« Le musée des Arts et Métiers doit être engagé et pas neutre » (Michèle Antoine, directrice)
« Nous avons pour ambition d’arriver à 350 000 visiteurs dans les cinq ans. Cet objectif que j’ai donné aux équipes est réaliste et atteignable par le biais d’une programmation et d’une communication adaptées. Nous souhaitons, entre autres, viser les jeunes adultes, car ce sont eux qui ont à affronter les enjeux que nous voulons traiter (…) Nous souhaitons aussi créer une communauté de passionnés autour du musée, composée de bricoleurs ou d’ingénieurs à la retraite, par exemple, ayant un rapport intime à la technique. Cette communauté serait un gage de la vitalité du musée et permettrait de multiplier les discours sur ses collections », déclare Michèle Antoine, directrice du musée des Arts et Métiers (Paris 3e) du CNAM
Conservatoire national des arts et métiers
, dans un entretien à News Tank le 19/12/2024. Michèle Antoine dirige le musée depuis septembre 2024
« Se recentrer sur la technique clarifie notre positionnement par rapport aux autres musées de sciences à Paris et est cohérent avec l’ADN
Acide désoxyribonucléique
du musée : un lieu créé pour les techniciens, artisans et passionnés de technique, puis un lieu d’apprentissage », ajoute-t-elle.
« Jusqu’à présent, le musée présentait une exposition d’octobre à mai chaque année. Dans la limite des ressources humaines disponibles, nous allons rajouter deux expositions annuelles de plus petite envergure, afin d’aborder des sujets plus ciblés et en ligne avec nos préoccupations (…) La grande exposition annuelle sera, elle, plus grand public et sur des problématiques plus larges, techniques et sociétales. »
« L’augmentation des ressources propres du musée est un des éléments du PSC
Projet Scientifique et Culturel
. Un travail sera d’abord fait sur la billetterie et la question de la gratuité. Nous devons ainsi revoir la tarification d’activités jusqu’ici gratuites et souhaitons développer des offres premium (…) Nous travaillons également sur le mécénat. Avec nos thématiques et les problématiques que nous mettons en évidence, notamment celle des compétences, nous pourrions saisir des opportunités », indique Michèle Antoine.
Orientations du PSC en cours d’élaboration, démarche de réduction des émissions carbone, modèle économique du musée, Michèle Antoine répond aux questions de News Tank.
Vous avez pris la direction du musée des Arts et Métiers en septembre 2024. Avec quel projet êtes-vous arrivée à ce poste ?
Mon projet initial a mûri depuis trois mois avec la rédaction d’un Projet scientifique et culturel. Ce musée ne m’était pas complètement inconnu, car je siégeais dans le comité scientifique qui accompagnait l’élaboration de ce PSC, alors encore dans sa phase de diagnostic. J’avais donc une vision assez complète de ce que pouvait être le musée lorsque j’ai posé ma candidature.
Je me suis posé la question, pour préparer ma candidature, de la pertinence d’un musée d’histoire des techniques dans le monde d’aujourd’hui. Qu’est-ce qui justifie que le public s’y rende, y revienne et considère que sa visite est utile dans sa vie quotidienne, dans son rapport au monde ou dans ses réflexions intimes ? C’est une question de respect du public qui chaque fois fait une démarche, un effort, quand il se rend chez nous. Il en découle pour nous l’exigence d’une remise en question constante et de réévaluation de nos récits.
L’exigence d’une remise en question constante et de réévaluation de nos récits »Cette notion de pertinence m’a permis de tirer certains fils en partant des enjeux auxquels le musée devait faire face : le développement durable, la crise de la citoyenneté, la virtualisation de la société et l’enjeu des compétences pour affronter la redirection écologique du monde industriel et technique. Un musée des techniques dispose d’atouts pour apporter des éléments d’éclairage, voire de réponses, à ces enjeux. Parler de techniques, et mieux, les faire expérimenter, est une manière de redonner un pouvoir d’action sur les choses qui nous entourent, de participer à une démarche de « réparation du monde ». Or, nous sommes dans une situation de perte de prise. Par rapport à la virtualisation, le retour à un travail manuel ou sa valorisation est une manière de réintroduire le concret dans la manière de regarder le monde.
La pertinence de ce musée pour le monde d’aujourd’hui et ma fascination pour les objets de ses collections, car chacun d’entre eux raconte un monde, ont motivé ma candidature. C’est aussi ce qui m’a permis de bâtir un projet avec quatre principes : la technique, l’humain, le contemporain et l’engagement.
De quelle manière vont se matérialiser ces axes dans votre projet pour l’établissement ?
