Demandez votre abonnement gratuit d'un mois !

Think 2024 : « La création reste la même, qu’elle soit numérique ou sur scène » (Gilles Jobin)

News Tank Culture - Paris - Actualité n°336729 - Publié le 11/09/2024 à 18:00
- +
©  Seb Lascoux
Gilles Jobin et Hervé Rony - ©  Seb Lascoux

« Ce qui m’intéresse dans les technologies comme la réalité virtuelle, c’est la capacité d’augmenter mon travail. Je peux avoir des danseurs de 35 mètres de haut, ou bien de quelques centimètres, mais aussi des décors illimités. Elles me permettent d’explorer des espaces que je ne pourrais jamais atteindre dans un théâtre traditionnel. Elles m’ont permis d’enrichir mon vocabulaire artistique et de diffuser mon travail différemment, tout en touchant un public plus large », déclare Gilles Jobin, directeur artistique et chorégraphe de la Compagnie Gilles Jobin, lors du module « Le créateur face à la techno : quelle marge de manœuvre ? » organisé dans le cadre de la 9e édition de Think Culture Événement dédié à l’innovation dans le pilotage de la culture, organisé par News Tank Culture au Centre Pompidou (Paris 4e) le 10/09/2024.

Il intervenait avec Hervé Rony, président du FAIR Fonds d’action et d’initiative rock et directeur général de la SCAM Société civile des auteurs multimédia , dans le cadre d’un des Grands thèmes de la journée, « Numérique et nouvelles images : l’exception culturelle toujours vivante ? ».

« La technologie évolue rapidement, et il est crucial que les créateurs restent maîtres de leur travail. Cela passe par la mise en place de régulations claires pour protéger les droits d’auteur, tout en encourageant l’innovation. La gestion collective des droits est un levier important pour garantir que les créateurs soient justement rémunérés pour l’utilisation de leurs œuvres par des technologies comme l’IA Intelligence artificielle . Il faut également s’attaquer au problème du formatage des contenus par les algorithmes, afin de préserver la diversité culturelle », indique pour sa part Hervé Rony.

News Tank rend compte des échanges.


« Nous vivons une véritable révolution digitale dans les arts, et la danse est l’un des derniers domaines à en bénéficier » (Gilles Jobin)

  • « Je suis d’abord chorégraphe de danse contemporaine, mais j’ai toujours été attiré par la technologie. Le déclic s’est produit en 2011 quand j’ai découvert la stéréoscopie en allant voir le film “Pina” de Wim Wenders. J’y ai vu une opportunité de travailler dans le volume, en trois dimensions, ce qui a tout changé pour moi. Ensuite, j’ai découvert la capture de mouvements, qui m’a permis de digitaliser le mouvement et de le reproduire en temps réel. Cela a ouvert de nouvelles possibilités, surtout dans un domaine comme la danse, où il était jusque-là impossible de le faire de façon aussi précise. Nous vivons une véritable révolution digitale dans les arts, et la danse est l’un des derniers domaines à en bénéficier.
    Gilles Jobin - ©  Seb Lascoux
  • Ce qui m’intéresse dans ces technologies comme la réalité virtuelle par exemple, c’est la capacité d’augmenter mon travail. Je peux avoir des danseurs de 35 mètres de haut, ou bien de quelques centimètres, des décors illimités. Elles me permettent d’explorer des espaces que je ne pourrais jamais atteindre dans un théâtre traditionnel. Elles m’ont permis d’enrichir mon vocabulaire artistique et de diffuser mon travail différemment, tout en touchant un public plus large. »

    Gilles Jobin
  • « Il existe une tension évidente entre innovation technologique et liberté créative. Les créateurs sont à la fois attirés par ces technologies qui ouvrent de nouvelles possibilités, et en même temps, ils sont parfois confrontés à des contraintes techniques ou juridiques qui peuvent restreindre leur marge de manœuvre. Certains peuvent craindre que la technologie ne devienne un obstacle à leur créativité, alors que d’autres y voient un outil essentiel pour élargir leur champ d’action.
    Hervé Rony - ©  Seb Lascoux
  • Mais attention. Nous ne sommes pas face à un clivage aussi simple que celui des “technophiles” contre les “cultureux”. C’est une fausse opposition. En réalité, beaucoup de créateurs s’approprient les technologies pour enrichir leur travail. Par exemple, de jeunes musiciens produisent aujourd’hui de la musique dans des conditions techniques bien meilleures qu’il y a 20 ou 30 ans, grâce à des outils numériques sophistiqués. De la même manière, les documentaristes et les réalisateurs utilisent des caméras et des logiciels de montage qui n’étaient pas accessibles auparavant. Cela montre que la technologie est bien intégrée dans les pratiques artistiques.
  • Par exemple, beaucoup de créateurs voient dans l’IA une opportunité pour enrichir leur processus créatif. L’IA peut faciliter certaines tâches répétitives ou complexes, comme l’écriture de scénarios ou la création d’effets visuels. D’ailleurs, certains outils basés sur l’IA sont déjà utilisés dans le cinéma et la télévision pour générer des contenus ou simuler des acteurs. De l’autre côté, il y a la crainte que l’IA devienne une menace pour leur métier, notamment si elle est utilisée pour créer des œuvres qui ressemblent à des créations humaines sans aucune intervention artistique.
  • L’important est de trouver un équilibre entre ces deux aspects. L’IA doit être un outil au service des créateurs, et non un moyen de les remplacer. Pour cela, il faut une régulation claire et des garanties solides pour protéger les droits d’auteur. »

