Think 2025 : « S’engager sur un marché, c’est 3 à 5 ans d’investissements récurrents » (C. Arnou, UPFI)

News Tank Culture - Paris - Actualité n°410241 - Publié le
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©  Seb Lascoux
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« On ne peut pas parler d’export sans parler de streaming aujourd’hui. Le terrain de jeu est mondial, globalisé. On accède à ce terrain de manière plus facile, même si la concurrence est féroce. (…) L’export aujourd’hui, c’est 30 % du chiffre d’affaires des labels en moyenne. C’est une proportion assez conséquente, d’ailleurs plus importante que l’export pour le cinéma français. Et puis nous sommes dans une économie de la musique très porteuse : la croissance de la musique française est 14 fois plus importante que le PIB Produit intérieur brut français. (…) La musique française devrait être l’un des piliers de la stratégie de la France et de son influence. C’est un enjeu de compétitivité nationale. (…) Quand la Corée du Sud investit massivement sur sa musique, elle ne fait pas de la culture, elle fait de l’économie et se fabrique un soft power. Il faut comprendre cela. Et aujourd’hui, la création française a autant de valeur que le luxe ou l’aéronautique français », déclare Clarisse Arnou Présidente @ Union des producteurs phonographiques français indépendants (UPFI) • Gérante et co-directrice @ Yotanka (Label & Publishing)
, gérante du label Yotanka et présidente de l’UPFI Union des producteurs phonographiques français indépendants , lors du débat « La musique : comment se porte l’export ? Comment se porte l’import ? », organisé dans le cadre de la 10e édition de Think Culture, à la Cité des Sciences et de l’Industrie (Paris 19e), le 04/09/2025.

« L’export doit être une priorité pour les acteurs de la filière et pour les pouvoirs publics. Pour trois raisons. La première, c’est que la distribution des contenus à l’échelle mondiale n’a jamais été aussi facile. (…). La deuxième, c’est qu’en réalité le marché français est très étroit, trop étroit. Nous travaillons d’ailleurs, avec les acteurs du secteur, à essayer de le faire grossir car le streaming n’a à l’évidence pas encore atteint son plein potentiel sur notre territoire. La troisième, c’est que la croissance de demain se situe à l’étranger, en particulier dans les marchés émergents, où plus de la moitié des nouveaux abonnements au streaming sont effectués aujourd’hui. (…) Certes, il y a dans ces pays un enjeu de monétisation, puisque leurs abonnements rapportent moins que dans les marchés matures, mais c’est là que se situe la croissance », ajoute Jean-Baptiste Gourdin Président @ Centre national de la musique (CNM)
, président du CNM Centre national de la musique .

« Sur l’Afrique, et notamment ce qui se passe en ce moment sur l’afrobeats, la France a une position culturelle unique : elle est le territoire où il faut réussir avant de percer dans tous les autres territoires. Je l’ai vu avec Rema, où la stratégie première a été d’aller très vite aux États-Unis, sans succès. Ce n’est qu’en revenant en France que le succès a commencé à venir avec “Calm Down”. C’est le premier marché dans lequel l’artiste a “breaké”, et qui lui a permis de s’exporter dans le monde entier ensuite », constate Thomas Lorain Directeur général de Virgin Records @ Universal Music France
, directeur général de Virgin Records.

News Tank rend compte des échanges.


