Think Culture 2019 : « Les multiples initiatives d’ESS sont invisibilisées en France » (Patricia Coler)
« Les initiatives d’ESS
Économie sociale et solidaire
foisonnent aujourd’hui en France, mais elles sont largement invisibilisées et discriminées. Deux facteurs peuvent expliquer cet état de fait. Les politiques publiques de démocratisation culturelle se sont faites dans une logique descendante, elles sont restées dans un modèle trop rigide qui ne prend pas en compte l’aspiration des citoyens. Quant au champ privé, il s’est construit sur le principe de la lucrativité et a du mal à sortir de la logique de rentabilité », déclare Patricia Coler
, déléguée générale de l’Ufisc
Union fédérale d’intervention des structures culturelles
, durant la table ronde « L’ESS
Économie sociale et solidaire
: quelle conciliation entre non lucrativité et logique entrepreneuriale ? », lors la 4e édition de Think Culture, organisée par News Tank Culture à l’université Paris-Dauphine le 10/09/2018.
« L’ESS ne devrait pas être la mince frontière entre le secteur public et le secteur privé, elle devrait couvrir l’ensemble des champs. L’inverse de la non lucrativité est la lucrativité et non la logique entrepreneuriale. Tout le monde entreprend - les associations, les collectivités locales et leurs régies, etc. Et quand on est entrepreneur, les moyens les plus importants à gérer ne sont pas les moyens financiers, mais bien les forces vives humaines. Le principe de l’ESS est de respecter ces forces vives, de traiter à égalité les acteurs, salariés, bénévoles et artistes. Donc pour répondre à l’intitulé de la table ronde : oui, une conciliation est possible entre la non lucrativité et la logique entrepreneuriale », indique Philippe Nicolas
• Diplômé de l’ENA (École nationale d’administration) et de l’ESSEC (École supérieure des sciences économiques et commerciales)
, directeur du CNV
Centre national de la chanson, des variétés et du jazz
.
Juliette Bompoint
Directrice @ Périféeries 2028 - candidature capitale européenne de la culture
, directrice de Mains D’Œuvres à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), et Franck Testaert
• 2002 - 2004 : Tuteur de la licence CMOPC (Mise en place de projets culturels) - Suivi et accompagnement du festival « Les Pluriels »
, directeur de Tétris - Scène de musiques actuelles du Havre (Seine-Maritime), participaient également à cette table ronde, modérée par Marie-France Lucchini, directrice de la culture et de la communication de Poste Habitat.
Intervenants
- Juliette Bompoint, directrice de Mains d’Œuvres
- Patricia Coler, déléguée générale de l’Union fédérale d’intervention des structures culturelle
- Philippe Nicolas, directeur du Centre national de la chanson, des variétés et du jazz
- Franck Testaert, directeur de Tétris - Scène de musiques actuelles du Havre
- Modération : Marie-France Lucchini, directrice de la culture et de la communication de Poste Habitat
« Le rapport Steven Hearn a scindé le secteur culturel en deux : d’un côté les entrepreneurs, de l’autre les artistes créateurs » (Juliette Bompoint)
- « La notion d’entrepreneuriat culturel est arrivée tardivement, en 2014, avec le rapport Steven Hearn qui a scindé le secteur : il y a désormais ceux qui se sentent appartenir à la DGMIC Direction générale des médias et des industries culturelles et ceux qui se sentent appartenir à la DGCA Direction générale de la création artistique . Les premiers s’assimilent à des entrepreneurs ; les deuxièmes revendiquent davantage le statut de l’artiste créateur.
- La culture a toujours fait partie de l’ESS
Économie sociale et solidaire
, contrairement à ce que laisse entendre le titre du rapport de Bernard Latarjet
Président @ Office National de Diffusion Artistique
• Ingénieur agronome et ingénieur du génie rural, des eaux et des forêts. • Diplômé du centre de recherche d’urbanisme. “Rapprocher la culture et l’ESS”, sorti en 2018. - L’ESS ne revendique pas une non lucrativité, mais une moindre lucrativité. Et cette dernière dépend pour beaucoup des structures juridiques qui soutiennent les lieux culturels. Dans une SARL Société à responsabilité limitée , il y a forcément des associés auxquels les profits reviennent en priorité, alors que dans d’autres formes d’organisation, les profits sont redistribués au projet. Il y a un risque à penser que la culture doit être lucrative. L’artistique est structurellement coûteux et déficitaire, mais apporte au monde quelque chose de totalement différent.
