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« Nous voulons faire comprendre que la technologie AR est utile » (Antoine Gilbert, AR Studio Paris)

News Tank Culture - Paris - Interview n°411244 - Publié le
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Antoine Gilbert - ©  D.R.

« Nous sommes le premier centre d’excellence en réalité augmentée de Snapchat dans le monde, créé à l’initiative d’Evan Spiegel, le fondateur de la société. Notre mission est de démontrer le potentiel de la réalité augmentée et d’accroître son impact auprès des institutions publiques, des musées, des artistes et du secteur culturel en général, à travers des partenariats non commerciaux », déclare Antoine Gilbert, directeur de l’AR Réalité augmentée Studio Paris, à News Tank le 16/10/2025.

L’AR Studio Paris, créé en juin 2021, était basé initialement à Station F à Paris (13e), avant de déménager en mai 2025 rue d’Aguesseau (8e). Il est constitué d’une équipe de 12 personnes.

« Dans les partenariats commerciaux classiques, une marque achète de l’espace média et crée de la réalité augmentée sponsorisée. Nous, nous faisons du mécénat de compétences : nous offrons nos services et notre technologie en échange d’être intégrés dans des projets culturels de premier plan. Nous avons ainsi travaillé avec le Louvre, le Château de Chantilly, le Château de Versailles, et bien d’autres institutions », indique Antoine Gilbert.

« Depuis l’ouverture de l’AR Studio Paris, l’ensemble de nos expériences a été activé plus de 260 millions de fois. Nous avons appris énormément selon les contextes : collections permanentes du Louvre, jardins du Château de Versailles, etc. C’est un véritable laboratoire », précise Antoine Gilbert qui répond aux questions de News Tank.


Quels sont les objectifs de l’AR Studio Paris ?

L’AR Studio Paris est une équipe de 12 personnes créée en 2021 par Snap Inc., et qui opère depuis 2022. Nous sommes le premier centre d’excellence en réalité augmentée de Snapchat dans le monde, créé à l’initiative d’Evan Spiegel, le fondateur de la société. Notre mission est de démontrer le potentiel de la réalité augmentée et d’accroître son impact auprès des institutions publiques, des musées, des artistes et du secteur culturel en général, à travers des partenariats non commerciaux.

La France a été choisie pour héberger ce centre car elle possède un écosystème créatif exceptionnel : d’excellents studios, des écoles de renom en 3D, design, code et mode. L’idée était de s’ancrer dans la culture française tout en rayonnant à l’international, en travaillant avec des entités françaises qui ont une résonance mondiale.

Nous voulons faire comprendre que cette technologie AR est utile : utile à la médiation culturelle, utile à l’animation des communautés, utile à la démarche artistique. C’est un terrain de jeu créatif extraordinaire car c’est vierge, c’est un nouveau médium. Mais nous ne pouvons pas servir 100 % des musées ou 100 % des artistes. À partir du moment où Snapchat réalise un partenariat avec le Louvre, beaucoup de musées se posent la question : est-ce pour moi ? Cela pose le débat de manière haute. Idem avec Daft Punk. Ce sont des projets qui irriguent leur industrie créative respective.

Quelle est la différence entre ces partenariats réalisés chez AR Studio Paris et les opérations commerciales de Snapchat ?

Dans les partenariats commerciaux classiques, une marque achète de l’espace média et crée de la réalité augmentée sponsorisée. Nous, nous faisons du mécénat de compétences : nous offrons nos services et notre technologie en échange d’être intégrés dans des projets culturels de premier plan. Nous avons ainsi travaillé avec le Louvre, le Château de Chantilly, le Château de Versailles, et bien d’autres institutions. C’est une démarche vertueuse : les partenaires bénéficient de l’état de l’art de la réalité augmentée, et nous gagnons en visibilité et en légitimité.

Quelle est la composition de votre équipe ? S’agit-il principalement de développeurs ou de créatifs ?

Nous sommes des « créatifs technologistes » : notre création ne s’exprime qu’à travers la technologie. L’outil central est Lens Studio, le logiciel gratuit qui permet de créer toutes ces expériences. Il est aussi bien utilisé par des créateurs individuels que par des studios comme le nôtre.