La dynamique à l’export : ses raisons et ses limites

  • « La “pop culture” a été dominée par les Anglo-Saxons pendant de nombreuses années. L’essor du streaming et des algorithmes a permis aux artistes de développer des communautés, et de s’affranchir du schéma classique et des médias traditionnels, pour se faire connaître. Ce phénomène est mondial. La segmentation des genres musicaux et l’apparition de nouvelles communautés ont permis de bousculer l’ordre établi depuis des années par l’industrie anglo-saxonne.
  • Par ailleurs, les “trends” sur TikTok Application mobile de partage de vidéo et de réseautage social• Création : septembre 2016• Développée par l’entreprise chinoise ByteDance• Mission : permettre aux utilisateurs de visionner des clips… peuvent redonner vie à des titres quelques années après leur sortie, avec à la clé des succès assez importants, sans raison particulière de prime abord. Nous avons connu cela récemment avec Lewis OfMan qui a connu un très gros succès au Mexique avec le titre “Siesta Freestyle”, qui n’était pas un single. Toutefois, il n’y a pas de fumée sans feu. Un travail préalable avait été effectué en Amérique, depuis plusieurs années, et cela explique en partie l’apparition de cette “trend”.
  • Je ne suis pas certain que les artistes aient plus envie de développer leur carrière à l’international qu’auparavant. Cela dépend vraiment des profils d’artistes, et de leur appétence. Certains n’en ont pas plus envie que cela, et d’autres sont au contraire très emballés. Par exemple, et dans des genres très différents, Zaho de Sagazan et Theodora veulent connaître un succès global et sont prêtes à s’investir pour cela. »

    Thomas Lorain

  • « L’export a toujours fait rêver, et les artistes ont raison de vouloir tenter l’aventure. On ne peut pas parler d’export sans parler de streaming aujourd’hui. Le terrain de jeu est mondial, globalisé. On accède à ce terrain de manière plus facile, même si la concurrence est féroce. La viralité permise par les réseaux sociaux offre parfois un alignement de planètes qui permet à un artiste de se développer sur un territoire. Territoire sur lequel il avait très certainement des prédispositions pour s’implanter.
  • Clarisse Arnou - ©  SebLascoux
    L’export aujourd’hui, c’est 30 % du chiffre d’affaires des labels en moyenne. C’est une proportion assez conséquente, d’ailleurs plus importante que l’export pour le cinéma français. Et puis nous sommes dans une économie de la musique très porteuse : la croissance de la musique française est 14 fois plus importante que le PIB Produit intérieur brut français. Dans ce contexte, l’export est le terrain de jeu principal pour les artistes et pour les entreprises. Et la musique française devrait être l’un des piliers de la stratégie de la France et de son influence. C’est un enjeu de compétitivité nationale.
  • Le streaming permet d’ouvrir le champ des possibles, mais comment tirer son épingle du jeu quand 120 000 titres sortent tous les jours, dont environ 20 % seraient des contenus générés par l’IA Intelligence artificielle  ? Comment amorcer de réelles stratégies pour aller chercher de la croissance sur d’autres territoires ?
  • Aujourd’hui, tout le monde a les yeux rivés sur les territoires émergents, car 50 % des nouveaux abonnements au streaming proviennent de là. Tout le monde a envie d’aller aborder ces marchés, mais il faut pour cela être outillé. Aujourd’hui, seules les plus grosses entreprises peuvent se le permettre.
  • Chez nous, la part du chiffre d’affaires à l’export n’est pas de 30 % mais de 60 %. Car dans l’histoire du label, nous avons eu la chance, au tout début de TikTok il y a sept ans, de voir l’un de nos artistes, Kid Francescoli, devenir viral aux États-Unis grâce au titre “Moon”. Et ce titre fonctionne toujours aussi bien.
  • Quand un titre s’emballe comme cela à l’étranger, c’est toute la machine qui se met en route : tournée, etc. L’économie générée à partir de cette viralité est phénoménale. Et c’est finalement tout le répertoire de l’artiste qui est tiré par cette locomotive. Ce sont des phénomènes sur lesquels il faut surfer pour développer des carrières. Car en soi, la viralité d’un titre sur un territoire ne signifie pas qu’on va y installer une carrière durable. La clé, alors, est d’avoir des stratégies convergentes avec le producteur de spectacle et l’éditeur pour travailler ce territoire dans la durée. Et cela nécessite beaucoup de moyens, et demande à toutes les parties d’investir. »

