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« Envisager le handicap comme un facteur de performance dans la culture » (N. Karasiewicz, Tyresias)

News Tank Culture - Paris - Interview n°134643 - Publié le 03/12/2018 à 16:00
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« La prise en compte du handicap dans les institutions culturelles rencontre plusieurs obstacles. Beaucoup d’entre elles le voient uniquement comme un problème réglementaire. Cela entraîne une course à l’accessibilité du bâti et à l’obtention du label “Tourisme et handicap”, au détriment de la formation du personnel et de l’accessibilité des contenus. D’autres considèrent les personnes en situation de handicap comme un public de niche. Enfin, la question budgétaire est prégnante et bloque souvent la mise en place d’outils d’adaptés », déclare Nicolas Karasiewicz, président de Tyresias, à News Tank, à l’occasion de la Journée internationale des personnes handicapées le 03/12/2018.

« Avec la start-up Tyresias, j’ai développé un nouveau concept envisageant le handicap non pas comme une charge, mais comme un facteur de performance pour les associations, les entreprises et les institutions culturelles. Notre approche est transversale : elle permet de balayer les volets GRH gestion des ressources humaines , RSE Responsabilité sociétale des entreprises , communication et marketing de l’entité qui fait appel à nos services. L’enjeu est de faire prendre conscience que les dispositifs pour les personnes handicapées vont profiter à tous les visiteurs, qu’ils seront une véritable plus-value pour l’institution », indique Nicolas Karasiewicz. 

Création et objectifs de la start-up, offres proposées pour les institutions culturelles, principaux freins à la prise en compte des personnes en situation de handicap, tarifs pour un accompagnement “global”, et présentation du projet “Midas”, expérience sensorielle immersive pour les musées, Nicolas Karasiewicz répond aux questions de News Tank.


Comment est née Tyresias, start-up sociale spécialisée en innovation sensorielle autour de la thématique du handicap visuel ?

Nous avons été sélectionnés deux années consécutives par le Louvre-Lens Vallée »

Je suis déficient visuel et j’ai eu beaucoup de mal à trouver un emploi. J’ai donc décidé de créer ma propre entreprise. L’idée de départ était d’ouvrir un restaurant dans le noir à Lille (Nord), mais il m’est peu à peu apparu que l’impact social d’une telle activité était faible puisqu’il n’y avait pas de partage d’expériences avec les personnes déficientes visuelles. Aidé par Ticket for Change, j’ai développé un nouveau concept envisageant le handicap non pas comme une charge, mais comme un facteur de performance pour les associations, les entreprises et les institutions culturelles. Tyresias a été officiellement fondée en décembre 2016. Par la suite, nous avons été sélectionnés deux années consécutives par le Louvre-Lens Vallée ; en 2017 au sein de leur programme d’incubation « Seed-up », et en 2018 dans leur programme d’accélération « Grow-up ».

Quelles offres proposez-vous pour accompagner les structures dans la prise en compte du handicap visuel ? Quels sont vos principaux clients ?

Notre approche est transversale : elle permet de balayer les volets GRH, RSE, communication et marketing des institutions »

La première étape est de faire un diagnostic pour l’entreprise ou l’institution culturelle. Nous proposons ensuite des formations pour le personnel et la mise en place de dispositifs adaptés. Dans ce dernier cas, nous faisons appel à des partenaires extérieurs pour réaliser les outils. Nous organisons également des sensibilisations à l’accessibilité numérique, des testings produits à l’aveugle, des comités de direction dans le noir, ou encore une initiation au handisport. Notre approche est transversale : elle permet de balayer les volets GRH gestion des ressources humaines , RSE Responsabilité sociétale des entreprises , communication et marketing de l’entité qui fait appel à nos services.    

Pour l’ensemble de ces offres, nous nous basons sur quatre piliers : l’innovation sensorielle, l’innovation inversée (comment apporter une réponse large à un problème spécifique), la conception universelle (proposer un socle commun adaptable en fonction du profil des participants) et l’intelligence collective.

Nous venons de signer un contrat avec l’Aéronef »

Nous travaillons notamment avec l’entreprise numérique WorldLine, l’association Coexister mouvement interconvictionnel des jeunes , ou encore le groupe brassicole Heineken. Nous avons davantage de mal à convaincre les institutions culturelles. Nous sommes néanmoins en discussion avec une dizaine de structures des Hauts-de-France, et venons de signer un contrat avec l’Aéronef, salle de concert à Lille.

• Sensibiliser, former et permettre une montée en compétences des salariés de la salle de spectacle et de ses prestataires

• Repenser le parcours du spectateur à besoins spécifiques (accès à l’information, orientation, signalétique, accueil, prise en charge, etc.)

• Imaginer une nouvelle stratégie de communication plus inclusive (réseaux sociaux, Web, print notamment pour la programmation de la prochaine saison prochaine)

Quels sont les freins que vous rencontrez auprès des institutions culturelles ?

Les musées sont la plupart du temps dans la course à l’accessibilité du bâti et à l’obtention du label « Tourisme et handicap » »

Beaucoup d’institutions culturelles voient le handicap uniquement comme un problème réglementaire, d’autant plus depuis le 01/10/2017 avec la mise en place obligatoire pour les établissements recevant du public du RPA registre public d’accessibilité qui a pour objectif d’informer les visiteurs du degré d’accessibilité de l’établissement et de ses prestations . Les musées sont donc la plupart du temps dans la course à l’accessibilité du bâti et à l’obtention du label « Tourisme et handicap ». Malheureusement, ni l’un ni l’autre ne sont suffisants si aucune communication n’est faite à destination des personnes en situation de handicap, si une fois que ces dernières sont arrivées dans les salles du musée, il n’y a pas de contenu pensé pour elles, si les personnels ne sont pas formés pour les accueillir.

