens à la génération de l’écrit. Les cerveaux ne se construisent plus de la même manière actuellement avec les pratiques numériques. Il est très important de prendre en compte ces nouveaux usages et de ne pas les mépriser en imaginant que les formes traditionnelles de la culture ne peuvent pas être hybridées en permanence par ces nouvelles technologies. Il s’agit de ne pas laisser se creuser une fracture au sein de la culture. La société, le théâtre, les arts plastiques se doivent d’intégrer tous les défis sociétaux actuels, l’égalité hommes/femmes, la montée des communautarismes et des identitarismes en continuant à faire commun, la question du genre, des droits culturels, du développement durable, etc.

  • Nous sommes en train de réfléchir, à la demande de la ministre, aux modalités de réengagement de l’État dans la politique des festivals. Les festivals sont ces lieux où il existe parfois une grande liberté d’invention, d’expérimentation aux deux bouts de la chaîne. Sans inventer un label « festival d’intérêt national », nous allons essayer de trouver, avec les DRAC et les services déconcentrés, les moyens de faire plusieurs choses. Nous allons aider les festivals émergents et trouver des solutions pour que les festivals en phase d’évolution et de croissance puissent être accompagnés de manière ponctuelle, mais décisive, par l’État, au moment de leur structuration. Il faut trouver des mécanismes d’ingénierie industrielle et économique pour qu’on puisse les accompagner avec des livrets d’épargne spécifique, des prêts d’épargne spécifiques, la BPI Banque publique d’investissement , etc. Troisièmement, il s’agit de savoir comment faire pour que les grands festivals continuent de jouer dans la cour des grands et accompagnent les institutions dans une logique de production vertueuse. Nous pensons aussi à une charte du développement durable. Par exemple, tous les festivals n’ont pas les moyens de payer l’audit qui va leur permettre de prendre toutes les mesures nécessaires. L'État pourrait intervenir dans ce processus.
  • Imaginer des mécanismes de solidarité, pour relancer la production artistique européenne »

    La France prendra prochainement la présidence de l’Union européenne, ce qui pourrait être une opportunité intéressante de proposer un certain nombre de mécanismes. Il faut pouvoir imaginer des mécanismes de solidarité pour relancer la production artistique européenne. Peut-être un grand fonds de relance de la production artistique des grands festivals. Par exemple, dans le domaine de la musique, nous avons des orchestres labellisés mais aussi des ensembles dont l’économie repose en grande partie sur l’exportation de leurs productions à l’échelle européenne. Or, il leur faut trouver des clients à l’étranger. Ce n’est pas seule que la France s’en sortira, mais en s’appuyant sur des mécanismes de coopération intelligents pour que l’Europe puisse continuer d'être ce continent où les artistes sont libres d’écrire, de penser, d’inventer.

  • Pour répondre à tout ça, je me propose d’abord de mieux comprendre comme on produit dans ce pays, comment s’articulent les forces de production avec les forces de diffusion et comment les faire mieux collaborer. Quand un objet artistique arrive dans notre bureau, il faut que nous ayons la possibilité de lui trouver un producteur. Nous allons aussi lancer un travail de prospective culturelle avec l’ensemble des intervenants du secteur pour trouver ensemble les moyens d’une nouvelle politique de la création artistique qui permettrait de répondre à la question que posait Jean Vilar : « quelle forme trouver pour que s’exprime un rapport nouveau avec un nouveau public ? ».

Christopher Miles


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