L’équipe comprend des concept designers, des artistes 3D, des spécialistes en effets visuels (VFX Effets visuels ) et des ingénieurs. Pour créer une expérience de réalité augmentée de ce calibre, il faut additionner ces compétences dans le temps : storyboards, animation, modélisation 3D, puis assemblage dans Lens Studio.

Nous faisons également travailler l’écosystème créatif français. Sur certaines productions, nous collaborons avec des studios français qui nous assistent en charge de travail, tout en gardant le pilotage et la signature des projets.

Comment est né le projet avec l’artiste -M- ?

Le projet avec -M- est l’aboutissement d’une notoriété acquise progressivement. Notre collaboration avec Daft Punk nous a véritablement mis sur le devant de la scène. Depuis, plusieurs labels nous sollicitent pour leurs artistes. L’équipe de -M- est venue nous rencontrer alors qu’il travaillait sur l’album « Totem » par le groupe Lamomali. En découvrant notre technologie, Matthieu Chedid a été inspiré par les paroles de sa chanson « Totem », qui évoquent ce qu’il appelle « l’égo système ».

Il nous a proposé de créer un totem personnel qui représenterait les gens. Nous avons exploité la double caméra du téléphone : celle qui nous regarde et celle qui regarde le monde. L’idée était de capturer des parties du visage des utilisateurs et des éléments de leur environnement pour créer un totem unique, mélange entre la personne et son contexte.

Comment le projet a-t-il évolué ?

-M- a lancé cette Lens en avril 2025 sur son compte Snapchat, bien qu’il n’utilisait pas habituellement la plateforme. En septembre, quand il a décidé de tourner le clip de « Totem », nous avons collaboré avec le réalisateur Alexandre Morse. Celui-ci a voulu aller plus loin en tournant le clip entièrement en utilisant notre Lens. Ils ont lancé un appel à contribution international, en Asie, en Afrique, à Tahiti et ailleurs. Des milliers de personnes ont créé leur totem et envoyé leur vidéo, donnant naissance au clip final. C’était une première : la caméra de Snapchat a servi à tourner un clip musical.

Plus tôt, il y a eu ce partenariat avec Daft Punk. Pour les 10 ans de « Random Access Memories » en mai 2023, Daft Punk souhaitait à nouveau parler à leurs fans avec une édition anniversaire incluant 35 minutes de titres inédits. Nous avons créé une Lens permettant de scanner l’ancien vinyle à la maison pour révéler en exclusivité, 48 heures avant la sortie officielle, le titre « Horizon », qui n’était sorti qu’en édition japonaise en 2013 et était donc très peu connu.

Nous avons joué avec les réseaux sociaux en faisant croire aux fans que ce titre était chez eux depuis 10 ans sans qu’ils le sachent. La communauté s’est emballée, avec des discussions enflammées sur Reddit. Le casque en cristal apparaissait en réalité augmentée au-dessus de l’album. C’était une façon de jouer sur l’appétence des fans hardcore pour tout savoir et ne rien rater de leur groupe préféré.

Pour « Interstella 5555 », l’anniversaire du film, nous avons créé une expérience de « cosplay Loisir consistant à jouer le rôle de personnages en imitant leur costume, leurs cheveux et leur maquillage AR ». Dans les cinémas, les spectateurs pouvaient scanner un QR Quick Response code sur leur place et se retrouver dans la peau des personnages du film grâce à la réalité augmentée. Nous avons utilisé des technologies de génération d’images pour imiter le style de Matsumoto, avec l’autorisation des ayants droit, permettant aux fans de se transformer en manga puis en alien.

Qu’en est-il du projet avec les Rolling Stones ?

C’était leur premier album studio en 18 ans, « Hackney Diamonds ». Il faut réaliser qu’il y a 18 ans, Facebook et Instagram n’existaient pas. C’était donc leur premier lancement d’album à l’ère des réseaux sociaux. Le label souhaitait créer un pont entre générations.

Nous avons créé des mini-concerts privés des Stones en réalité augmentée dans le salon des utilisateurs. Une scène se projetait sur leur table basse avec les trois membres restants du groupe sous forme de Bitmoji - ces petits avatars 3D personnalisables propres à Snapchat - qui jouaient la chanson « Angry » en exclusivité. Le Bitmoji de l’utilisateur dansait sur scène avec Mick Jagger et Keith Richards.

