« Montrer qu’un musée et une collection ne sont pas figés » (P. Stépanoff, Musées d’Amiens Métropole)
La broderie des Ursulines d’Amiens a été acquise par le Musée de Picardie (Somme) notamment grâce à une campagne de financement participatif ayant permis de réunir 45 000 € entre février et avril 2024. Elle sera dévoilée au public lors des Journées européennes du patrimoine des 21 et 22/09/2024. « Cette initiative était également une manière de faire comprendre au public comment une collection s’enrichit, que des opportunités nouvelles apparaissent sans cesse, mais aussi qu’un musée et une collection ne sont pas figés, et que si l’on se mobilise, on peut mettre à la disposition de tout le monde des objets qui appartenaient auparavant à des propriétaires privés et n’étaient pas visibles », déclare Pierre Stépanoff, directeur des Musées d’Amiens Métropole et conservateur en charge des collections beaux-arts du Musée de Picardie, à News Tank le 03/09/2024.
Parmi les projets mis en place par Pierre Stépanoff depuis sa prise de fonctions en mai 2023 se trouve également un raccrochage des collections beaux-arts du Musée de Picardie. « L’un des objectifs majeurs que je me suis donné, dans le cadre de cette direction, est de mieux faire connaître la richesse et l’ampleur de la collection du Musée de Picardie », indique-t-il.
« Dans un musée en région, le cœur de la fréquentation n’est pas et ne sera jamais la fréquentation touristique, mais d’abord la fidélité des habitants (…). À côté de cela, nous avons une politique à l’égard du tourisme pour essayer d’être visibles de manière stratégique. Nous sommes heureux de notre fréquentation touristique en augmentation. Pour cette dernière, nous bâtissons une stratégie de visibilité insistant sur le palais, son architecture, les salons, les intérieurs, les galeries très spectaculaires ».
Retour d’expérience sur la campagne de financement participatif pour acquérir la broderie des Ursulines, raccrochage des collections du Musée de Picardie, manière de maintenir la fréquentation en hausse, gestion de deux institutions différentes, Pierre Stépanoff répond aux questions de News Tank.
Les Musées d’Amiens Métropole
• Musée de Picardie
• Maison de Jules Verne
• Musée de l’Hôtel de Berny (fermé au public)
• Collection d’histoire naturelle (ne possède pas de lieu d’exposition)
Vous avez réalisé, en 2024, une campagne de financement participatif pour acquérir la broderie des Ursulines. Comment ce projet a-t-il été mené ?
Le mécénat constitue une partie du financement de cette œuvre. Il s’agissait d’une acquisition ambitieuse d’un montant de 250 000 €. Le projet était de mettre en valeur une œuvre très marquante, notamment pour le patrimoine d’Amiens. Cet objet a en effet été réalisé pour la chapelle des Ursulines et est resté dans la ville du règne de Louis XIV jusqu’en 1904. Elle possède donc un lien très intime avec cette ville, dans l’histoire de laquelle la question du textile est d’ailleurs très importante. Il était important de saisir cette occasion, puisque l’objet était disponible à l’achat.
Cette initiative était également une manière de faire comprendre au public comment une collection s’enrichit, que des opportunités nouvelles apparaissent sans cesse, mais aussi qu’un musée et une collection ne sont pas figés, et que si l’on se mobilise, on peut mettre à la disposition de tout le monde des objets qui appartenaient auparavant à des propriétaires privés et n’étaient pas visibles. L’un des bons moyens pour susciter de l’adhésion à ce projet était d’organiser une campagne de financement participatif. On peut mesurer l’adhésion des publics à un projet en voyant si eux-mêmes souhaitent y contribuer.
La campagne a permis de réunir 45 000 € en deux mois »La campagne a été lancée en février 2024 et a été menée sur une plateforme numérique durant deux mois. Elle a permis de réunir 45 000 €. Nous ne nous attendions pas du tout à atteindre ce chiffre. L’objectif de base était de 15 000 € et nous espérions lever 30 000 €. La campagne a eu des conséquences vertueuses, car même après la fermeture de la campagne sur la plateforme, nous avons reçu de très nombreux chèques envoyés à l’association des Amis du musée.