La technique - Se recentrer sur la technique clarifie notre positionnement par rapport aux autres musées de sciences à Paris et est cohérent avec l’ADN du musée : un lieu créé pour les techniciens, artisans et passionnés de technique, puis un lieu d’apprentissage. S’affirmer comme un musée de technique permet de réévaluer la hiérarchie instituée entre les œuvres de l’esprit et celles de la main. Ce principe irriguera chaque décision. Cela se matérialisera par exemple par le fait que nous ne choisirons pas des thèmes tels que la physique quantique ou le temps, c’est-à-dire des thématiques de sciences fondamentales ou des thématiques abstraites, pour les expositions.
L’humain - Chaque objet technique contient de l’humain, qui doit être révélé : qui l’a inventé ? Qui l’a produit ? Dans quel contexte ? Pour répondre à quel besoin ? Qui l’a utilisé ? Dans quel cadre ? etc. Ce principe se traduira bien entendu dans les expositions permanentes ou temporaires, mais il aura aussi une influence sur notre manière d’acquérir les collections et sur ce que nous acquérons : nous allons collecter le patrimoine immatériel, les témoignages associés aux objets (récits, descriptions, peintures, etc.). Cette collecte assez originale nous demandera de revoir nos collections pour replacer l’objet dans son contexte humain.
Nous allons collecter le patrimoine immatériel »Dans cette même notion d’« humain » se trouve aussi l’importance donnée à nos visiteurs, qui constituent le moteur de notre action : il faut soigner leur accueil, se soucier de ce qui les préoccupe aujourd’hui, mais aussi avoir des offres inclusives et favoriser l’accessibilité. Par ailleurs, l’humain se retrouve dans la notion d’équipe, de collectif, dans la manière de gérer le musée.
Le contemporain - Le musée a toujours couru après le patrimoine contemporain, c’est une préoccupation qui parcourt ses 230 ans d’histoire. Il est compliqué de collectionner le contemporain. Qu’est-ce qui fait patrimoine dans notre environnement ? Qu’est-ce qui pointe l’innovation ? Cette question doit être posée, car si on ne collectionne pas l’innovation aujourd’hui, il y aura un manque dans les collections dans cent ans. Nous allons donc continuer à collectionner le contemporain pour éviter de n’être qu’un musée du passé. Parmi les critères qui nous guiderons, nous privilégierons la notion de potientialité : des technologies porteuses de développements multiples ou qui s’inscrivent dans une redirection écologique.
L’engagement - Le musée doit être au cœur de la société, s’intéresser aux enjeux sociétaux contemporains, se connecter avec son public et devenir un lieu de conversation avec ce dernier sur les questions qui nous importent. Le musée des Arts et Métiers doit être engagé et pas neutre. Cela n’empêche pas la rigueur scientifique dans nos propos, mais nous devons être présents au monde.
À quel stade se trouve l’élaboration du PSC qui décline ces axes stratégiques ?
Nous allons retravailler la première version du PSC avec des agents du musée, de manière transverse, dans le cadre de groupes de travail. Il sera de nouveau présenté devant le conseil scientifique mi-février 2025 pour, je l’espère, un passage en conseil d’administration en mars ou avril 2025. Nous validerons également le PSC auprès du ministère de la Culture à travers le MESR Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche , notre ministère de tutelle.
Vous avez évoqué la notion d’humain et la volonté de rendre le musée inclusif pour les publics. Comment comptez-vous mettre cela en place ?
Nous avons du chemin à parcourir sur ce sujet. Nous allons inclure dans nos salles des éléments permettant aux personnes porteuses de handicap de bénéficier de la visite. Nous devons proposer des aides à la visite appropriées pour tous les publics. Il y a un travail à mener au niveau du FALC Facile à lire et à comprendre , car le niveau de discours utilisé dans les salles est relativement élevé. Par ailleurs, les salles contiennent déjà quelques objets à manipuler. Nous devons les multiplier, car cela permettrait de développer une offre pour les personnes malvoyantes, mais aussi pour des compréhensions plus intuitives.
Nous souhaitons intensifier la démarche d’interventions dans des prisons menée par le musée. Nous envisageons également d’intervenir dans les hôpitaux de manière ponctuelle. Au-dela de l’importance de l’inclusivité, c’est aussi une manière pour les agents de se confronter à un autre type de public et donc d’enrichir les approches.
Comment votre poste précédent de directrice des expositions à Universcience nourrit-il votre projet pour le musée des Arts et métiers ?
Cela nourrit mon ambition de développer un musée accessible au plus grand nombre. Universcience propose des thèmes d’exposition joyeux, grand public et nous y avons introduit ce que j’appelle des « pop expositions », c’est-à-dire des expositions auxquelles les publics adhèrent aisément. Je souhaite que le musée des Arts et Métiers porte ce même enthousiasme, ce même côté accessible, et faire en sorte que l’on ait envie d’y aller, que la visite soit une joie.
