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« Rénover en laissant les traces du temps » (Ophélie Ferlier-Bouat, musée Bourdelle)

News Tank Culture - Paris - Entretien n°282929 - Publié le 15/03/2023 à 14:00
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©  Pierre Antoine
Ophélie Ferlier-Bouat - ©  Pierre Antoine

Le musée Bourdelle (Paris 15e) fermé au public depuis le 21/08/2022, dans le cadre d’une campagne de travaux débutée en décembre 2021, rouvre la totalité de ses espaces le 15/03/2023. Ces travaux « de sauvegarde et de consolidation », engagés par la Ville de Paris • Maire de Paris : Anne Hidalgo • Conseiller culture, nuit et patrimoine : Hugues Charbonneau (depuis le 12/02/2024) • Adjointe en charge de la culture : Carine Rolland (depuis…  et Paris Musées, ont porté sur le bâtiment le plus ancien de l'établissement, construit en 1878. Un parcours des collections densifié et une scénographie repensée, avec de nouveaux dispositifs de médiation, ont également été installés.

« Le point de départ des travaux était de rénover le bâtiment le plus ancien du musée : le bâtiment des ateliers (…) Nous avons en revanche laissé les traces du temps qui sont des témoins de l’activité du lieu et lui donnent sa patine. Le mobilier a été replacé à l’identique, tandis que pour les sculptures, nous sommes allés encore plus près de ce qui existait du vivant de Bourdelle. À partir de photographies d’époque, nous avons réalisé un travail de détectives, consistant à retrouver les œuvres et à les réaccrocher à leur emplacement d’origine », déclare Ophélie Ferlier-Bouat, directrice du musée Bourdelle, à News Tank le 15/03/2023.

« Dans l’ancienne salle des techniques, nous avions déjà des bronzes à toucher, nous les avons redistillés dans de nouveaux dispositifs. Il s’agit d’une offre importante pour nous, notamment destinée au public malvoyant. Nous proposons, entre autres, des jeux d’éclairage, pour découvrir l’une de ces sculptures à travers une mise en lumière qui modifie radicalement la perception de l’œuvre. Nous avons aussi le bronze « Daphné changée en laurier » qui invite à d’abord appréhender l’œuvre par une description sonore, pour ne la découvrir visuellement que dans un second temps. Ce dispositif, inspiré de l’audiodescription, permet de laisser une part énorme à l’imagination", indique également Ophélie Ferlier-Bouat.


Pourquoi la réalisation d’une campagne de travaux était-elle nécessaire au sein du musée ? Quelle a été le parti-pris pour cette rénovation ?

Le point de départ des travaux était de rénover le bâtiment le plus ancien du musée : le bâtiment des ateliers, édifié en 1878. Cet espace a été construit de manière très légère, ce qui était souvent le cas de ces bâtiments destinés à être occupés par des artistes, pour un usage locatif. Il s’agit d’un édifice avec une structure en pans de bois dont les fondations étaient quasiment inexistantes. Il a de surcroît été construit au-dessus de carrières, ce qui faisait que le bâtiment jouait énormément. Il était sous surveillance depuis longtemps, d’où la décision de faire quelque chose pour le consolider, afin de pouvoir le transmettre aux générations futures.

L’atelier restauré d’Antoine Bourdelle - ©  NTC

Ce bâtiment abrite l’atelier de sculpture d’Antoine Bourdelle, lieu qui n’avait jamais bougé. En cela, il s’agit d’un témoin de l’époque constituant une rareté parmi les ateliers d’artistes, puisque ces derniers sont généralement remaniés dans une perspective muséographique. Les travaux ont longtemps été retardés, car nous cherchions une solution technique permettant de restaurer cet espace sans en altérer l’apparence. Cette solution nous a été apportée par l’entreprise en charge des travaux. L’idée consistait à créer une structure de profilé métallique venant doubler les poteaux en bois de la façade, de manière verticale, par l’intérieur du bâtiment. Ces derniers se connectent à des barres métalliques intégrées dans les planchers du rez-de-chaussée et du premier étage. C’est ce système qui permet désormais de supporter intégralement le bâtiment.

