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« Hyper sensible » au Musée d’arts de Nantes : « Casser le topos de l’exposition blockbuster »

News Tank Culture - Paris - Interview n°301640 - Publié le 29/09/2023 à 16:40
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©  D.R.
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L’exposition « Hyper sensible », proposée au Musée d’arts de Nantes du 07/03 au 03/09/2023, a accueilli 255 628 visiteurs avec une fréquentation journalière moyenne de 2 078 visiteurs. Il s’agit d’un record pour le musée, dont la fréquentation sur la période estivale n’avait par ailleurs jamais été aussi forte depuis sa réouverture après travaux en 2017, avec 123 283 visiteurs accueillis sur juillet-août. L’exposition présentait des sculptures hyperréalistes, mouvement artistique né aux États-Unis dans les années 1960, reposant sur un art figuratif, méticuleusement réaliste.

« Il s’agit en effet d’un score étonnant, voire de l’un des plus gros enregistré pour une exposition organisée en dehors de Paris cette année. Notre dernier record de fréquentation s’établissait à 147 000 visiteurs, soit 109 000 visiteurs de moins, accueillis lors de notre précédente “grande exposition”, “Charlie Chaplin dans l’œil des avant-gardes”, du 18/10/2019 au 03/02/2020. Il est donc certain que nous avons mobilisé des primo-visiteurs. Le public était également clairement plus jeune que pour nos expositions habituelles », indique Sophie Lévy, directrice du Musée d’arts de Nantes, à News Tank le 29/09/2023.

« Cette exposition a permis de casser le topos de l’exposition blockbuster, qui semblait dire que seule une monographie d’un artiste extrêmement célèbre permettait de réaliser une exposition à succès. Depuis la réouverture, du musée nous avons organisé beaucoup d’expositions thématiques, croisant l’art et la vie (“Hypnose”, “À la mode”, “Le Voyage en train”, etc.). Ce succès dit la possibilité de réinventer des choses en matière d’expositions à succès et de thématiques à aborder », ajoute Sophie Lévy, qui répond aux questions de News Tank.


Pourquoi souhaitiez-vous proposer une exposition reposant sur des œuvres hyperréalistes, un courant peu traité en France auparavant ?

Cette exposition ne se voulait pas un récapitulatif historique de l’utilisation de la technique hyperréaliste dans la sculpture. Elle mêlait deux générations d’artistes : une génération plus ancienne (Duane Hanson) qui pratiquait cette forme artistique aux États-Unis dans les années 1960 et une génération beaucoup plus récente, d’artistes vivants, qui ont recommencé à se saisir de cette technique dans les années 1990 (Tip Toland, Saana Murtti, Evan Penny, etc.). L’hyperréalisme a historiquement été influencé par le mouvement Pop Art. Il tendait au spectateur une forme de miroir du rêve américain, de la société de consommation. Nous avons été étonnés de voir ressurgir ce mouvement de manière beaucoup plus sporadique et non pas seulement au sein de discours communs ou d’un groupe constitué, d’où la volonté de monter cette exposition.

L’idée était de ne pas avoir une approche historique, mais plutôt sensible »

L’idée n’était pas d’avoir une approche historique, mais plutôt sensible et presque philosophique en interrogeant le rapport à l’œuvre, en se demandant ce qu’est vraiment une œuvre d’art. Cette exposition découle aussi d’une singularité du Musée d’arts de Nantes qui est la seule collection publique française à conserver depuis 2011 une sculpture de Duane Hanson, Flea Market Lady.

Dans quel contexte et pourquoi cette œuvre de Duane Hanson a-t-elle été intégrée aux collections du Musée d’arts de Nantes ?

