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3e Argument de Rouen : « Décentrer son regard pour acquérir plus d’œuvres de femmes » (Frances Morris)

News Tank Culture - Paris - Actualité n°130821 - Publié le 11/10/2018 à 16:40
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©  Léa Lootgieter
©  Léa Lootgieter

« Quand on me demande comment j’ai fait pour que 50 % des salles monographiques de la New Tate Modern à Londres (Royaume-Uni) soient réservées à des artistes femmes, ma première réaction est de répondre : “Je l’ai imposé, c’est tout !”. Mais bien sûr, il y a eu un long chemin avant d’en arriver là. Nous avons mis plus de 10 ans à bâtir une collection plus ample et cette question dépasse largement celle du genre. Le problème de la représentativité des femmes dans les musées ne se réglera pas si les conservateurs n’ont pas la volonté d’ouvrir l’histoire de l’art, de décentrer le regard vers des zones géographiques oubliées et des médiums dévalorisés », déclare Frances Morris, directrice de la Tate Modern à Londres (Royaume-Uni), lors de la table ronde « Collections et acquisitions : vers un rééquilibrage ? », organisée par l’INHA Institut national d’histoire de l’art et la RMM Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie , en partenariat avec l’association Aware Archives of Women Artists, Research and Exhibitions , dans le cadre de la 3e édition du colloque L’Argument de Rouen, à l’Hôtel des Sociétés savantes à Rouen (Seine-Maritime) le 10/10/2018.

« Lorsqu’on déplore l’absence de femmes sur les cimaises des musées, certains conservateurs et historiens de l’art nous rétorquent que c’est un enjeu de qualité. Cette rhétorique n’est plus acceptable aujourd’hui, car c’est elle qui perpétue la domination blanche et masculine dans l’art. Il ne s’agit pas d’une question de qualité du travail, mais bien de manque d’informations sur les artistes femmes. Durant mes études d’histoire de l’art en France, je n’ai pas entendu parler une seule fois de la question du genre ou même de la diversité. Il y a plusieurs façon d’aborder la question de la parité des œuvres dans les musées : parité numéraire, parité de superficie ou encore parité dans les budgets d’acquisition », précise Annabelle Ténèze, directrice des Abattoirs, Musée - FRAC Fonds régional d’art contemporain Occitanie-Toulouse.  

« Le musée d’Orsay, sous l’impulsion de Laurence des Cars Présidente @ Musée du Louvre • Conservatrice générale du patrimoine @ Ministère de la Culture
• Chevalier de la Légion d’honneur (2016) • Chevalier de l’ordre du Mérite (2009) • Officier des…
, sa présidente, a décidé de réaccrocher l’ensemble de ses collections d’ici 2022. Ce nouveau parcours mettra en lumière des femmes artistes actives de 1848 à 1914. Symboliquement, nous lancerons le projet en 2019 avec une exposition temporaire dédiée à Berthe Morisot (1841-1895). Le but est notamment de mettre en parallèle des chefs-d’œuvre d’hommes et des chefs-d’œuvre de femmes telle “Une loge aux Italiens” (1874) d’Eva Gonzalès (1849-1883). Pour définir précisément notre corpus, nous nous lançons dans un important travail de recensement des artistes femmes au XIXe siècle qui débouchera sur la création d’une base de données, complémentaire au travail d’Aware Archives of Women Artists, Research and Exhibitions pour le XXe siècle », indique Sabine Cazenave, conservatrice en chef au musée d’Orsay. 

La conférence était modérée par Camille Morineau Présidente du conseil d’administration @ École du Louvre • Cofondatrice et directrice @ Aware
, directrice des collections et des expositions de La Monnaie de Paris et présidente d’Aware.