12 millions de personnes sont considérées à mobilité réduite en France »

Le deuxième obstacle est que les institutions culturelles considèrent le public en situation de handicap comme un public de niche. Et pourtant, tous handicaps confondus, 12 millions de personnes sont considérées à mobilité réduite en France, soit 20 % de la population globale ! Plus spécifiquement pour le handicap visuel, nous comptabilisons deux millions de personnes concernées à l’échelle de la France et 300 millions à l’échelle internationale. Ce chiffre va doublier d’ici à 2050, à cause de divers facteurs : le vieillissement de la population, l’augmentation des maladies chroniques, l’effets des perturbateurs endocriniens, l’utilisation intensive des écrans, etc.

Enfin, la question budgétaire est également prégnante. Les institutions culturelles, bien plus que des entreprises, sont frileuses à l’idée d’acheter une solution dont elles ne savent pas quels seront les résultats. Ces lieux sont tellement à l’économie qu’encore une fois, ils vont axer leurs crédits sur l’aménagement, la technique, plutôt que l’humain.

Comment faites-vous alors pour les convaincre ? Quels sont vos tarifs pour un accompagnement « global » ?

Les dispositifs mis en place pour les personnes handicapées sont une plus-value pour l’ensemble des visiteurs »

J’essaye avant tout de ne pas les culpabiliser. Il y a quatre grandes familles de handicap - auditif, mental, moteur et visuel -, il ne sert à rien de toutes vouloir les traiter en même temps. Une approche segmentée me semble préférable. Je les invite également à repenser la question du handicap. Cette dernière est subjective, elle ne concerne pas uniquement les personnes reconnues comme handicapées, mais également les personnes éloignées des lieux de culture, les jeunes parents qui ne peuvent venir au musée avec leurs enfants, etc. Enfin, j’essaye de leur faire prendre conscience que les dispositifs mis en place pour les personnes handicapées vont profiter à tous les visiteurs, qu’ils seront une plus-value. Le Palais des beaux-arts de Lille organise, par exemple, des visites dédiées uniquement aux personnes en situation de handicap qui ont lieu dans un créneau réduit. Depuis peu, elles sont ouvertes à tous. Mais, ça ne suffit pas, il faut que l’ensemble des visites « classiques » soient accessibles aux personnes en situation de handicap, si on veut se placer dans une perspective universelle.

5 000 € sont nécessaires pour la phase de conseil, 25 000 € pour un accompagnement global »

Tyresias propose un accompagnement global qui va de l’audit aux études de mesure d’impact, en passant par la création d’outils innovants - en co-création avec des personnes en situation de handicap - et la formation des équipes. Il faut donc compter à minima six mois pour effectuer ce travail. 5 000 € sont nécessaires pour la phase de conseil, et les tarifs peuvent monter jusqu’à 25 000 € si l’on prend le package.

Votre projet « Midas, de l’or au bout des doigts » a été finaliste dans la catégorie « Impact social » du concours INC - Innovations Numériques pour la Culture, organisé dans le cadre de Think Culture, le 04/09/2018. En quoi consiste-t-il ? Où en êtes-vous dans son développement ?

Midas est une proposition d’expérience sensorielle immersive pour mettre en valeur une exposition ou une collection en s’appuyant sur les cinq sens »

Midas est une proposition d’expérience sensorielle immersive pour mettre en valeur une exposition ou une collection en s’appuyant sur les cinq sens. Elle s’adresse non pas uniquement aux personnes en situation de handicap, mais à tous les publics. Elle propose d’associer des impressions d’œuvres en 3D, des boucles audio, des dispositifs de réalité augmentée utilisant la chromathérapie, ou encore la diffusion de signatures olfactives. Toutes ces technologies existent déjà, mais elles n’ont jamais été utilisées simultanément dans une exposition. Nous avons développé ce projet au sein du Louvre-Lens Vallée et avions pour objectif de le tester en premier au Louvre-Lens voisin. Ce dernier était très intéressé, mais ne nous a pas soutenus financièrement. Il faut imaginer qu’un tel projet coûte a minima 50 000 € pour une exposition temporaire et peut monter jusqu’à 450 000 €, si on le décline pour l’ensemble d’une collection permanente par exemple.

Nous avons décidé de segmenter le projet, trop onéreux pour les institutions culturelles, en plusieurs modules »

Nous avons décidé de changer notre fusil d’épaule et de segmenter le projet en plusieurs modules pour qu’il soit moins coûteux. Dans ce cadre, nous avons mis en place une version audio-décrite des œuvres de l’exposition collective Connexion[s]² - Sans trop d’Illusions…, organisée par l’artiste Romanski à la MJC-Maison des Arts de Sin-le-Noble (Nord) du 13/10 au 10/11/2018. Les visiteurs étaient invités à scanner un QR code qui les renvoyait vers une description de la pièce enregistrée par l’artiste lui-même. De plus certains artistes autorisaient les visiteurs à toucher leur travail. Cela a enrichi l’expérience de tous les publics, qu’ils soient déficients visuels ou non.

Nicolas Karasiewicz
Président
Tyresias
06 98 89 34 69
nicolas@tyresias.fr


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