C’est Blandine Chavanne
, directrice du musée à l’époque, qui a en fait l’acquisition en 2011, alors que l’établissement fermait pour travaux (de 2011 à 2017). Elle y a vu une mise en abyme du musée, puisque l’œuvre représente une femme qui vend des œuvres d’art sur un marché aux puces. Elle renvoie à un acte commercial pauvre, presque dérisoire. Blandine Chavanne y voyait aussi un lien avec les œuvres de figuration narrative des années 1970. Le fait qu’il s’agisse de la seule œuvre de Duane Hanson présente dans les collections françaises montre qu’il y a eu un manque d’intérêt pour cette forme artistique, qui constituait une rupture avec le canon esthétique à la française plus traditionnel. Elle présentait également une approche un peu trop directe pour les Français, souvent davantage séduits par un art plus conceptuel et cérébral.

Vous avez fait le choix d’une scénographie blanche très épurée, pour quelles raisons ?

La confrontation entre le vivant et sa représentation »

La scénographie découlait du concept de l’exposition proposé par sa commissaire scientifique, Katell Jaffrès, qui souhaitait se concentrer sur la figure humaine plutôt que sur l’aspect critique politique ou le caractère potentiellement monstrueux des sculptures hyperréalistes. Il y avait, au contraire, une volonté de revenir à l’une des origines les plus essentielles de l’œuvre d’art, c’est-à-dire la confrontation entre le vivant et sa représentation.

Cela faisait longtemps que nous travaillions sur ce projet, et ne savions pas qu’une exposition sur un thème proche (« Hyperréalisme »), conçue en Belgique, circulerait à la Sucrière de Lyon puis au Musée Maillol à Paris. Cette concomitance inattendue nous a conduits à différencier encore plus, par la scénographie, le propos de l’exposition de Nantes.

Que dire du public de cette exposition ? Était-il le même que sur des expositions de beaux-arts plus traditionnelles ? Êtes-vous parvenus à mobiliser de nouveaux visiteurs ?

Il s’agit en effet d’un score étonnant, voire de l’un des plus gros enregistré pour une exposition organisée en dehors de Paris cette année. Notre dernier record de fréquentation s’établissait à 147 000 visiteurs, soit 109 000 visiteurs de moins, accueillis lors de notre précédente « grande exposition », « Charlie Chaplin dans l’œil des avant-gardes ». Il est donc certain que nous avons mobilisé des primo-visiteurs. Le public était également clairement plus jeune que pour nos expositions habituelles.

Il n’est pas nécessaire de savoir des choses sur une œuvre pour en ressentir l’effet »

Un succès comme celui-là reste mystérieux. On peut noter qu’un grand silence régnait dans les espaces de l’exposition malgré la foule. Je me suis également rendue compte que l’exposition, contrairement à beaucoup d’autres, était d’autant plus efficace qu’on n’expliquait pas en amont ses enjeux. Nous avons mis à disposition du visiteur des éléments de contexte en deux endroits, mais mieux valait ne pas trop en faire afin de leur laisser la possibilité d’avoir chacun leur propre lecture. Cette dernière pouvait à la fois être personnelle et très universelle. Cette exposition portait en elle l’idée, assez inhabituelle, qu’il n’est pas nécessaire de savoir des choses sur les œuvres pour en ressentir l’effet.

• « Hyper sensible. Un regard sur le sculpture hyperréaliste », du 07/04 au 09/09/2023 : 230 000 visiteurs

• « Charlie Chaplin dans l’œil des avant-gardes », du 18/10/2019 au 03/02/2020 : 146 860 visiteurs

• « Nantes, 1886 : le scandale impressionniste », du 12/10/2018 au 13/01/2019 : 122 683 visiteurs

• « Le Voyage en train », du 21/10/2022 au 05/02/2023 : 107 447 visiteurs

• « Nicolas Régnier, l’homme libre », du 01/12/2017 au 11/03/2018 : 105 029 visiteurs

Comment avez-vous assuré la communication autour de cette exposition ? Avez-vous mis en œuvre des dispositifs de médiation spécifiques ?

Nous avons beaucoup communiqué sur cette exposition, comme nous essayons de le faire à chaque fois pour notre « grosse exposition », qui est un format que nous proposons tous les trois ans. Nous y dévouons des fonds supérieurs en matière de communication.