« Si nous sortons de l’orbite des pays de l’OTAN, nous découvrons sans grand mal des générations de femmes exceptionnelles » (Frances Morris)

  • Frances Morris - ©  D.R.
    « Quand on me demande comment j’ai fait pour que 50 % des salles monographiques de la New Tate Modern à Londres (Royaume-Uni) soient réservées à des artistes femmes, ma première réaction est de répondre : “Je l’ai imposé, c’est tout !”. Mais bien sûr, il y a eu un long chemin avant d’en arriver là.
  • Lorsque je suis arrivée à la Tate en 1987, la situation n’était guère différente de celle de tout autre musée d’art moderne. La collection d’art contemporain international visait à présenter, dans la mesure de moyens limités, l’histoire de l’avant-garde selon la vision proposée par Alfred Barr (1902-1981), directeur-fondateur du MoMA Museum of Modern Art - New York à New York (États-Unis). Parmi les 400 artistes figurant dans le premier catalogue détaillé de la collection, seules 16 femmes étaient comptabilisées.
  • Le changement radical des mentalités a eu lieu en 1992 avec la rédaction par Richard Francis, fondateur de la Tate Liverpool, d’un document destiné à affirmer le positionnement stratégique de la future Tate Modern. 
  • Intitulé “The Way through the Woods”, ce document proposait de suivre une voie différente de celle du classique modèle du MoMA, en adoptant “une vision postmoderniste accordant une large place à l’art situé en dehors du canon moderniste, notamment à l’art traditionnel, et au travail de groupes jusqu’ici délaissés (les femmes, certains artistes d’Europe de l’Est et les artistes du Tiers-monde)”. 
  • J’ai fait partie de la petite équipe chargée de mettre en œuvre ce nouveau paradigme dans le choix des œuvres et la manière de les accrocher. Quand la Tate Modern a ouvert ses portes en 2000, le public a pu découvrir un parcours organisé en quatre sections thématiques, couvrant chacune le XXe siècle, mais sans respecter un strict ordre chronologique. Il s’agissait d’une volonté délibérée de renverser le récit téléologique du modernisme. 
  • Nous avons également choisi Louise Bourgeois (1911-2010) pour inaugurer la première exposition temporaire dans le Turbine Hall. Il s’agissait d’un geste symbolique destiné à réinscrire les femmes dans l’histoire de l’art. 
  • Par la suite, nous nous sommes également penchés sur la question des médiums. La peinture, reine incontestée de la collection de la Tate Modern, subissait les assauts de la photographie, de la vidéo, de l’installation et de l’art vivant. Selon ce nouveau scénario, les collections de la Tate, dont le caractère exhaustif faisait la fierté de nos prédécesseurs, étaient en réalité creusées de trous béants. Une collection ne sera jamais représentative de la totalité de l’histoire. Elle est, au mieux, une “stabilisation temporaire”, pour reprendre la formule de l’historien de la culture Stuart Hall (1932-2014).  
  • Nous avons passé plus de dix ans à bâtir une collection plus ample, en mettant en place des comités spécialisés selon les différentes aires géographiques, en renforçant l’équipe des conservateurs, et en faisant parfois appel à des consultants. Lorsque - cette fois en tant que directrice -, j’ai eu la chance de piloter le réaccrochage de la New Tate Modern, ouverte en 2016, je n’ai pas eu de difficultés à trouver des artistes femmes pour remplir 50 % des salles monographiques.
  • Il faut bien comprendre que le problème de la représentativité des femmes dans les musées ne se réglera pas si les conservateurs n’ont pas la volonté d’ouvrir l’histoire de l’art, de décentrer le regard vers des zones géographiques oubliées et des médiums dévalorisés. 
  • Prenons l’exemple d’Anni Albers (1899-1994). Cette dernière voulait intégrer la section peinture du Bauhaus (Allemagne), mais elle a été écartée par ses confrères masculins. Elle s’est donc tournée vers l’art du tissage. Si on veut que les femmes soient représentées, il ne faut pas sans cesse refaire les mêmes expositions sur les mouvements modernistes occidentaux blancs et masculins.
  • De même, si nous sortons de l’orbite des pays de l'OTAN Organisation du traité de l’Atlantique Nord et des limites imposées par le canon de l’histoire de l’art, nous découvrons sans grand mal des générations de femmes exceptionnelles, par exemple Mária Bartuszová (1936-1996) ou Ana Lupas en Europe de l’Est, et l’existence de réseaux d’artistes femmes qui font fi des frontières géographiques. »