    Clarisse Arnou

  • « Aujourd’hui, tout va très vite. Grâce à des outils comme Soundcharts ou Chartmetric, ou encore les datas tirées des plateformes de streaming, on peut très facilement identifier les endroits du monde où se trouve le public d’un artiste. Avec l’expérience, on apprend à mettre en perspective ces données : pour un artiste, avoir 100 000 auditeurs mensuels aux États-Unis ou en Grèce, ce n’est pas la même chose, si l’on compare la population des deux pays. On vendra plus de billets en Grèce, c’est une certitude.
  • Depuis le début de nos échanges, j’entends parler de “musique française”. Je parlerais plus volontiers de musique “produite en France'” Il existe de grands succès à l’export portés par des structures françaises mais qui émanent d’artistes étrangers : Amadou et Mariam, Salif Keita… Chez Junzi, nos dernières signatures sont des artistes espagnol, mexicain, allemand, que l’on représente pour le monde entier. Et pour lesquels très vite, on va identifier des publics assez importants.
  • Nous avons par exemple vécu une belle histoire avec un pianiste canadien, Tony Ann, qui va entamer une tournée nord-américaine et enchaînera ensuite avec l’Asie. Je le retrouve mi-novembre en Inde : il va se produire à Bombay dans une salle assez récente, dans laquelle il sera le troisième artiste occidental à se produire. De nombreuses opportunités s’offrent à nous à l’international.
  • Pour n’importe quel producteur, il est devenu extrêmement coûteux de faire voyager un artiste et son équipe dans le cadre d’une tournée à l’étranger. Rien que l’hôtellerie peut être extrêmement onéreuse. Pour la première date américaine de Woodkid aux États-Unis, nous logions dans une auberge de jeunesse à Brooklyn, dans des chambres que nous partagions. Aujourd’hui, pour le même artiste, il y a une équipe de 25 personnes sur la route, et les standards de l’équipe ont changé. La moindre nuit d’hôtel va coûter, pour toute l’équipe, 10 000 $ au total. Si nous arrivons la veille, c’est le double. Les frais à engager s’envolent très vite.
  • Il nous a fallu repenser le modèle de production et privilégier parfois les artistes dont la production est plus légère. Car si on veut aller loin, et vite, il faut savoir être agile. Ainsi, Tony Ann est seul sur scène, accompagné d’un seul technicien, ce qui simplifie beaucoup de choses. Cela nous a permis de faire plus de 100 dates à travers le monde, de Santiago du Chili à Taïpei, en 18 mois. »

    Clotaire Buche

  • « On manque de données économiques fiables sur l’export, comparé à d’autres industries culturelles qui savent évaluer leur poids à l’international. C’est d’ailleurs la raison qui nous a poussés à lancer une grande étude sur le poids économique de la filière musicale française à l’export, live et phono. Nous espérons pouvoir livrer les résultats début 2026.
  • Jean-Baptiste Gourdin - ©  SebLascoux
    Toutefois, nous avons quelques indicateurs qui nous permettent d’évaluer ce poids de l’export. En premier lieu, le SNEP Syndicat national de l’édition phonographique fait état de 162 M€ de revenus pour la production phonographique française à l’export en 2024. Ramené à la taille du marché mondial de la musique enregistrée, qui représente 30 Md€, c’est peu. Mais rapporté au total du marché français, c’est un tiers des revenus du secteur. C’est massif, et évidemment bien supérieur à ce que cela pouvait être du temps du disque. Et puis, 162 M€, c’est plus que les revenus des ventes de films français à l’étranger, lesquelles s’élèvent à 127 M€, selon le CNC Centre national du cinéma et de l’image animée . Enfin, ce montant de 162 M€ est en hausse de 19 % par rapport à 2023, alors que la hausse globale du marché mondial n’était cette année-là que de 5 %. Cela prouve bien la dynamique.
  • Du côté des certifications, autre indicateur significatif, leur nombre a augmenté de 23 % pour les albums et de 27 % pour les singles, entre 2023 et 2024.
  • L’export doit donc bien évidemment être une priorité pour les acteurs de la filière et pour les pouvoirs publics. Pour trois raisons.
  • La première, c’est que la distribution des contenus à l’échelle mondiale n’a jamais été aussi facile. Ce qui ne veut pas dire qu’il est facile pour un artiste de percer.
  • La deuxième, c’est qu’en réalité le marché français est très étroit, trop étroit. Nous travaillons d’ailleurs, avec les acteurs du secteur, à essayer de le faire grossir car le streaming n’a à l’évidence pas encore atteint son plein potentiel sur notre territoire.
  • La troisième, c’est que la croissance de demain se situe à l’étranger, en particulier dans les marchés émergents comme l’a dit Clarisse, où plus de la moitié des nouveaux abonnements au streaming sont effectués aujourd’hui. Selon les projections de Goldman Sachs, à horizon 2035, trois quarts des nouveaux abonnés proviendront des marchés émergents. Certes, il y a dans ces pays un enjeu de monétisation, puisque leurs abonnements rapportent moins que dans les marchés matures, mais c’est là que se situe la croissance. »