Il a aussi fallu creuser les sols pour combler les carrières. Nous avons pu refaire leur isolation, couler une chape de béton et reposer à l’identique les lattes de parquet qui avaient été numérotées lors de leur retrait. Nous sommes également intervenus sur les murs à cause de problèmes d’humidité, nous avons réalisé des compléments en bois, retravaillé les lambris ou restauré la peinture qui présentait des problèmes d’adhérence. Nous avons demandé à une équipe de restauration d’intervenir pour refixer les peintures et faire quelques retouches d’harmonisation.

Nous avons en revanche laissé les clous, les fissures, les traces du temps qui sont des témoins de l’activité du lieu et lui donnent sa patine. Nous avons aussi restauré l’ensemble des structures et du mobilier. Ce dernier a été replacé à l’identique, tandis que pour les sculptures, nous sommes allés encore plus près de ce qui existait du vivant de Bourdelle. À partir de photographies d’époque, nous avons réalisé un travail de détectives, consistant à retrouver les œuvres et à les réaccrocher à leur emplacement d’origine (c’est le cas du Christ en croix raccroché à la mezzanine), nous avons aussi remis de petites sculptures dans la vitrine de la mezzanine, comme le faisait Bourdelle.

Périmètre de l’opération : « environ 450 m2 » de surface hors œuvre
Coût total de l’opération : 5 millions d’euros
Maîtrise d'œuvre : Lefèvre SAS, en tant que mandataire
Maîtrise d’ouvrage : Paris Musées, Direction des Constructions Publiques et de l’Architecture de la Ville de Paris

Pour quelles raisons avoir remplacé les bronzes par des statues en pierre et en plâtre ?

Donner l’impression de se trouver à l’endroit même de la création »

Des bronzes avaient, en effet, été disposés sur les sellettes et la grande table paysanne situées dans l’atelier de Bourdelle. Or, ces bronzes n’avaient pas grand-chose à faire dans un atelier de sculpteur. L’artiste va plutôt tailler la pierre ou donner un plâtre au fondeur qui se chargera de produire les bronzes. Bourdelle ne plaçait donc quasiment pas de bronzes dans son atelier, même à l’époque où ce dernier lui servait de vitrine de sa collection et de ses œuvres. Nous sommes revenus à l’exposition d’œuvres en plâtre ou en pierre issues de nos collections et que nous pouvions voir sur les photographies. Elles sont plus fragiles, mais permettent un rendu beaucoup plus réaliste. Elles donnent l’impression de se trouver à l’endroit même de la création, dont le sculpteur se serait tout juste absenté.

Le parcours des collections a été repensé et densifié à l’issue des travaux. De quelle manière ? Quels sont les objectifs de la nouvelle scénographie ?

L’idée de départ a été de réemployer le mobilier muséographique existant, à savoir des sellettes et des vitrines qui permettaient de conserver l’esprit d’atelier. Or, ce mobilier présentait des limites, par exemple le fait de ne pouvoir présenter qu’une sculpture par sellette. Nous souhaitions montrer le processus créatif à l’œuvre, ce qui impliquait de montrer plus de pièces, plusieurs états d’une même sculpture. Le système qui nous a été proposé consistait à proposer, à différents endroits du parcours, plusieurs sellettes sur un grand plan horizontal, ce qui nous permettait de composer comme nous l’entendions.