    Hervé Rony

« La vraie question pour les créateurs n’est pas tant la technologie en elle-même que la protection de leurs œuvres » (Hervé Rony)

  • « Les technologies offrent clairement de nouvelles possibilités, mais elles viennent aussi avec leurs contraintes, notamment techniques et financières. Utiliser la réalité virtuelle ou la capture de mouvements exige des compétences spécifiques et un équipement coûteux. Cependant, je vois ces contraintes comme des défis à surmonter. La véritable liberté artistique réside dans la maîtrise de ces outils. En les maîtrisant, on peut repousser les limites de la création et explorer des territoires inédits. Mais cela demande une collaboration étroite avec des techniciens, car le pouvoir créatif ne repose plus uniquement entre les mains du chorégraphe, mais est aussi dans celles des ingénieurs et développeurs.
  • Pour moi, ce n’est pas seulement une question de contrainte ou de liberté, mais de renouveau. Travailler avec ces technologies m’a permis de rencontrer de nouveaux publics et de me connecter avec des réseaux de diffusion qui n’existaient pas dans la danse contemporaine traditionnelle. »

    Gilles Jobin
  • « La vraie question pour les créateurs, ce n’est pas tant la technologie en elle-même que la protection de leurs œuvres. C’est un sujet fondamental. Les nouvelles technologies, notamment l’intelligence artificielle, permettent de produire des contenus de manière automatisée, parfois en utilisant des œuvres préexistantes. Cela soulève des questions de droits d’auteur et de gestion des droits, car il devient de plus en plus difficile de savoir si une œuvre créée par une IA Intelligence artificielle est une création originale ou une copie d’une œuvre existante.
  • Nous avons déjà traversé des périodes de tension similaires, par exemple avec l’arrivée du MP3 et la piraterie musicale. À l’époque, certains voyaient les artistes comme des conservateurs refusant le progrès, mais en réalité, il s’agissait de défendre leurs droits et de garantir une juste rémunération pour leur travail. Aujourd’hui, avec l’IA, le problème est le même : comment protéger l’œuvre originale du créateur tout en permettant l’utilisation de la technologie dans le processus créatif ? »

    Hervé Rony

« Ce type de production a un impact environnemental bien plus faible que les tournées traditionnelles » (Gilles Jobin)

  • « Un de mes projets les plus emblématiques en VR Réalité virtuelle est une pièce intitulée “Cosmogony”. C’est une œuvre chorégraphique retransmise en temps réel, où des danseurs se produisent en direct depuis notre studio de Genève via un système de capture de mouvements composé d’une quarantaine de caméras infrarouges pour transmettre les mouvements des danseurs dans un environnement virtuel. Nous avons pu diffuser cette œuvre dans plus de 25 villes à travers le monde, y compris à Paris, au théâtre de Chaillot, et à Singapour, sans que les danseurs aient à se déplacer physiquement. En fait, c’est comme un match de football diffusé en direct, mais avec des danseurs dont les mouvements sont capturés et retransmis.
  • Ce type de production a un impact environnemental bien plus faible que les tournées traditionnelles. En 2019, nous avons estimé que nos déplacements en avion avaient généré environ 100 tonnes de CO2 pour une pièce tournée en présentiel. Depuis 2020, grâce à “Cosmogony” et d’autres projets digitaux, nous n’avons plus utilisé l’avion pour nos diffusions, réduisant ainsi drastiquement notre empreinte carbone. Cela illustre bien comment la technologie peut aussi contribuer à rendre les arts vivants plus durables.
  • Le passage au numérique et à la diffusion en ligne a non seulement réduit notre empreinte carbone, mais a aussi amélioré la durabilité de notre travail de manière plus générale. Par exemple, en limitant les déplacements, nous économisons beaucoup de temps et d’énergie. Nos danseurs ne passent plus des heures dans les aéroports ou les hôtels, ce qui améliore leur bien-être. En termes de productivité, nous avons constaté une augmentation, car nous pouvons maintenant consacrer plus de temps à la création qu’au transport.
  • Cependant, cette approche n’est pas encore suffisamment reconnue ou soutenue. Malgré les avantages écologiques et pratiques, peu d’institutions ou de financeurs reconnaissent pleinement ces nouvelles formes de diffusion. Nous devons encore travailler dur pour que ces innovations soient adoptées plus largement par les réseaux de diffusion. »