    Jean-Baptiste Gourdin

Quelle réponse des pouvoirs publics, et du CNM, sur les besoins à l’export ?

  • « Un succès à l’export, c’est toujours la rencontre de deux choses : un phénomène viral un peu spontané qu’on ne sait pas toujours expliquer, ou alors a posteriori, et une stratégie, qui n’est jamais uniquement du fait du label ou du tourneur, mais qui est à 360°. Cette stratégie, elle s’appuie aussi sur de la data extrêmement fine, qui permet de détecter là où il y a de l’appétence.
  • C’est en prenant en compte cette stratégie globale des acteurs autour d’un artiste que nous concevons nos outils d’aide au CNM.
  • Notre soutien consiste, d’une part, en un pilier financier. Le montant global de ces aides reste modeste au regard des enjeux, il faut bien le reconnaître. L’an dernier, l’enveloppe s’élevait à environ 4 M€. D’autre part, notre soutien repose sur des aides non financières : du conseil, de la mise en relation, des webinaires, des collaborations artistiques, des sessions de coécriture… Au total, environ 1 000 structures sont accompagnées sur du financier ou du non-financier.
  • Sur le financier, il existe deux niveaux d’aide aux projets à l’international. Le premier pour accompagner les premiers pas, le second pour soutenir des projets qui disposent d’une stratégie plus solide. Des discussions sont en cours avec la filière musicale pour créer un troisième niveau d’aide, afin d’accompagner des champions à l’export.
  • Le modèle de financement du CNM repose sur deux taxes, billetterie et streaming. Leur rendement est proportionnel à la taille du marché français. Outre la consommation d’artistes français, ce marché est composé aussi d’import. Quand un consommateur écoute un artiste français en streaming et va au concert d’un artiste étranger, cela rapporte de l’argent au CNM pour aider la filière française. Le rendement de ces taxes est très dynamique, même si leur plafonnement est un sujet de préoccupation actuellement. Mais sous cette réserve, grâce au dynamisme des taxes, on peut imaginer amplifier nos programmes d’aides dont celui qui concerne l’export. »

    Jean-Baptiste Gourdin

  • « S’engager sur un marché, c’est être dans une récurrence d’investissement pendant trois à cinq ans. C’est colossal. Les États-Unis par exemple ont souvent été un objectif pour de nombreux artistes et labels. Les sommes à investir là-bas pour aller chercher les radios, jouer sur tout le territoire qui est immense, et in fine aller chercher un Grammy, comme Justice cette année, sont massifs.
  • Évidemment, et encore plus pour les labels indépendants qui n’ont pas de filiales sur place pour soutenir un développement à l’étranger, les aides du CNM sont déterminantes. Et, je dois le dire, elles sont à date insuffisantes, et doivent monter en puissance.
  • Cela doit être une priorité pour la filière, pour le CNM mais aussi pour les pouvoirs publics plus généralement. Quand la Corée du Sud investit massivement sur sa musique, elle ne fait pas de la culture, elle fait de l’économie et se fabrique un soft power. Il faut comprendre cela. Et aujourd’hui, la création française a autant de valeur que le luxe ou l’aéronautique français.
  • En guise de contre-exemple, on parle d’amapiano, genre musical qui vient d’Afrique du Sud, partout en ce moment. On retrouve des sons d’amapiano dans des productions du monde entier. En revanche, est-on capable de citer un artiste de ce genre qui est parvenu à s’exporter ? Non. C’est pour cela qu’il faut une stratégie véritablement coordonnée par les pouvoirs publics. En France, pour aller chercher cette promesse de croissance, il faut investir plus d’argent. »