En revanche, nous n’avons pas développé d’opération de médiation particulière. Nous avions d’ailleurs deux zones assez minimalistes dans les parcours pour donner des informations, qui, d’une part, relatait une histoire de l’art américain de la seconde moitié du 20e siècle, et d’autre part, racontait la tradition ancienne d’une sculpture mimétique et en couleurs. Nous avons aussi publié des vidéos des artistes sur le site du musée et les réseaux sociaux. Nous avions malgré tout la volonté de laisser au public toute la liberté de son dialogue avec les œuvres. 

Il n’était, de surcroît, pas si facile de communiquer sur cette exposition dont l’affiche pouvait faire penser à une photographie. Toute la créativité des équipes (scénographes, maquettiste du catalogue, maquettiste de la communication, etc.) a toutefois pu être mobilisée pour aboutir à une forme de chant choral autour du parti-pris initial de Katell Jaffrès. Il est toujours intéressant de voir comment un collectif très varié peut se réunir autour d’une exposition, avant de se désunir à nouveau. Si la ligne initiale donnée est juste, les équipes et les prestataires y apportent naturellement leur note de créativité et le public ressent, presque physiquement et sans discours inutile, le sens recherché. 

Avez-vous été confrontés à des réactions surprenantes du fait de la singularité des œuvres ? Certains visiteurs ont-ils été déstabilisés ? 

Nous avions un certain nombre de craintes en amont, mais n’avons pas du tout eu droit à des discours questionnant la valeur artistique des œuvres exposées, ou pouvant les assimiler à des sculptures de cire comme celles du musée Grévin. Des visiteurs ont probablement été déstabilisés, mais vraisemblablement, même des amateurs de formats plus traditionnels se sont laissés surprendre. Dans cette exposition, quelque chose parlait aussi de l’époque, de la solitude des êtres et potentiellement du repli sur les outils numériques.

Réinventer des choses en matière d’expositions à succès et de thématiques à aborder »

Cette exposition a en tout cas permis de casser le topos de l’exposition blockbuster, qui semblait dire que seule une monographie d’un artiste extrêmement célèbre permettait de réaliser une exposition à succès. Depuis la réouverture du musée, nous avons organisé beaucoup d’expositions thématiques, croisant l’art et la vie (« Hypnose », « À la mode », « Le Voyage en train », etc.). Ce succès dit la possibilité de réinventer des choses en matière d’expositions à succès et de thématiques à aborder.

Sophie Lévy


• Conservatrice territoriale du patrimoine

• Formation HEC, maîtrise d’histoire de l’art contemporain et diplômée de l’Institut national du Patrimoine, spécialité musées


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Parcours

Le Voyage à Nantes
Directrice générale
Centre national des arts plastiques (CNAP)
Membre du conseil d’administration
Terra Foundation For American Art
Conservatrice et directrice adjointe
Musee d’Art Américain Giverny
Conservatrice en chef
Musée des Beaux-Arts de Dijon
Conservatrice (collections 19e et 20e siècle)

Fiche n° 15526, créée le 27/01/2016 à 10:04 - MàJ le 09/09/2024 à 11:33

Musée d‘arts de Nantes

• Inauguration en 1901
• Façades, toitures et escalier d’honneur inscrits au titre des monuments historiques depuis le 29/10/1975
• Équipement de Nantes Métropole depuis le 01/01/2015

• Fermeture pour travaux le 18/12/2011
• Réouverture le 23/06/2017

• Collection : 13 000 pièces allant du XIIIe siècle au XXIe siècle
• Fréquentation 2023 : 422 328 visiteurs (+78 %)

• Directrice : Sophie Lévy (depuis juillet 2016 jusqu’en décembre 2024)

• Contact : Audrey Busardo, responsable du service communication
• Tél. : 02 51 17 45 40


Catégorie : Musée


Adresse du siège

10, rue Georges-Clemenceau
44000 Nantes France


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Fiche n° 651, créée le 14/10/2013 à 12:00 - MàJ le 20/09/2024 à 15:35

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