- En ce moment, je m’intéresse en particulier à la question des tiers-lieux. Cette dernière est arrivée tel un prédateur et va bien au-delà du secteur culturel. Le concept du vivre ensemble, du partage des espaces, etc., est bien sûr louable, mais il faut prendre garde à ce que la commercialisation à outrance, la création de bureaux partagés, ne mettent pas en péril ce qui était à l’origine destiné à la création artistique. Même si les tiers-lieux ne sont pas uniquement des méchants libéraux - puisque beaucoup d’occupants sont issus d’espaces auparavant délaissés - la place de la culture à l’intérieur reste à défendre.
- De fait, depuis quelques années, en tant qu’actrice culturelle convaincue, j’ai commencé à intégrer le milieu de l’immobilier, pour que les artistes - qui ont besoin de beaucoup plus de place que les start-ups - puissent continuer à avoir des espaces de travail dans la ville. Nous avons travaillé avec des acteurs issus du monde libertaire qui n’étaient pas du tout dans l’optique d’investir, pour les convaincre de lancer des initiatives citoyennes d’accès au foncier, sur le modèle allemand. Nous ne voulons plus de locaux transitoires, de contrats à durée déterminée, cela met nos professions en danger. »
Juliette Bompoint
« Pour mettre en place un modèle d’ESS, il est indispensable de réfléchir à ce que l’on met derrière la notion d’intérêt général » (Patricia Coler)
- « L'Ufisc Union fédérale d’intervention des structures culturelles regroupe 2 500 structures culturelles qui ont toutes des typologies différentes. Nous réfléchissons sur l’économie, sur la façon dont on doit créer et dans quel sens nous pouvons entreprendre. Cette notion est très large puisqu’ “entreprendre” signifie être dans un processus de création d’activités.
- Le non-lucratif est un modèle assez neuf qui a encore du mal à se définir via un terme positif. Pourtant, nous recensons près de 330 000 associations culturelles en France, ce qui montre la volonté des citoyens de s’investir dans le secteur.
- L’ESS nous amène à un changement d’imaginaire, loin du modèle du leader entrepreneur solitaire. Elle permet de reprendre la main sur l’économie - qui n’est pas un synonyme du marché et encore moins du marché financiarisé -, de ne pas se faire dicter par l’extérieur de quelle manière nos structures vont se constituer.
- L’économie n’est pas une science dure exacte. Il s’agit avant tout d’une construction culturelle, une manière d’organiser notre mode vie, de penser l’ensemble des relations humaines d’un point de vue presque anthropologique.
- Lorsque nous rentrons dans des logiques redistributives et réciprocitaires, nous sommes obligés de revenir à une économie plurielle dans laquelle la question de la démocratie est réintroduite. Dans une société capitaliste, la décision revient au capital et aux actionnaires ; à l’inverse l’ESS prend en compte l’avis de toutes les personnes.
- Je pense notamment à des compagnies circassiennes qui se montent en collectif autogéré et incluent les citoyens dans leur fonctionnement. Il ne s’agit pas de la question des statuts, mais de celle des pratiques. Ce type de démarche peut être portée par une association, une SCIC Société coopérative d’intérêt collectif ou même une SARL Société à responsabilité limitée .
- Pour mettre en place un modèle d’ESS, il est indispensable de réfléchir à ce que l’on met derrière la notion d’intérêt général. Est-ce la croissance économique ? Est-ce le respect des droits fondamentaux ? Les politiques mises en place ensuite ne seront pas les mêmes en fonction du but recherché.
- Les initiatives d’ESS foisonnent aujourd’hui en France, mais elles sont largement invisibilisées et discriminées. Deux facteurs peuvent expliquer cet état de fait :
- les politiques publiques de démocratisation culturelle se sont faites dans une logique descendante. Le service public remplit désormais un certain nombre de missions dans le secteur, mais il est resté dans un modèle trop rigide qui ne prend pas en compte l’aspiration des citoyens. Les financements publics qui, contrairement à ce qu’on voudrait faire croire, sont toujours nombreux, ne sont pas tournés vers l’ESS. Les marchés publics restent le modèle dominant, au détriment de la logique de subvention qui est dévalorisée.