    Clarisse Arnou

  • « Je rejoins Clarisse sur le constat relatif aux investissements nécessaires pour accompagner les artistes, qui sont absolument monumentaux. Le relais qu’une major peut avoir avec ses filiales est, évidemment, un avantage. Mais pour amorcer la pompe, il faut que, de notre côté, nous soyons proactifs. Les datas nous permettent de voir s’il y a des communautés de fans ici et là dans le monde, comme cela a été le cas avec Polo & Pan il y a sept ans : on voyait que 40 % des streams se faisaient de manière organique. C’est en investissant massivement en Europe, aux États-Unis puis en Amérique du Sud qu’ils ont pu obtenir un succès à l’étranger.
  • On évoquait tout à l’heure l’étroitesse du marché français. Quand en 2017 on a sorti “Caravelle”, premier album de Polo & Pan, on nous félicitait d’avoir été capables d’en vendre 20 000 exemplaires, en considérant qu’il s’agissait d’un projet “spé”. À date, il atteint les 500 000 ventes, dont les trois quarts ont été faits à l’étranger.
  • Et quand j’ai commencé à parler du projet à mes confrères de Caroline en Angleterre, ils ont aimé mais considéré qu’il s’agissait avant tout d’un projet destiné au public français… Donc il faut être en capacité d’investir quand on voit que les datas sont là. Les projets français sont souvent singuliers, dans un environnement de plus en plus formaté. On propose des choses différentes et l’on est connu pour cela. C’est en cela que les aides du CNM sont essentielles. »

    Thomas Lorain

  • « Parallèlement aux soutiens financiers, cruciaux, il y a aussi des enjeux non financiers, tout aussi décisifs, tels que l’obtention de visas par exemple, qui nécessitent des relais que le CNM n’a pas directement.
  • Par ailleurs, en termes d’esthétiques consommées en France et à l’export, on voit des différences notoires. En France, le streaming est largement dominé par les musiques urbaines. A l’export, c’est beaucoup plus diversifié. Bien sûr le rap fonctionne, c’est un quart de nos certifications à l’export, mais on voit aussi que la pop, le rock ou l’électro voyagent bien. Cela doit aussi interroger les choix d’investissement des acteurs français, en raisonnant sur le marché mondial et pas uniquement français.
  • Enfin, dans les enjeux stratégiques, il faut raisonner en termes de filière musicale mais aussi plus largement de filière ICC Industries culturelles et créatives . Parce que, de plus en plus, on voit des succès résultant d’une rencontre de deux ou plusieurs industries culturelles. Le succès, par exemple, du jeu vidéo “Clair Obscur : Expedition 33”, issu d’un studio indépendant montpelliérain, est en partie porté par sa bande originale, laquelle génère des écoutes sur les plateformes de streaming, dans des volumes assez significatifs pour une esthétique qui n’est pas des plus “mainstream”. »

    Jean-Baptiste Gourdin

Dans un marché local dominé par le répertoire local, est-il plus difficile de développer des artistes internationaux ?

