Pôle muséal Plateforme 10 : « Casser les codes en restant très rigoureux artistiquement » (P. Gyger)
« Les musées sont la substantifique moelle de Plateforme 10, qui est une fondation de droit public (…) Nous souhaitons à la fois préserver la singularité de chaque musée et élaborer une concertation sur le programme, la billetterie et les horaires d’ouverture », déclare Patrick Gyger, directeur général du pôle muséal Plateforme 10 à Lausanne (Suisse), dans un entretien à News Tank le 20/10/2021.
Plateforme 10, fondation de droit public, est un un pôle muséal sur le site d’anciennes halles aux locomotives à Lausanne. Ce « nouveau quartier des arts » regroupe le Musée cantonal des Beaux-Arts ouvert en 2019, le Musée de l’Élysée dédié à la photographie et le Musée de design et d’arts appliqués contemporains dont l’ouverture est prévue le 18/06/2022.
« Plateforme 10 accueillera des projections sur les façades, des performances de musiciens dans le parcours des expositions afin de rendre l’accès au quartier le plus convivial possible (…) L’objectif est de partager cet espace avec d’autres acteurs culturels comme le festival de musique underground ou la cinémathèque suisse en passant par des acteurs culturels européens », ajoute-t-il.
Mode de fonctionnement du pôle muséal, élaboration du nouveau quartier des arts, politique des publics et retour d’expérience en tant qu’ancien directeur du Lieu Unique à Nantes, Patrick Gyger répond à News Tank.
En quoi consiste le projet du quartier des arts « Plateforme 10 » à Lausanne ?
Plateforme 10 est issu d’un premier projet en 2010 qui consistait à créer un bâtiment pour le musée cantonal des Beaux-Arts, au bord du lac de Genève, qui n’a pas abouti. Les habitants, bien que favorables au projet, ont désapprouvé l’emplacement du bâtiment. Par la suite le site des halles aux locomotives a été désigné par le Conseil d’État pour accueillir trois établissements : le Musée cantonal des Beaux-Arts, le musée de l’Élysée, dédié à la photographie, et le Musée de design et d’arts appliqués contemporains.
« Plateforme 10 » - dont le nom fait référence aux neuf voies ferroviaires et à la notion de redistribution et de partage - consiste en l’ouverture d’un espace urbain inédit avec au cœur du projet la création de deux bâtiments qui abriteront les trois musées. Le MCBA Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne , réalisé par le cabinet d’architecture Barozzi/Veiga, a ouvert en 2019. Le Musée de design et d’arts appliqués contemporains ainsi que le Musée de l’Élysée sont réunis dans un bâtiment conçu par les architectes Aires Mateus, et ouvriront le 18/06/2022.
Ce nouveau quartier comprendra des arcades marchandes, des restaurants et présentera des projections extérieures et du spectacle vivant »Une remise des clés du bâtiment est prévue en novembre 2021 avec une présentation d’une installation temporaire de l’artiste Christian Marclay à partir des collections des musées. Ce nouveau quartier comprendra également des arcades marchandes, des restaurants et présentera des projections extérieures, du spectacle vivant. Ce n’est pas un quartier des musées mais un quartier des arts.
Quel est le mode de fonctionnement de la fondation Plateforme 10 ?
Les musées sont la substantifique moelle de Plateforme 10, qui est une fondation de droit public. Je préside le conseil de direction de la fondation dans lequel sont présents les directeurs des trois musées. Ce nouveau mode de gouvernance est intéressant car il donne la possibilité de mutualiser un certain nombre de services, par exemple les ressources humaines, l’administration, les services de comptabilité et techniques des trois musées.
Nous envisageons la possibilité de ne vendre qu’un billet pour les trois musées qui serait utilisable toute l’année »Nous souhaitons à la fois préserver la singularité de chaque musée et élaborer une concertation sur le programme, la billetterie et les horaires d’ouverture, par exemple. Nous avons notamment décidé que les deux bâtiments ne seraient pas ouverts le même jour : l’un sera fermé le lundi, l’autre le mardi. Le but est d’activer ce site toute la semaine et que les visiteurs se l’approprient. Nous envisageons la possibilité de ne vendre qu’un billet pour les trois musées qui serait utilisable toute l’année. Le but est de créer les conditions pour que l’infrastructure soit la plus accueillante possible en éliminant le maximum de barrières financières, psychologiques, culturelles possible.
Quel est l’impact pour ces musées de participer à ce nouveau quartier ?
Il s’agit d’un saut quantique ! Les musées changent totalement d’échelle et de visibilité avec des moyens humains et financiers en large augmentation et un nombre de visiteurs que nous espérons accru. Nous sommes convaincus que ceux qui se déplaceront pour le musée du design se rendront également dans les autres musées. Les directeurs du MCBA et du design partent à la retraite prochainement. Ceux qui prendront la relève savent qu’ils participeront à un quartier des musées à la fois singulier et concerté.
Des expositions transversales aux trois musées sont-elles envisagées ?