- le champ privé s’est quand à lui construit sur le principe de la lucrativité et a du mal à sortir de la logique de la rentabilité. »
« J’ai une vision jubilatoire de l’ESS : je souhaite qu’elle devienne le modèle dominant et que la filière musicale converge autour d’elle » (Philippe Nicolas)
- « L’ESS ne devrait pas être la mince frontière entre le secteur public et le secteur privé, elle devrait couvrir l’ensemble des champs. L’inverse de la non lucrativité est la lucrativité et non la logique entrepreneuriale. Tout le monde entreprend - les associations, les collectivités locales et leurs régies, etc. L’entrepreneuriat est d’autant plus nécessaire que les ressources se rarifient. Et quand on est entrepreneur, les moyens les plus importants à gérer ne sont pas les moyens financiers, mais bien les forces vives humaines.
- Le principe de l’ESS est de respecter ces forces vives, de traiter à égalité les acteurs, salariés, bénévoles et artistes. Donc pour répondre à l’intitulé de la table ronde : oui, une conciliation est possible entre la non lucrativité et la logique entrepreneuriale.
- Concernant les résultats, les activités de l’ESS peuvent bien sûr être bénéficiaires, et même ce bénéfice est nécessaire pour assurer la pérennisation du secteur, pour faire face aux aléas, par exemple l’annulation d’un festival pour cause d’intempéries. La question de l’ESS n’est pas non plus celle de faire ou non des bénéfices, mais bien de savoir de quelle façon on redistribue ces bénéfices.
- Le portefeuille d’activités n’est pas choquant pour une structure culturelle, c’est même un modèle naturel de se dire qu’on a des activités rentables qui permettent de financer des activités non rentables. Dans le secteur du cinéma, on parle de “Popcorn Strategy”, c’est-à-dire qu’on essaye avant tout de faire des bénéfices sur les ventes de boissons et de denrées alimentaires.
- On retrouve le même schéma dans les festivals avec les buvettes, le camping, etc. Le fait de nourrir et/ou de loger des festivaliers n’est pas contraire au principe de l’ESS, si on considère ces activités comme des services.
- Dire qu’écouter de la musique c’est bien et que boire c’est mal, c’est une vision désincarnée de la culture. Il faut prendre garde à ne pas mettre de frontières strictes, car elles peuvent rapidement nous mener trop loin. Dans ce cas de figure, le cran supplémentaire serait d’opposer les artistes rentables et non rentables.
- J’ai une vision jubilatoire de l’ESS et je souhaite la convergence de la filière musicale autour d’elle. Il faut qu’elle devienne le modèle dominant quels que soient les statuts juridiques des structures qui l’embrassent. C’est le sens de la loi Hamon de 2014 qui est agnostique sur la structure pour peu qu’elle remplisse les objectifs fixés. »
« Le Tétris s’est construit dans une logique entrepreneuriale » (Franck Testaert)
- « L’histoire du Tétris, salle de spectacles et lieu de création au Havre (Seine-Maritime), s’inscrit dans une logique entrepreneuriale. Nous avons créé notre association loi 1901 en 2010 pour pallier le manque de politique musicale de la Ville du Havre. Nous voulions créer une salle de musique gérée par une SCIC.
- Après plusieurs mois de confrontation, la municipalité nous a proposé un compromis étonnant : elle nous donnait une enveloppe d'1 M€, à charge à nous de faire ensuite le tour des différents acteurs pour réunir la somme nécessaire à la construction d’un bâtiment, dont nous deviendrons ainsi propriétaires.
- Nous avons levé 7 M€ et avons conçu Tétris, sur une surface de 2 500 m2 avec deux salles de concert. Nous n’avons pas eu besoin de faire d’appels d’offres et avons donc eu la liberté totale de choisir notre architecte et nos différents prestataires. Nous avons sélectionné des entreprises écologiques et/ou qui travaillaient sur le bassin. Nous avons installé des toilettes avec récupération d’eau de pluie, des panneaux solaires, construit la structure en recyclant des containers, etc.