Faire en sorte que l’on ait envie d’y aller, que la visite soit une joie »Comptez-vous modifier la politique d’exposition du musée ?
Jusqu’à présent, le musée présentait une exposition d’octobre à mai chaque année. Dans la limite des ressources humaines disponibles, nous allons rajouter deux expositions annuelles de plus petite envergure, afin d’aborder des sujets plus ciblés et en ligne avec nos préoccupations. Nous présenterons par exemple une exposition au mois de mars 2025 sur les batteries. Ce sujet est un vrai enjeu car il est lié aux questions de mobilité douce, mais les batteries ont en même temps des effets négatifs en termes d’utilisation des ressources. La grande exposition annuelle sera, elle, plus grand public et sur des problématiques plus larges, techniques et sociétales. Le rythme sera donc plus soutenu mais permettra de remettre en visibilité à chaque fois le musée auprès de nos publics et de favoriser le retour des visiteurs.
L’exposition « Empreinte carbone, l’expo ! », présentée au musée du 16/10/2024 au 11/05/2025, a été pensée dans une démarche de réduction des émissions carbone. Est-ce une démarche que vous souhaitez poursuivre ?
La démarche est enclenchée et nous allons la poursuivre. Nous avons mesuré l’empreinte carbone de l’exposition et nous utiliserons le même outil de mesure pour les suivantes, afin d’établir des indicateurs et des trajectoires de réduction de l’empreinte carbone. On sait que l’essentiel de l’empreinte carbone d’une exposition vient des déplacements des visiteurs mais c’est difficile à mesurer et il ne faut pas négliger les externalités positives à la visite, surtout si l’exposition porte une dimension de sensibilisation aux enjeux écologiques. C’est le cas, par exemple, si le visiteur ressort avec la volonté de réduire son empreinte carbone. Il faut donc que le musée se concentre sur les éléments qui sont dans son pouvoir d’action. Les critères environnementaux sont également inclus dans tous nos marchés. Cet enjeu est totalement assimilé, les scénographes sont parfois en avance sur nos demandes. Des outils de référence se construisent, notamment avec l’association des scénographes XPO Fédération des concepteurs d’expositions qui a développé une base de données avec des exemples et études de cas. Le musée des Arts et Métiers fait également beaucoup de réemploi, depuis longtemps.
La réduction des émissions carbone est une contrainte créative »La réduction des émissions carbone est une contrainte créative. Le défi à l’avenir pour poursuivre dans cette démarche sera peut-être de lutter contre une certaine uniformisation des expositions. Il s’agira d’un défi plutôt esthétique et d’expérience du visiteur. Nous avons en effet encore autour de nous des expériences de loisir très immersives, utilisant beaucoup de technologies et donnant une expérience très forte. Se posera la question de savoir comment rester porteur d’une expérience forte tout en étant plus sobre. Un musée de collections a pour cela un atout majeur : ses objets, pour peu qu’on les fasse parler, ont aussi un potentiel d’émotion important.
270 000 personnes ont visité le musée en 2023. Quels sont vos objectifs concernant sa fréquentation ?
Nous allons atteindre quasiment le même résultat en 2024 mais nous avons pour ambition d’arriver à 350 000 visiteurs dans les cinq ans. Cet objectif que j’ai donné aux équipes est réaliste et atteignable par le biais d’une programmation et d’une communication adaptées. Nous souhaitons, entre autres, viser les jeunes adultes, car ce sont eux qui ont à affronter les enjeux que nous voulons traiter. Le musée est donc très pertinent pour eux. Nous allons notamment viser ces publics au niveau de l’événementiel. Nous avons également une marge de progression concernant le public touristique, peu présent en nos murs car il privilégie souvent les musées d’art.
Nous souhaitons aussi créer une communauté de passionnés autour du musée, composée de bricoleurs ou d’ingénieurs à la retraite, par exemple, ayant un rapport intime à la technique. Cette communauté serait un gage de la vitalité du musée et permettrait de multiplier les discours sur ses collections. Les membres de cette communauté pourraient devenir des passeurs entre les objets et le grand public. Cela aura aussi une composante intergénérationnelle.
Nous devons travailler notre notoriété »Pour atteindre nos objectifs de fréquentation, nous devons travailler notre notoriété. Le musée n’est pas suffisamment connu du public et son nom peut porter à confusion. Il souffre d’un déficit de communication, notamment institutionnelle, en raison de budgets trop restreints. La mise en place d’une campagne de communication permettant de mieux faire connaître le musée est une véritable urgence. Par ailleurs, une programmation plus visible, annoncée plus en amont, plus martelée et attirante permettra d’augmenter la fréquentation. J’espère notamment pouvoir organiser l’été un événement sur le parvis l’été à destination des familles.