Nous avons aussi désossé certaines vitrines en laissant seulement un cadre ouvert. Cette idée nous a séduits, car le fait de laisser un cadre permettait de mettre en valeur les œuvres, tout en gardant une proximité avec la sculpture. On nous a aussi proposé d’apposer une couleur légère sur les murs, à savoir un gris très proche de celui qu’on peut trouver dans le bâtiment des ateliers. Il s’agit d’un gris très chaud qui permet de redonner de la profondeur aux sculptures et de valoriser leurs matériaux, tout en conservant la luminosité des ateliers à laquelle nous tenions beaucoup. Ce gris permet notamment de faire mieux ressortir les marbres blancs tout en présentant moins de contraste avec les bronzes.

Nous voulions raconter la vie et l’œuvre de Bourdelle en six salles chrono-thématiques. La première salle comprend un mur avec une chronologie et des écrans pour retracer, de manière très visuelle, la carrière de Bourdelle. La mise en contexte reste aussi très présente dans l’ensemble du parcours avec des photographies et des fac-similés de dessins au mur. Nous voulons montrer que Bourdelle n’est pas seulement un sculpteur, mais aussi un photographe fantastique et un dessinateur, d’autant que ces différents aspects de son travail de création se nourrissent réciproquement.

Sortir du biais du musée monographique »

Nous voulions aussi resituer Bourdelle par rapport à ses contemporains. Nous avons ressorti quelques œuvres de nos collections et obtenu des dépôts du Musée d’art moderne de Paris • Créé en 1937 par la Ville de Paris, en scindant les collections du Petit Palais • Installé dans le Palais de Tokyo en 1961 • Membre de l'Établissement Public Paris-Musées • Collection : 15 000… (16e), du Musée Zadkine • Musée parisien du nom du sculpteur d’origine russe Ossip Zadkine (1890-1967) • Inauguré le 19/04/1982, rue d’Assas dans le 6e arrondissement • Un des 14 musées de la Ville de Paris gérés…  (6e) ou de la Fondation Giacometti • Institution privée reconnue d’utilité publique, créée par décret gouvernemental en décembre 2003.• Légataire universelle d’Annette Giacometti (1923-1993), veuve de l’artiste• A été à l’initiative… (14e). Nous avons aussi reçu un dépôt d’une descendante de Germaine Richier, qui était une élève de Bourdelle. Nous voulions sortir du biais du musée monographique qui permet de tout apprendre sur un artiste, mais pas vraiment de le resituer. Il s’agissait de montrer combien son œuvre est capitale, à l’intersection entre le 19e et le 20e siècle. Nous voulions aussi apporter des éléments pour comprendre la sculpture qui n’est pas évidente à appréhender. Les enfants adorent la sculpture et le modelage, mais à l’âge adulte, on a tendance à s’en détourner pour lui préférer la peinture. Pourtant, elle peut présenter une matérialité et un côté jubilatoire assez fascinants.

Comment avez-vous retravaillé les dispositifs de médiation ?

Il faut apprendre à regarder tout ce qu’on peut voir dans une sculpture, ce que cela nous dit de la création, ce qui est l’objectif de la salle des techniques. On y trouve une table centrale avec une œuvre en plusieurs exemplaires, les outils qui ont servi à la créer et une vidéo explicative. Nous avions auparavant une grande vitrine, qui comprenait des outils et une matériauthèque. Nous l’avons remplacée par un mur des manipulations permettant de découvrir les œuvres à travers différents dispositifs. Nous avions aussi deux tables centrales avec une série pédagogique autour de la fonte à la cire perdue et une série autour du processus de moulage, que nous n’avons pas réutilisée et que nous expliquons désormais différemment. L’objectif était de réemployer une partie de ces outils. Nous voulions en montrer un peu moins qu’avant, mais de manière plus précise.

Dans l’ancienne salle des techniques, nous avions déjà des bronzes à toucher, nous les avons redistillés dans de nouveaux dispositifs. Il s’agit d’une offre importante pour nous, notamment destinée au public malvoyant. Nous proposons, entre autres, des jeux d’éclairage, pour découvrir l’une de ces sculptures à travers une mise en lumière qui modifie radicalement la perception de l’œuvre. Nous avons aussi le bronze « Daphné changée en laurier » qui invite à d’abord appréhender l’œuvre par une description sonore, pour ne la découvrir visuellement que dans un second temps. Ce dispositif, inspiré de l’audiodescription, permet de laisser une part énorme à l’imagination.