- Ce montage a été vertueux, puisqu’il nous a permis de faire une économie de 3 M€. Tous les prestataires nous ont en effet facturés avec les tarifs appliqués au privé (par exemple le prix du béton nous est revenu 30 % à 40 % moins cher que pour une collectivité publique).
- De plus, nous avons créé un club de mécènes en amont de l’ouverture du lieu. Ce dernier nous a permis de récupérer 200 K€ supplémentaires que nous avons utilisés pour commencer à occuper le terrain, à organiser des concerts, avant que le lieu ne soit achevé. Ce club de mécènes continue à vivre aujourd’hui et il est source de grande fierté pour nous.
- La prochaine étape est la transformation de l’association en SCIC, mais c’est une démarche longue et compliquée. Dans l’attente, j’ai déjà intégré un groupement d’employeurs fondé par un ami, metteur en scène et expert comptable, qui regroupe aujourd’hui 50 structures culturelles locales. Cela permet à chacun de développer sa structure sans se préoccuper du côté fiscal. Je crois beaucoup en ce type de groupement pour le secteur culturel. »
Juliette Bompoint
Directrice @ Périféeries 2028 - candidature capitale européenne de la culture
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Parcours
Directrice
Directrice
Adjointe au directeur général
Directrice de production
Administratrice
Chef de projet « La déroute » - Nicolas Simarik
Chargée de mission Amérique Latine
Établissement & diplôme
DESS Direction de projets culturels
Maitrise d’Économie internationale - Politique de développement
Fiche n° 3630, créée le 05/05/2014 à 08:25 - MàJ le 12/11/2021 à 16:27
Parcours
Déléguée générale
Fiche n° 3604, créée le 01/05/2014 à 00:26 - MàJ le 21/06/2019 à 10:11
Philippe Nicolas
• Diplômé de l’ENA (École nationale d’administration) et de l’ESSEC (École supérieure des sciences économiques et commerciales)
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Parcours
Directeur
Co-président
Directeur financier
Directeur financier
Co-fondateur
Conseiller budgétaire
Représentant de la France en 5e Commission
Fiche n° 5087, créée le 02/07/2014 à 10:41 - MàJ le 10/02/2021 à 15:19
Franck Testaert
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Parcours
Directeur
Directeur
Co-programmateur
Manager et musicien
Directeur technique
Établissement & diplôme
Diplômé en Arts dramatiques
Fiche n° 33752, créée le 04/01/2019 à 11:20 - MàJ le 19/07/2024 à 10:20
News Tank Culture (NTC)
• Média d’information indépendant et innovant, spécialisé dans l’actualité de la musique, du spectacle vivant, des musées, monuments et du patrimoine et, depuis 2023, des nouvelles images.
• Création : septembre 2012
• Proposant à la fois un fil d’actualités, des dossiers de fonds, des interviews et de grands entretiens, des data et un annuaire des professionnels et des organisations, News Tank Culture s’adresse aux dirigeants et acteurs de la culture. Il organise également chaque année Think Culture, une journée d’échange et de débat autour de l’innovation dans le pilotage de la culture, avec la volonté de décloisonner les secteurs culturels.
• Direction :
- Bertrand Dicale, directeur général
- Anne-Florence Duliscouët, directrice de la rédaction
- Jacques Renard, directeur délégué Think Culture
- Alexis Bouhelier, directeur du développement
• News Tank Culture est une filiale de News Tank Network, créée par Marc Guiraud et Frédéric Commandeur, qui a également développé :
- News Tank Sport,
- News Tank Éducation et Recherche,
- News Tank RH Management,
- News Tank Cities,
- News Tank Mobilités,
- News Tank Énergies,
- News Tank Agro.
Le groupe emploie une centaine de collaborateurs.
Catégorie : Média
Maison mère : News Tank (NTN)
Adresse du siège
48 rue de la Bienfaisance75008 Paris France
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Fiche n° 6882, créée le 03/04/2018 à 03:02 - MàJ le 17/09/2024 à 17:06
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