Frances Morris, directrice de la Tate Modern à Londres

« Le nouveau parcours permanent du musée d’Orsay en 2022 mettra en lumière les femmes artistes de 1848 à 1914 » (Sabine Cazenave)

  • Sabine Cazenave - ©  LinkedIn
    « Le musée d’Orsay, sous l’impulsion de Laurence des Cars, sa présidente, a décidé de réaccrocher l’ensemble de ses collections d’ici 2022. Ce nouveau parcours mettra en lumière des femmes artistes actives de 1848 à 1914. Symboliquement, nous lancerons le projet en 2019 avec une exposition temporaire dédiée à Berthe Morisot (1841-1895). 
  • Il s’agit d’un travail de longue haleine, car le corpus d’œuvres n’est, à ce jour, pas encore réuni. Et les pourcentages d’artistes femmes dans nos collections sont faibles : 2 % dans le fonds d’arts considérés comme majeurs (peinture, sculpture) et 10 % si on inclut les arts considérés comme mineurs (arts décoratifs). 
  • Plusieurs raisons expliquent ces manques :
    • Lors du transfert des collections du musée du Luxembourg au musée d’Orsay en 1986, via le musée du Louvre, la majorité des œuvres de femmes ont été envoyées en dépôt dans les musées en régions, qui en sont devenus propriétaires en 2002.
    • Outre Rosa Bonheur (1822-1899) qui est entrée dans les collections du musée du Luxembourg dès 1849, il n’y a eu pratiquement aucune acquisition de femmes artistes par la suite. Les pièces présentes dans la collection sont toutes le fruit de dons ou de legs.
    • De nombreuses artistes femmes au XIXe siècle ont eu du mal à s’émanciper d’un travail rémunérateur et n’ont pas poursuivi assez longtemps leur carrière pour atteindre la postérité. 
  • Notre travail consiste donc à trouver les ressources manquantes pour la période 1848-1914 et compléter ainsi le travail de recensement d’artistes femmes fait par l’association Aware Archives of Women Artists, Research and Exhibitions pour le XXe siècle.
  • En parallèle de la création de cette base de données, le parcours permanent du musée d’Orsay intégrera un parcours dédié aux artistes femmes en contrepoint du parcours classique. Ce dernier sera visible grâce à une signalétique conçue par une designeuse contemporaine. Le but est de mettre en parallèle des chefs-d’œuvre d’hommes et des chefs-d’œuvre de femmes telle Une loge aux Italiens (1874) d’Eva Gonzalès (1849-1883).
  • Une salle sera également consacrée à la réception critique des œuvres de femmes, tant dans la presse masculine que féminine de l’époque, et une autre permettra de comprendre le contexte sociologique de l’émergence ou au contraire de l’invisibilisation des ces femmes, car la situation géographique et la classe sociale de ces dernières ont pu être déterminantes pour leur carrière. 
  • Nous espérons qu’ensuite le musée du Louvre et le Centre Pompidou prendront la relève dans cette entreprise pour leurs périodes respectives. »

Sabine Cazenave, conservatrice en chef au musée d’Orsay 

« Il faut en finir avec la réthorique d’une qualité moindre chez les artistes femmes » (Annabelle Ténèze)