  • « Je ne sais pas s’il est plus difficile aujourd’hui de développer des artistes internationaux en France ; c’est surtout différent. Et puis le succès ne peut pas se mesurer uniquement sur le volume de streams, lorsqu’on voit certains phénomènes émerger en live notamment. Par ailleurs, en k-pop par exemple, les artistes remportent un succès mesuré en streaming en France, mais en revanche, font des scores impressionnants en physique, parce qu’ils ont des fans très engagés. Donc, il faut regarder de manière plus globale l’économie des artistes.
  • Thomas Lorain - ©  SebLasoux
    Sur l’accès au marché et aux fans, le phénomène des communautés est très important. Des succès peuvent arriver par des titres, et pas des albums. J’ai vécu cela avec David Kushner, un auteur-compositeur américain folk, qui a connu un énorme succès en parvenant à engager le public via TikTok sur sa chanson “Miserable Man”. Même chose pour les Anglais de Glass Animals, un des premiers groupes avec qui j’ai travaillé sur le label Caroline il y a plus de 10 ans. Nous avions réussi à faire beaucoup de promo, atteignions les 5 000 albums vendus et étions parvenus à remplir un Elysée-Montmartre. Cinq ans après, le titre “Heat Waves” est devenu une “trend” mondiale et le groupe a explosé !
  • Aujourd’hui, partout dans le monde, on est dans des stratégies de développement globales. Ce qui change, de ce fait, c’est que les Anglo-Saxons n’ont plus la mainmise sur les développements mondiaux comme ils pouvaient l’avoir auparavant.
  • Pour les artistes internationaux, les temps de promo sur place ont peut-être tendance à se raréfier, notamment pour des raisons de coûts. Mais, et on rejoint les mêmes problématiques qu’à l’export, il faut avoir conscience de cette assertion : “get local to be global”. Cela passe par des collaborations artistiques, bien sûr. Mais aussi par la capacité des artistes à rentrer dans la culture locale pour s’y faire une place, comme le fait Dua Lipa en reprenant des tubes locaux, ou encore Rema, un artiste nigérian qui, quand il venait en France, passait son temps à tourner des contenus dans tout le pays. Ses statistiques sur les réseaux sociaux étaient complètement folles. »

    Thomas Lorain

La prédominance du répertoire local en France, une réalité en trompe-l’œil ?

  • « Si l’on regarde uniquement le streaming dans le monde, les catalogues locaux sont performants dans leurs pays respectifs. C’est d’ailleurs une ironie de l’histoire car tout le monde pensait qu’avec le développement du streaming, on assisterait à une uniformisation des goûts et de la consommation. Il n’en est rien. On assiste au contraire à une “glocalisation”.
  • En France, les derniers chiffres disponibles, que nous allons publier dans la prochaine étude relative à la diversité dans le streaming, montrent que, dans le Top 10 000, les titres produits à l’étranger représentent 58 % du classement, et 53 % du nombre de streams. Le répertoire international est légèrement majoritaire. La production française se porte bien, donc, mais elle n’est pas massivement consommée au global, comme peuvent le laisser supposer le Top 20 ou même 200. Surtout, son poids n’est pas si éloigné de celui qui était le sien dans l’ère pré-streaming, où l’on estimait qu’il était à peu près de 50 %. Ce qui a changé, c’est la nature des contenus consommés, avec une prédominance du back catalogue dans le Top 10 000.
  • Dans le live, il n’existe pas de statistiques permettant d’évaluer la situation. Bien entendu, on voit les grandes stars internationales remplir les stades et les arenas. Sur les dates uniques qui rassemblent le plus de spectateurs en 2024, huit des 10 plus importantes sont le fait d’artistes internationaux. Mais si l’on regarde les tournées, donc en agrégeant les représentations successives, le Top 10 est quasi exclusivement français. Seule Taylor Swift figure dans le Top 10, avec ses six représentations en France. Cela illustre le fait que les stars internationales ne viennent généralement que sur un nombre restreint de représentations et dans des salles de grande capacité, alors que le gros de la consommation de spectacle se fait dans des salles de petite et moyenne capacités.
  • Sur cette notion d’import, j’ajouterais que les stars internationales font, de plus en plus, l’impasse sur les festivals français. Il arrive même qu’elles fassent tout simplement l’impasse sur la France. J’en veux pour preuve la tournée à venir de Radiohead, annoncée tout récemment, qui passe partout sauf en France. C’est d’autant plus étonnant que nous avons sur le territoire une infrastructure de salles de grande qualité, et donc a priori attractive. »