Ce qui était intéressant, c’est le dialogue intergénérationnel que cela a créé. Les jeunes jouaient avec leurs avatars, et leurs parents leur demandaient s’ils connaissaient les Stones, lançant des conversations entre générations.

Comment adaptez-vous vos projets selon les audiences ?

Cela dépend vraiment du contexte. Quand nous avons augmenté la scénographie de SCH au Stade Vélodrome de Marseille devant 70 000 personnes, nous savions que 90 % du public était sur Snapchat. L’artiste le dit d’ailleurs sur scène : « Sortez vos Snaps ». Là, nous sommes dans le cœur de l’audience de Snapchat.

Avec les Rolling Stones ou -M-, nous sommes davantage dans une démarche de découverte. Des publics qui ne sont pas nécessairement sur Snapchat découvrent un artiste ou une facette de son travail grâce à la technologie. Sur « Totem », nous avons bénéficié d’un effet multiplicateur avec le duo -M- et Yamé, ce dernier ayant déjà une communauté établie sur Snapchat.

Au-delà de la musique, comment la réalité augmentée sert-elle les autres secteurs culturels ?

Nous intervenons sur plusieurs axes. D’abord, les grandes institutions culturelles comme le Louvre, le Château de Chantilly ou Versailles. Ensuite, le patrimoine et l’héritage : pour les Jeux Olympiques de Paris 2024, le CIO Comité international olympique nous a confié ses archives de 1924. Nous avons créé une expérience historique remettant en scène ces photos et vidéos dans la ville en réalité augmentée, 100 jours avant les Jeux.

Il y a également la dimension divertissement que nous venons d’évoquer avec les artistes. Enfin, nous avons développé un programme de résidence d’artistes pour les Spectacles, nos lunettes de réalité augmentée. Nous avons travaillé avec Jean-Michel Othoniel et Charles Pétillon, des plasticiens qui s’intéressent à cette technologie pour compléter leur démarche artistique. Nous leur dédions du temps et des ressources pour qu’ils puissent s’emparer rapidement de ces outils.

Du 24 au 25/10/2025, l’AR Studio Paris s’associe au Centre Pompidou pour l’événement « Because Pompidou » et présente une exposition en réalité augmentée intitulée « Spectacular - l’art de Jonathan Yeo en réalité augmentée » qui proposera au grand public de tester pour la première fois les lunettes Spectacles de Snap dans un contexte culturel (Niveau 4, Le Studio).

Quelle a été l’approche avec le Louvre ?

Au Louvre, nous avons augmenté des œuvres dans l’aile égyptienne. L’intérêt était de voir comment faire rentrer la technologie de manière fluide, sans friction et sans changer le parcours. Tout le monde a un téléphone dans la poche, et scanner un QR code est devenu une pratique courante depuis le Covid.

Nous avons ajouté des cartels avec un QR code indiquant « Si vous voulez aller plus loin, scannez ce code ». C’est une démarche totalement optionnelle et le visiteur n’est pas interrompu dans sa visite.

Laurence des Cars, Présidente-directrice @ Musée du Louvre
• Chevalier de la Légion d’honneur (2016) • Chevalier de l’ordre du Mérite (2009) • Officier des Arts et Lettres (2017)
présidente du Louvre, nous a dit que ce qui l’intéressait dans votre technologie, c’était qu’on ne détournait pas le regard de l’œuvre. Ici, on ajoute, on ne remplace pas. Même avec un écran vidéo explicatif, les gens regardent plus la télé que l’œuvre. Nous, nous avons observé que les visiteurs restaient connectés à l’œuvre tout en utilisant leur téléphone comme outil d’augmentation de leur parcours.

Vous avez également travaillé sur l’accessibilité, notamment avec le Royal Philharmonic Orchestra à Londres.

C’était un partenariat inattendu avec cet orchestre de musique classique. Le RPO Royal Philharmonic Orchestra a pour mission de rendre la musique accessible, notamment aux personnes en situation de handicap. Ils organisent des « Relaxed Concerts » pour ceux qui n’ont habituellement pas accès aux grands concerts.

Nous nous sommes penchés sur la chromesthésie, une condition que beaucoup d’artistes possèdent : ils voient des couleurs quand ils entendent des sons. Kandinsky et Pharrell Williams ont cette particularité. Nous avons créé une Lens qui rend visible « les couleurs de la musique ».