    Gilles Jobin

« Il est important de réguler l’usage des technologies comme l’intelligence artificielle » (Hervé Rony)

  • « L’algorithme, surtout sur les plateformes de streaming, est un véritable enjeu pour les créateurs. Il influence fortement la manière dont les œuvres sont découvertes et consommées. Par exemple, les algorithmes de recommandation sur des plateformes comme Netflix ou Deezer sont conçus pour maximiser l’engagement en fonction des goûts passés de l’utilisateur. Cela conduit souvent à un formatage des œuvres, car les créateurs se retrouvent poussés à produire des contenus qui correspondent aux tendances de ces algorithmes, au détriment de la diversité et de l’originalité.
  • Ce formatage est une véritable menace pour la création artistique. Les algorithmes enferment les utilisateurs dans des bulles, ce qui réduit leur exposition à des œuvres plus audacieuses ou différentes. C’est un problème plus insidieux que celui de l’IA, car il impacte directement la manière dont les créateurs peuvent toucher leur public.
  • Il est important également de réguler l’usage de l’intelligence artificielle. Heureusement, nous avons déjà des cadres législatifs qui commencent à se mettre en place, notamment au niveau européen. Par exemple, la directive sur le droit d’auteur pose des bases solides pour protéger les œuvres contre les utilisations abusives par des technologies comme l’IA. En France, la loi est encore plus stricte, avec une approche personnaliste du droit d’auteur, qui accorde une grande importance à la protection de la personne du créateur.
  • Cependant, il reste encore beaucoup à faire. L’un des exemples que nous pourrions envisager est un système de gestion inspiré de celui de la copie privée, où les créateurs seraient rémunérés pour l’utilisation de fragments de leurs œuvres dans des créations générées par l’IA. Cela permettrait de protéger les droits des créateurs sans freiner l’innovation technologique.
  • Cela nécessite évidemment des outils techniques pour identifier correctement les œuvres et éviter les conflits sur la paternité des créations. Mais c’est une piste intéressante à explorer, surtout à une époque où les œuvres numériques circulent rapidement et où la traçabilité devient un enjeu majeur. La transparence est cruciale pour s’assurer que les créateurs ne soient pas lésés dans ce processus. »

    Hervé Rony

« Le monde du spectacle vivant tarde encore à saisir toutes les opportunités offertes par ces technologies » (Gilles Jobin)

  • « Au début, j’ai financé ces projets avec mes sources traditionnelles de financement, en considérant que la création reste la même, qu’elle soit numérique ou sur scène. Cependant, avec le temps, nous avons pu bénéficier de soutiens spécifiques pour le numérique, comme des fonds du “Cineforum” en Suisse, qui aident à financer des projets en réalité virtuelle ou en XR Toutes les réalités alternatives, virtuelles, augmentées, mixtes, etc. . Le monde du spectacle vivant, cependant, tarde encore à saisir toutes les opportunités offertes par ces technologies. Les festivals de cinéma, par exemple, se retrouvent parfois démunis face à ces productions numériques issues du spectacle vivant, car ils n’ont pas les moyens de les financer comme des films traditionnels.
  • Il y a encore du travail à faire pour créer de nouveaux réseaux et trouver des financements hybrides adaptés à ces nouvelles formes artistiques. Nous sommes à la croisée des chemins entre le spectacle vivant et le cinéma, ce qui demande des modèles économiques différents, mais les soutiens sont encore trop dispersés pour le moment. »

    Gilles Jobin

« La technologie évolue rapidement, et il est crucial que les créateurs restent maîtres de leur travail » (Hervé Rony)

  • « Avec l’adoption des nouvelles technologies, j’ai vu émerger de nouveaux métiers et de nouvelles compétences dans le spectacle vivant. Nous avons développé une sorte d’écosystème autour de la capture de mouvements, qui attire des artistes de différents horizons. Dans notre studio de Genève, nous accueillons régulièrement des artistes en résidence qui viennent pour utiliser la capture de mouvements dans leurs propres projets. Cela crée une dynamique créative enrichissante, où nous échangeons nos compétences et nos idées.
  • Par ailleurs, le fait de collaborer avec des experts techniques a complètement changé ma façon de travailler. La technologie n’est plus seulement un outil, elle fait désormais partie intégrante de la création artistique. C’est un partenariat entre l’artiste et l’ingénieur, où chacun contribue à pousser la création vers de nouvelles frontières. »