Les publics du musée des Arts et Métiers
• 30 % de groupes
• 66 % de primo-visiteurs parmi les individuels
• 17 % viennent spécifiquement pour l’exposition temporaire
• 53 % de femmes
• « Plus de 40 % » des visiteurs viennent en famille
• 36 % ont moins de 25 ans
• Origine : 54 % de Franciliens, 36 % de Français, 12 % de visiteurs étrangers
• « Plus d’un tiers » de CSP
Catégories socioprofessionnelles
+
Souhaitez-vous également développer la visibilité internationale du musée ?
Le musée a toujours eu une aura internationale en raison de la renommée de sa collection. J’ai notamment le projet de développer des coproductions d’expositions avec mes homologues à l’international. Les coproductions sont une façon de renouveler la manière de faire, et sont intéressantes en termes de business modèle. Mais cela prend du temps.
À ce sujet, quel est le modèle économique du musée et comment comptez-vous augmenter ses ressources propres ?
Le budget du musée dépend du CNAM. La subvention de notre ministère de tutelle est versée à ce dernier, qui nous donne en début d’année le budget de fonctionnement et d’investissement avec lequel nous fonctionnerons. Ce budget se situe entre 2,2 et 3,4 M€, selon les années. Le CNAM prend en charge directement de nombreux postes de dépense et notamment les salaires, le bâtiment ou les coûts d’énergie.
Les recettes du musée des Arts et Métiers
1,7 M€ de recettes annuelles, dont :
• 814 000 € de billetterie
• 446 000 € de location d’espace
• 188 000 € de boutique en 2023
L’augmentation des ressources propres du musée est un des éléments du PSC. Un travail sera d’abord fait sur la billetterie et la question de la gratuité. Nous devons ainsi revoir la tarification d’activités jusqu’ici gratuites et souhaitons développer des offres premium.
Mener une réflexion sur le type de produits à proposer dans la boutique »Nous allons également mener une réflexion sur le type de produits à proposer dans la boutique. Nous partirons du visiteur, de ses attentes, de ses capacités économiques pour définir ce qui est proposé dans la boutique, plutôt que de partir du musée. La tendance était auparavant d’y mettre beaucoup de livres, qui ne se vendent pas très bien. Nous allons pour cela engager un nouveau responsable de la boutique pour la dynamiser et en faire une vraie prolongation de la visite. Nous mettrons également en place une boutique en ligne, qui permettra d’améliorer le chiffre d’affaires.
Nous travaillons aussi sur le mécénat. Avec nos thématiques et les problématiques que nous mettons en évidence, notamment celle des compétences, nous pourrions saisir des opportunités. Cela demande un travail de longue haleine. Nous allons notamment établir la programmation à trois ans, qui nous permettra de construire une relation de confiance avec des mécènes potentiels, de faire en sorte qu’ils se sentent partie prenante du projet, ce qui est une demande de plus en plus forte de leur part. Dans le dialogue avec les mécènes, nous sommes en effet face à des équipes très claires et fermes sur les objectifs de leurs actions et ce pourquoi elles soutiennent une exposition. Il faut donc les écouter même si le musée reste évidemment maître de son discours. Le mécène doit être partenaire du projet.
Parcours
Directrice
Directrice des expositions
Cheffe de projet
Responsable des expositions
Fiche n° 16134, créée le 19/02/2016 à 15:50 - MàJ le 19/12/2024 à 11:37
Conservatoire national des arts et métiers (Cnam)
• Établissement d’enseignement supérieur et de recherche fondamentale et appliquée.
• Placé sous la tutelle du ministre chargé de l’Enseignement supérieur et de la recherche
• Abrite le musée des Arts et Métiers (Paris 3e)
• Création : le 10/10/1794 (par l’abbé Henri Grégoire à Paris)
• Trois missions :
- la formation professionnelle supérieure tout au long de la vie,
- la recherche technologique et l’innovation,
- la diffusion de la culture scientifique et technique.
• Chiffres-clés :
- 47 400 auditeurs inscrits en 2022-2023
- 22 laboratoires de recherche
- 2 500 objets exposés au musée et 80 000 conservés
- 230 centres d’enseignement « sur tout le territoire »
- « Plus de 570 » enseignants-chercheurs
- « Plus de 2 000 » enseignants vacataires
• Présidente : Florence Parly
• Administratrice générale : Bénédicte Fauvarque-Cosson, depuis septembre 2022
• Directrice du musée des Arts et Métiers : Michèle Antoine
• Contact : Clémence Thorel, directrice adjointe de la communication
• Tél. : 01 40 27 29 34
Catégorie : Musée
Adresse du siège
292 rue Saint-Martin75141 Paris Cedex 03 France
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Fiche n° 149, créée le 27/09/2013 à 13:23 - MàJ le 21/01/2025 à 07:22