Techniquement, le projet était complexe : il fallait capter les sons, associer des notes et des tempos à des couleurs. Nous nous sommes inspirés visuellement de Kandinsky, qui créait des formes multicolores représentant ce qu’il voyait en musique. Les musiciens du RPO ont expliqué combien c’était extraordinaire pour eux de voir leur musique. Et cette Lens n’est pas réservée à une élite : n’importe quel guitariste amateur peut jouer dans sa chambre et voir les couleurs de sa musique.

Comment mesurez-vous l’impact de vos projets ?

Nous analysons le comportement des utilisateurs : combien de temps ils passent sur l’expérience, s’ils la font plusieurs fois, s’ils la partagent. Ces données sont précieuses car elles n’existaient pas auparavant dans les institutions culturelles.

Depuis l’ouverture de l’AR Studio Paris, l’ensemble de nos expériences a été activé plus de 260 millions de fois. Nous avons appris énormément selon les contextes : collections permanentes du Louvre, jardins du Château de Versailles, etc. C’est un véritable laboratoire.

Nous privilégions la pérennité : nos parcours au Château de Versailles ou au Château de Chantilly durent deux à trois ans, pas juste un week-end. Tous les visiteurs peuvent en bénéficier, ce qui maximise l’impact de ces investissements conséquents.

Quel est l’état actuel du marché de la réalité augmentée ?

La réalité augmentée existe depuis des années dans différents domaines : industrie, médecine, architecture, avec des applicatifs développés par des entreprises comme Thalès. Ce n’est pas un gadget : des chirurgiens opèrent grâce à elle, des architectes l’utilisent dans leurs projets.

Chez Snapchat, dans la vie courante, plus de 350 millions de personnes utilisent la réalité augmentée au quotidien sur notre plateforme. C’est déjà massif. Nous sortons cette technologie de son contexte ludique pour l’installer dans les collections permanentes, les concerts, les jardins de châteaux, là où cela nous paraît pertinent.

Avec l’adoption des lunettes de réalité augmentée, je pense que les audioguides seront progressivement remplacés par des visites guidées immersives. On mettra une paire de lunettes et on sera guidé avec des informations dans notre champ de vision. C’est l’un des premiers cas d’usage qui va apparaître.

Quelles sont vos ambitions ? Êtes vous restreint à la France ou aux pays limitrophes ?

Nous sommes le seul AR Studio de Snapchat dans le monde. Nous commençons à sortir du cadre 100 % français : nous avons fait plusieurs opérations en Angleterre avec le Royal Philharmonic Orchestra, la National Portrait Gallery et le Design Museum. Londres est proche et le marché est accessible.

Nous nous développons progressivement au Moyen-Orient, où la culture est en pleine expansion. La semaine dernière, nous avons annoncé un partenariat avec la Villa Hegra, une résidence d’artistes en Arabie Saoudite ouverte par la France et l’Arabie Saoudite, qui rejoint le réseau des résidences comme la Villa Médicis à Rome. Nous sommes leur partenaire technologique pour que les artistes en résidence puissent bénéficier de notre accompagnement.

Nous restons une petite équipe de 12 personnes, nous ne pouvons pas servir le monde entier. Notre critère est que chaque projet, quel que soit l’endroit, doit avoir une résonance internationale. C’est ainsi que nous en retirons les fruits.

Snap Inc.

Réseau social, application de partage de photos et de vidéos éphémères (disparaissant 10 secondes après avoir été vues par leurs destinataires)

• Fondé en 2011

• Fonctionnalités (Snapchat) : Snapchat Stories, Snapchat Discover et Snap Store (depuis 2018)

• Création de l’AR studio, destiné à explorer les usages culturels et éducatifs de la réalité augmentée, en décembre 2022

• Co-directeur général et co-fondateur : Evan Spiegel

• Co-fondateur et directeur technique : Robert « Bobby » Murphy

• Directeur général de Snap Inc. France : Grégory Gazagne

• Directeur de l’AR studio Paris  : Antoine Gilbert

• Nombre d’utilisateurs : 453 millions d’utilisateurs au quotidien au 21/03/2025

• Chiffre d’affaires 2023 : 4,6 Md$ (4,24 Md€)

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Catégorie : Divers Privé


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Fiche n° 15194, créée le 19/10/2023 à 14:04 - MàJ le 16/10/2025 à 11:35


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