Absolument. Ce ne seront pas des thématiques communes aux trois établissements mais plutôt une déclinaison à divers degrés d’un thème principal. Par exemple au printemps 2023, le musée de l’Élysée fera une exposition sur le « flou » qui pourra se décliner autour du « sfumato » au MCBA et à travers la notion d’informe au musée du design. Cette résonance peut aussi prendre la forme d’une installation, d’une lecture ou d’une performance qui conduit le visiteur d’un champ des arts visuels à un autre.
De quelle façon votre expérience en tant que directeur du Lieu Unique à Nantes (2011-2021) vous a-t-elle aidé à aborder ces enjeux de politique des publics ?
L’expérience du Lieu Unique a été très utile car, avec les équipes, nous avons beaucoup travaillé sur la problématique de politique des publics, en proposant un lieu ouvert sans interruption de 11h à 3h du matin. Cette approche est aujourd’hui répandue au Palais de Tokyo (Paris 16e) ou au Centquatre (Paris 19e) notamment mais cela n’a pas été sans mal. Même si les gens ne se déplacent que pour boire un verre, ils s’approprient le lieu. Les études des publics ont montré que cela était positif.
Ce quartier est comme une très grande place piétonne, ce qui nous donne l’opportunité de mettre en place des partenariats avec la SMAC locale ou le théâtre Vidy-Lausanne »Dans Plateforme 10, nous avons prévu des projections sur les façades, des performances de musiciens dans le parcours des expositions, afin de rendre l’accès au quartier le plus convivial possible. Lors de la Nuit des musées à Lausanne (le 24/09/2021), nous avons mis en place des projections sur les façades qui ont attiré 3 500 entrées au MCBA sur une seule soirée. Ce quartier est comme une très grande place piétonne, ce qui nous donne l’opportunité de mettre en place des partenariats avec la SMAC locale ou le théâtre Vidy. Le public commence à adhérer à ce nouveau quartier. La difficulté ici relève des règles patrimoniales à appliquer pour la préservation des œuvres et une présence architecturale sur une place très minérale qui peut sembler intimidante.
Amener le public à aller au musée pour de « bonnes raisons » comme voir des expositions mais aussi pour boire un verre »La deuxième étape est d’amener le public dans les musées. Pour de « bonnes raisons » comme aller voir des expositions mais aussi pour boire un verre en regardant passer les trains depuis le café du musée, ou regarder les projections pendant la Nuit des images dans un des jardins, ou assister à une conférence sur les jeux vidéos avec de grands créateurs japonais pour faire venir les 15-25 ans. L’idée est de casser les codes tout en restant très rigoureux artistiquement.
Plateforme 10 m’intéresse également par les questions qu’il pose sur l’enjeu muséal aujourd’hui. Les musées peuvent vite devenir « non pertinents » dans le monde dans lequel on est, ou au contraire devenir des acteurs importants d’une réflexion grâce à la transformation du regard qu’ils amènent. Il nous faut interroger les nouveaux modes de consommation culturelle, l’éloignement du public d’une certaine forme patrimoniale, les problématiques sociétales, politiques et climatiques. Est-ce que cela a encore un sens de réaliser des expositions à partir d’œuvres venant du monde entier ?
Il nous faut interroger les nouveaux modes de consommation culturelle »Nous observons un schisme entre les cultures dites « officielles » et celles « consommées » ou « populaires ». Il faut que le musée puisse montrer que des domaines comme les jeux vidéos par exemple recèlent de formes d’excellence tout à fait légitimes. Je viens moi-même de cultures alternatives, du monde de la science-fiction, qui est aujourd’hui très présent via les super-héros, entre autres. Il ne faut pas se désolidariser des formes culturelles qui sont consommées. La mode est un bon exemple car elle fait partie aujourd’hui des beaux-arts alors qu’auparavant elle était jugée comme un « non-sujet ».
Quelle est l’implication de la Ville de Lausanne dans ce projet ? Quelle forme prend son soutien financier et politique ?
Le quartier des musées est soutenu par le canton de Vaud. Nous en sommes une émanation sous la forme d’une fondation de droit public. La Ville de Lausanne est en appui mais elle ne pilote pas le projet. Toutefois son soutien est primordial dans l’ensemble du projet, par exemple dans son lien à l’urbanisme et à la législation sur les horaires d’ouverture, les accès, la signalétique, notamment.
Le coût de construction des bâtiments s’élève à 185 MCHF (170 M€) et repose à 40 % sur des financements privés »Le coût de construction des bâtiments s’élève à 185 MCHF (170 M€) et repose à 40 % sur des financements privés. Les banques régionales, les assurances, les fondations et mécènes privés soutiennent le projet. En Suisse romande, les gains de la loterie sont redistribués dans les projets tournés vers le bien public comme la culture ou la santé. Nous allons continuer de chercher des fonds privés pour des projets exceptionnels ou très ambitieux comme des expositions de grande envergure.
Au Lieu Unique, vous avez mené une stratégie de partenariats très affirmée avec les acteurs culturels. Quel bilan en faites-vous ? Est-ce une démarche que vous allez importer à Lausanne pour fédérer les acteurs locaux ?