    Jean-Baptiste Gourdin

  • Clotaire Buche - ©  SebLascoux
    « Je préciserais que les concerts de Radiohead ne concernent que cinq pays, et qu’il s’agit de résidences, puisque le groupe va donner quatre concerts dans chaque salle. Or, en France, pour avoir une salle de grande capacité libre quatre ou cinq soirs la même semaine, dans l’année et demie qui vient, c’est quasi impossible.
  • En tant que producteur de spectacles, nous organisons des concerts d’artistes étrangers. Ce qui a radicalement changé dans notre métier, c’est le marketing, qui est devenu quasi exclusivement digital. Les coûts ne sont pas les mêmes : les investissements sont bien plus abordables aujourd’hui, avec des campagnes qui coûtent entre 500 et 1 000 €. C’est 10 fois moins que lorsqu’on devait investir en radio et en affichage. »

    Clotaire Buche

  • « En termes d’import, la France demeure un territoire attractif pour des artistes qui viennent d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique du Sud. Elle reste une porte d’entrée sur l’Europe. Le France est un territoire de diversité, comme en témoignent les nombreux succès à l’export, de Zaho de Sagazan à Gojira. Je ne crois pas que l’import vienne contraindre l’export. Ce sont des dynamiques qui se nourrissent. »

    Clarisse Arnou

  • « Sur l’Afrique, et notamment ce qui se passe en ce moment sur l’afrobeats, la France a une position culturelle unique : elle est le territoire où il faut réussir avant de percer dans tous les autres territoires. Je l’ai vu avec Rema, où la stratégie première a été d’aller très vite aux États-Unis, sans succès. Ce n’est qu’en revenant en France que le succès a commencé à venir avec “Calm Down”. C’est le premier marché dans lequel l’artiste a “breaké”, et qui lui a permis de s’exporter dans le monde entier ensuite. »

    Thomas Lorain

  • « Dans l’environnement géopolitique actuel, lorsqu’on parle de commerce international, certains partenaires ont tendance à adopter la logique de “jeu à somme nulle”. Dans le cas de la filière musicale, on n’est pas dans cette logique. Les pays qui sont très forts sur leur répertoire local sont aussi très forts à l’export et très accueillants, d’un point de vue économique et culturel, pour les artistes internationaux. Si l’objectif est de promouvoir notre filière, il ne faut pas raisonner en termes de rééquilibrage d’une balance commerciale, en fermant la porte aux artistes internationaux. Cela ne fonctionne pas ainsi. »

    Jean-Baptiste Gourdin

Des productions qui fonctionnent bien en France mais ne sont pas suffisamment calibrées pour l’export ?

  • « Les artistes sont dans un processus créatif qui leur est propre. Je ne suis pas certains qu’ils créent en pensant toucher un public dans le monde en particulier. Et si c’est le cas de certains, c’est le meilleur moyen pour ne pas arriver à ses fins. En tout cas, ce n’est pas l’essence du métier de producteur. On n’aborde jamais une production en se disant que ça va plaire à un pays en particulier.
  • Le constat, c’est qu’il y a des musiques qui voyagent mieux que d’autres. Autre fait marquant aussi, la barrière de la langue n’existe quasiment plus. On écoute avec plaisir de la musique brésilienne sans nécessairement comprendre le portugais. La musique revêt un aspect universaliste très fort qui, avec le streaming, est décuplé. »

    Clarisse Arnou

  • « Ce qui a toujours fonctionné à l’export, c’est la singularité. Depuis toujours, le constat est de ne pas chercher à imiter ce que font les autres. Avec le streaming, l’accès au marché est tellement facile et il y a une telle offre que ceux qui émergent sont ceux qui apportent quelque chose de nouveau. Quand un artiste incarne quelque chose de manière très forte et authentique, l’impact qu’il a sur le marché français est similaire à celui qu’il peut avoir à l’étranger. »