Raconter l’histoire des hommes derrière les objets et les œuvres »

Nous avons aussi ajouté une évocation des métiers de l’atelier qui n’existait pas auparavant. Notre objectif est de montrer que le sculpteur ne crée pas seul. A minima, il embauche un praticien pour dégrossir son marbre et se charger du travail très physique. Nous voulions raconter l’histoire des hommes derrière les objets et les œuvres.

Enfin, trois nouveaux dispositifs multimédias interactifs permettent d’aborder ce qui se joue dans les sculptures de Bourdelle. Nous évoquons le processus pour aboutir au monumental, le fait de partir d’une petite esquisse pour arriver à des œuvres de plusieurs mètres de haut. Pour y parvenir, nous nous appuyons sur un cas concret : le monument du général Alvear. Nous avons un autre dispositif autour du réemploi et du multiple, à partir de l’exemple du monument aux combattants de Montauban. Nous montrons la manière dont le travail sur le monument va infuser une partie de l'œuvre de Bourdelle. Le dernier dispositif est consacré à la diffusion d’un chef-d’œuvre à travers le monde : « Héraklès archer ».

À quelle fréquence et dans quels espaces se déploieront les expositions temporaires ?

La tendance actuelle est au rallongement des expositions »

L’aile moderne, conçue par Christian de Portzamparc, sera entière dévolue aux expositions temporaires. Elle aura une vie autonome, alors qu’auparavant, une partie du parcours permanent se terminait dans cette aile moderne. Nous proposons une grande exposition par an. La tendance actuelle est au rallongement des expositions, elles dureront donc au moins quatre mois et jusqu’à cinq mois. En dehors des temps d’exposition temporaire, nous présenterons des accrochages, à savoir des expositions autour de nos collections. La prochaine sera consacrée à « La mémoire des objets », à partir de ce que nous avons trouvé lorsque nous avons vidé l’atelier. Elle aura une première vie au Musée Ingres Bourdelle de Montauban • Musée municipal abritant les collections du peintre Jean-Auguste-Dominique Ingres et du sculpteur Antoine Bourdelle, tous deux Montalbanais. • Installé dans l’Ancien Palais épiscopal de…  (Tarn-et-Garonne) avant de venir chez nous. Nous avons vraiment renforcé nos liens avec le musée de Montauban et développerons de nombreux projets communs dans les années à venir.

Ophélie Ferlier-Bouat


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Parcours

Musée Bourdelle
Directrice
Région Nouvelle-Aquitaine (Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine)
Conservatrice, chercheuse - Service du patrimoine et de l’inventaire

Fiche n° 44390, créée le 22/09/2021 à 10:15 - MàJ le 22/09/2021 à 10:19

Musée Bourdelle

Musée situé dans le 15e arrondissement de Paris
• Inauguré en 1949, il est installé dans les appartements, ateliers et jardins où vécut et travailla le sculpteur Antoine Bourdelle
• Gestion assurée par l'établissement public Paris Musées
• Conservation de « quelque 15 000 photographies, 3 000 sculptures, 4 000 dessins et aquarelles, 150 peintures et pastels »
Direction : Ophélie Ferlier-Bouat
Contact : Fasia Ouaguenouni, chargée de communication
Tél. : 01 71 28 15 11


Catégorie : Musée


Adresse du siège

16 Rue Antoine-Bourdelle
75015 Paris France


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Fiche n° 326, créée le 27/09/2013 à 13:23 - MàJ le 22/02/2023 à 14:44


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©  Pierre Antoine
Ophélie Ferlier-Bouat - ©  Pierre Antoine