Je suis très fier de ce qui a été réalisé par les équipes du LU Lieu Unique (Nantes) qui ont été très agiles. Lors du premier confinement dû à l’épidémie de Covid-19, nous avons décidé d’annuler la programmation à venir, de tout reprogrammer en quelques semaines et de rendre les événements gratuits en passant au streaming. Nous sommes l’un des rares lieux à être resté ouvert pour permettre aux équipes artistiques de répéter et de créer avant d’être diffusé en streaming.
Quand on établit la liste de ceux qui sont venus au Lieu Unique depuis 20 ans, c’est impressionnant ! »Par ailleurs, nous avons mené une programmation qui a résonné bien au-delà de Nantes avec des artistes tels que Richard Mosse ou Steve Reich. Quand on établit la liste de ceux qui sont venus au Lieu Unique depuis 20 ans, c’est impressionnant ! Nous avons également ouvert aux partenariats en France et à l’étranger. Enfin nous avons réhabilité la tour LU Lieu Unique (Nantes) , et un lieu de production « La libre usine » dédié à la production ouvrira en décembre 2021 ou janvier 2022.
Je m’intéresse beaucoup à l’art qui investit des lieux hybrides, qui ne sont pas destinés à recevoir des expositions comme les centres commerciaux. »Je m’intéresse beaucoup à l’art qui investit des lieux hybrides, qui ne sont pas destinés à recevoir des expositions comme les centres commerciaux. J’ai beaucoup échangé avec Olivia Grandville
Coprésidente @ Association des Centres Chorégraphiques Nationaux (ACCN) • Directrice @ Mille Plateaux - CCN de La Rochelle
• Née en 1964• Danseuse et chorégraphe• Créations :- Débandade (2021)- La…
, directrice du CCN
Centre chorégraphique national
de la Rochelle, sur son projet « Mille plateaux » qui consiste à amener les gens dans les lieux d’art mais aussi l’art dans des endroits inhabituels.
L’objectif de Plateforme 10 consiste à partager cet espace : cela va du festival de musique underground à la cinémathèque suisse en passant par des acteurs culturels européens. L’idée est d’entrer en coproduction avec des projets de manifestation performative et événementielle. Nous n’avons pas besoin d’avoir toutes les compétences en interne, il est préférable de s’appuyer sur les qualifications de chacun.
Comme pour le Lieu Unique à Nantes, je suis convaincu qu’un lieu culturel doit être ancré dans la ville et s’adresser à ses habitants. Certains musées sont hors sol et sont d’abord destinés à une population de visiteurs étrangers et fonctionnent comme des marqueurs touristiques.
Quel rôle le numérique jouera-t-il dans la médiation des collections ?
Une des questions que pose le numérique aujourd’hui concerne la transformation de la relation aux propositions culturelles via l’interface de l’écran. Cela peut provoquer le risque d’une perte d’une partie du public. L’autre question consiste à analyser comment l’expérience dans les lieux culturels peut, et doit, être transformée par le numérique.
Les audioguides augmentés grâce au numérique peuvent transformer l’expérience muséale en proposant un autre récit guidé »Les audioguides augmentés grâce au numérique peuvent transformer l’expérience muséale en proposant un autre récit guidé, en créant un parcours qu’on choisit, en incluant davantage les visiteurs. Je crois que l’expérience sensible de la visite n’est pas remplaçable. Le rapport à l’œuvre originale est primordial pour comprendre comment elle a été pensée spécifiquement.
Patrick Gyger
Directeur général @ Fondation Plateforme 10, pôle muséal du Canton de Vaud(Suisse)
- 2005 : publie Les voitures volantes, Souvenirs d’un futur rêvé… (éd. Favre)
2017 : Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres
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Parcours
Directeur général
Directeur
Directeur artistique
Fiche n° 1153, créée le 03/01/2014 à 11:57 - MàJ le 31/12/2020 à 14:54
Plateforme 10
• Fondation de droit public opérationnelle depuis le 01/01/2021
• Pôle muséal et « quartier des arts » situé sur le site des anciennes halles aux locomotives de Lausanne (Suisse)
• Réunit trois musées dans 2 bâtiments :
- Le Musée cantonal des Beaux-Arts dans un bâtiment conçu par le cabinet d’architecture Barozzi/Veiga. Ouvert depuis 2019.
- Le Musée de l’Élysée dédié à la photographie et le Mudac, Musée de design et d’arts appliqués contemporains, réunis dans un bâtiment d’Aires Mateus. Inauguration le 18/06/2022.
• Coût des travaux : 185 CHF (170 M€)
• Président du conseil d’administration : Olivier Audemars
• Directeur général : Patrick Gyger
• Direction du Mudac : Marco Costantini par intérim
• Contact : 00 41 21316 25 55
Catégorie : Musée
Adresse du siège
Chemin de Mornex 3 bis1003 Lausanne Suisse
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Fiche n° 12734, créée le 20/10/2021 à 12:25 - MàJ le 07/07/2023 à 18:20
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