    Gilles Jobin
  • « La technologie évolue rapidement, et il est crucial que les créateurs restent maîtres de leur travail. Cela passe par la mise en place de régulations claires pour protéger les droits d’auteur, tout en encourageant l’innovation. La gestion collective des droits est un levier important pour garantir que les créateurs soient justement rémunérés pour l’utilisation de leurs œuvres par des technologies comme l’IA. Il faut également s’attaquer au problème du formatage des contenus par les algorithmes, afin de préserver la diversité culturelle.
  • Nous avons une responsabilité collective, en tant qu’organismes de gestion des droits, législateurs et créateurs, pour nous assurer que la technologie reste au service de la culture, et non l’inverse. Cela demandera du temps et de la concertation, mais je suis convaincu que nous pouvons y parvenir. »

    Hervé Rony

Gilles Jobin


Consulter la fiche dans l‘annuaire

Parcours

Compagnie Gilles Jobin
Directeur artistique et chorégraphe
Théâtre de l’Usine à Genève
Curateur

Fiche n° 52112, créée le 19/08/2024 à 13:09 - MàJ le 11/09/2024 à 15:54

Société civile des auteurs multimédia (SCAM)

• Société civile créée en septembre 1981 par 24 auteurs « dont l’objectif était de faire reconnaître le statut des réalisateurs de documentaires et d’obtenir la protection et la répartition de leurs droits à chaque diffusion de leurs œuvres »

• 54 672 auteurs et autrices (en 2023) :
- réalisateurs
- auteurs d’entretiens et de commentaires
- écrivains
- traducteurs
- journalistes
- vidéastes
- photographes
- dessinateurs

• Perceptions 2023 : 116,1 M€ (-3,3 %)
- 2022 : 120,1 M€
- 2021 :
109 M€
- 2020 : 112,8 M€
- 2019 : 110 M€
- 2018 : 105, 6 M€
- 2017 : 112,3 M€
• Répartitions 2023 : 109,8 M€ (-2,9 %)
-
2022 : 113,15 M€
- 2021 : 110,8 M€
- 2020 : 106 M€
- 2019 : 103,1 M€
- 2018 : 103, 8 M€
- 2017 : 98,80 M€

Président du conseil d’administration : Rémi Lainé
Directeur général : Hervé Rony

• Contact :
Astrid Lockhart
• Tél. : 01 56 69 64 05


Catégorie : SPRD


Adresse du siège

5, Avenue Vélasquez
75008 Paris France


Consulter la fiche dans l‘annuaire

Fiche n° 80, créée le 27/09/2013 à 13:23 - MàJ le 10/09/2024 à 16:52

News Tank Culture (NTC)

• Média d’information indépendant et innovant, spécialisé dans l’actualité de la musique, du spectacle vivant, des musées, monuments et du patrimoine et, depuis 2023, des nouvelles images.
• Création : septembre 2012
• Proposant à la fois un fil d’actualités, des dossiers de fonds, des interviews et de grands entretiens, des data et un annuaire des professionnels et des organisations, News Tank Culture s’adresse aux dirigeants et acteurs de la culture. Il organise également chaque année Think Culture, une journée d’échange et de débat autour de l’innovation dans le pilotage de la culture, avec la volonté de décloisonner les secteurs culturels.

• Direction :
- Bertrand Dicale, directeur général
- Anne-Florence Duliscouët, directrice de la rédaction
- Jacques Renard, directeur délégué Think Culture
- Alexis Bouhelier, directeur du développement

• News Tank Culture est une filiale de News Tank Network, créée par Marc Guiraud et Frédéric Commandeur, qui a également développé :
- News Tank Sport,
- News Tank Éducation et Recherche,
- News Tank RH Management,
- News Tank Cities,
- News Tank Mobilités,
- News Tank Énergies,
- News Tank Agro.

Le groupe emploie une centaine de collaborateurs.


Catégorie : Média
Maison mère : News Tank (NTN)


Adresse du siège

48 rue de la Bienfaisance
75008 Paris France


Consulter la fiche dans l‘annuaire

Fiche n° 6882, créée le 03/04/2018 à 03:02 - MàJ le 17/09/2024 à 17:06

©  Seb Lascoux
Gilles Jobin et Hervé Rony - ©  Seb Lascoux