    Thomas Lorain

Clarisse Arnou


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Parcours

Yotanka (Label & Publishing)
Gérante et co-directrice
Intuitive Records
Gérante

Fiche n° 6285, créée le 30/09/2014 à 11:41 - MàJ le 09/09/2025 à 16:32

Jean-Baptiste Gourdin


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Parcours

Autorité de la concurrence
Membre du collège
Cour des Comptes
Magistrat
Ministère de la Culture
Directeur général des médias et des industries culturelles
Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC MCC)
Chef du service des médias, adjoint au directeur général des médias et des industries culturelles
Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC MCC)
Sous-directeur du développement de l’économie culturelle
Conseil supérieur de l‘audiovisuel (CSA)
Directeur de cabinet du président Olivier Schrameck
Acte 2 de l’exception culturelle
Coordinateur de la mission
Association de préfiguration du Centre national de la musique
Directeur
Mission « Création et diversité musicale à l’ère numérique »
Rapporteur

Fiche n° 2793, créée le 07/03/2014 à 14:47 - MàJ le 09/09/2025 à 16:32

Clotaire Buche


• Élu « international agent of the year » à Musexpo (L.A) en 2016
• Nommé « best agent » au European Festival Awards 2017

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Parcours

Junzi Arts
Co-fondateur, responsable du booking et stratégie
Ekhoscènes
Représentant du syndicat au CA des Victoires de la Musique
Caramba Culture Live
De stagiaire à Responsable du booking

Fiche n° 1479, créée le 29/01/2014 à 22:25 - MàJ le 09/09/2025 à 16:32

Thomas Lorain


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Parcours

Universal Music France
Directeur général de Virgin Records
Universal Music Group
Coprésident de Virgin Music Group Europe
Universal Music France
Directeur général de Caroline France
Wagram Music S.A.S.
Directeur de wSphere et Wagram International
Naïve
Chargé du développement de l’activité internationale pour la variété et pour le classique
EMI Music/Virgin Records France
Chargé des sorties internationales des labels français
Sony Music Entertainment France
Gestionnaire des licences
Wagram Music S.A.S.
Responsable des ventes internationales

Fiche n° 1574, créée le 06/02/2014 à 17:08 - MàJ le 09/09/2025 à 16:32

News Tank Culture (NTC)

• Média d’information indépendant et innovant, spécialisé dans l’actualité de la musique, du spectacle vivant, des musées, monuments et du patrimoine et, depuis 2023, des nouvelles images.
• Création : septembre 2012
• Proposant à la fois un fil d’actualités, des dossiers de fonds, des interviews et de grands entretiens, des data et un annuaire des professionnels et des organisations, News Tank Culture s’adresse aux dirigeants et acteurs de la culture. Il organise également chaque année Think Culture, une journée d’échange et de débat autour de l’innovation dans le pilotage de la culture, avec la volonté de décloisonner les secteurs culturels.

• Direction :
- Bertrand Dicale, directeur général
- Anne-Florence Duliscouët, directrice de la rédaction
- Jacques Renard, directeur délégué Think Culture
- Angèle Boutin, directrice du développement

• News Tank Culture est une filiale de News Tank Network, créée par Marc Guiraud et Frédéric Commandeur, qui a également développé :
- News Tank Sport,
- News Tank Éducation et Recherche,
- News Tank RH Management,
- News Tank Cities,
- News Tank Mobilités,
- News Tank Énergies,
- News Tank Agro.

Le groupe emploie une centaine de collaborateurs.


Catégorie : Média
Maison mère : News Tank (NTN)


Adresse du siège

48 rue de la Bienfaisance
75008 Paris France


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Fiche n° 6882, créée le 03/04/2018 à 03:02 - MàJ le 10/09/2025 à 11:43

©  Seb Lascoux
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