  • Annabelle Ténèze - ©  D.R.
    « Lorsqu’on déplore l’absence de femmes sur les cimaises des musées, certains conservateurs et historiens de l’art nous rétorquent que c’est un enjeu de qualité. Cette rhétorique n’est plus acceptable aujourd’hui, car c’est elle qui perpétue la domination blanche et masculine dans l’art. 
  • Il ne s’agit pas d’une question de qualité du travail, mais bien de manque d’informations sur ces artistes femmes. Durant mes études d’histoire de l’art en France, je n’ai pas entendu parler une seule fois de la question du genre ou même de la diversité.
  • L’exposition elles@centrepompidou du 27/05/2009 au 21/02/2011 [qui présentait uniquement les artistes femmes du fonds du MNAM Musée National d’Art Moderne - Centre Pompidou , NDLR] a été une étape cruciale dans la représentation des artistes femmes dans les musées en France. La question est : que fait-on après ?
  • Il faut faire attention à ne pas faire d’expositions alibis avec des quotas. La prochaine étape se trouve davantage dans le travail d’acquisition et l’organisation d’expositions monographiques de femmes. Lorsque je dirigeais le Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart (2006-2012), j’ai proposé un grand nombre d’expositions monographiques de femmes (Annette Messager, Kiki Smith, etc.), alors même que le fonds de l’établissement ne comprenait que 25 % d’œuvres de femmes.
  • Aux Abattoirs, Musée - FRAC Fonds régional d’art contemporain Occitanie-Toulouse, le ratio est encore plus bas : 24 % de femmes pour la partie contemporaine et 8 % pour la partie historique (art moderne). J’essaye donc d’acheter à chaque fois deux œuvres pour les artistes femmes qui ont souvent des carrières longues, une historique et une contemporaine. 
  • On dit souvent qu’une exposition temporaire mène à une ou des acquisitions mais, dans mon cas, c’est souvent le mouvement inverse qui s’est produit. En contactant une artiste en vue d’acheter, je me rends compte qu’elle n’a pas de projets d’exposition en cours, et je décide de lui offrir également une visibilité. Ce fut par exemple le cas pour Carolee Schneemann. Œuvres d’Histoire présentée au Musée départemental d’art contemporain de Rochechouart du 04/10 au 21/12/2013.
  • Il y a plusieurs enjeux sur la question de la parité dans les expositions : la parité numéraire est-elle vraiment la plus efficace ou ne vaut-il pas mieux privilégier la parité de superficie, en réservant les espaces les plus grands à des œuvres monumentales de femmes ? Et surtout, ne faut-il pas s’interroger sur la parité économique dans les budgets d’acquisition ?
  • Enfin, il faut modifier les stéréotypes encore trop souvent présents sur les cartels. J’ai, par exemple, récemment remarqué que nous présentions encore Niki de Saint-Phalle (1930-2002) comme l’épouse de Jean Tinguely (1925-1991) alors que la réciproque n’était pas vraie. »

Annabelle Ténèze, directrice des Abattoirs, Musée - FRAC Occitanie-Toulouse

Institut national d‘histoire de l‘art (INHA)

• Missions :
- Développer l’activité scientifique
- Contribuer à la coopération scientifique internationale dans le domaine de l’histoire de l’art et du patrimoine
- Exercer des activités de recherche, de formation et de diffusion des connaissances

• Directeur général : Éric de Chassey, depuis le 05/07/2016

• Présidente du CA : Laurence Franceschini, depuis le 24/11/2016

• Contact : Marie-Laure Moreau, directrice de la communication

• Tél. : 01 47 03 89 50


Catégorie : Ecole d'art & architecture


Adresse du siège

2 rue Vivienne 75002 Paris
75002 Paris France


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Fiche n° 763, créée le 08/12/2013 à 09:03 - MàJ le 12/11/2024 à 12:56

Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie

• Institution de la Métropole de Rouen Normandie regroupant :

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• Musée Le Secq des Tournelles (Rouen)
• Muséum d’Histoire naturelle (Rouen)
• Musée des Antiquités (Rouen)
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• Musée Pierre-Corneille (Petit-Couronne)
Depuis le 01/01/2021 :
• Musée Flaubert et d’histoire de la médecine (Rouen)
• Le Pavillon Flaubert (Canteleu)
• La Maison natale de Pierre Corneille (Rouen)

• Directeur : Robert Blaizeau

• Administratrice : Murielle Grazzini

• Contact : Bénédicte Sanctot, responsable communication et développement

• Tél. : 02 35 71 28 40


Catégorie : Musée


Adresse du siège

198 Rue Beauvoisine
76000 Rouen France


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Fiche n° 335, créée le 27/09/2013 à 13:23 - MàJ le 05/11/2024 à 16:00


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©  Léa Lootgieter
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