Nous avons pu monter ce projet grâce au soutien de cette association. D’autre part, nous avons bénéficié d’un soutien de la Fondation Crédit Agricole Brie Picardie, qui a apporté 100 000 € au projet. Nous sommes dans l’attente d’un soutien de l’État et de la Région Hauts-de-France, mais l’objet est payé et nous en sommes dès à présent les propriétaires. Nous allons le révéler au public durant les Journées européennes du patrimoine en septembre 2024, avant de proposer une exposition sur l’histoire de cet objet, des Ursulines d’Amiens et du textile, en mars 2025. Dans un troisième temps, nous procéderons à la restauration de cette œuvre.
Quel retour d’expérience pouvez-vous faire, à la suite de cette initiative ?
L’essentiel est de bien choisir l’objet que l’on veut présenter au public. Il est important que ce soit un objet levier, ayant une assise très forte au niveau local, une grosse signification patrimoniale pour le lieu où l’on lance le projet, et qu’il soit en même temps un objet de qualité nationale, voire internationale. Cette broderie est considérée unanimement comme le chef-d’œuvre de l’art de la broderie française au XVIIe siècle. Cela crée à la fois de l’attachement et de la fierté. Cela me semble décisif. Quand on peut avoir cette double identité, cela mobilise les souscripteurs.
C’était la première fois qu’une initiative ce type était mise en place à Amiens. Il s’agissait de quelque chose que j’avais envie de susciter en tant que directeur. Il manquait seulement l’objet idéal, qui s’est ainsi présenté à nous.
Un raccrochage des collections du Musée de Picardie a également été engagé depuis votre prise de fonctions. Quels sont ses objectifs ?
L’un des objectifs majeurs que je me suis donné, dans le cadre de cette direction, est de mieux faire connaître la richesse et l’ampleur de la collection du Musée de Picardie. Il est très célèbre, à juste titre, pour son bâtiment. C’est en effet le premier bâtiment muséal de l’histoire de France, très majestueux et décoré. Il a été construit sous le Second Empire et a servi de modèle à bien d’autres musées. Je voulais rééquilibrer, en termes de notoriété, la manière dont l’établissement est perçu, en mettant davantage en valeur les collections. Ceci passe par une meilleure visibilité donnée aux œuvres.
Rendre plus lisible et perceptible la richesse de la collection »Je me suis engagé, pour cette raison, dans un raccrochage de la collection beaux-arts dont j’ai la charge, afin de montrer plus d’œuvres dans le parcours et de permettre de mieux comprendre l’enchaînement historique des périodes et des siècles, ainsi que la diversité des écoles de peinture. L’objectif est de rendre plus lisible et perceptible la richesse de la collection. Nous sortons donc beaucoup d’œuvres des réserves. Le raccrochage a commencé en septembre 2023 et nous occupera durant plusieurs années, car nous devons mener un travail de restauration d’œuvres. Nous aurons terminé de raccrocher le 17e siècle au cours du mois de septembre 2024.
Montrer de nouveaux objets signifie porter un nouveau discours à leur sujet. J’ai voulu, tout en gardant les propositions déjà existantes, mettre davantage l’accent sur l’histoire de l’art, discipline passionnante mais peu connue des visiteurs car non enseignée à l’école. Je voulais que les collections puissent servir de support à cette démarche, aussi bien par le biais de visites guidées que de cycles de conférences organisés sur un mode similaire à celui d’une université populaire. Elles permettent d’apprendre, sur plusieurs conférences, les bases de l’histoire de l’art que peu de gens possèdent. Nous avons réalisé un premier cycle sur l’histoire de la peinture française, en 8 séances, à l’automne 2023. Nous en ferons un nouveau sur l’histoire de la peinture italienne à l’automne 2024. L’idée est de bonifier notre public, qu’il soit plus averti et prenne plus de plaisir dans sa visite. L’objectif est de lui donner envie de revenir et qu’il parvienne à situer les œuvres qu’il voit dans une histoire de l’art plus vaste, par rapport à d’autres œuvres plus connues car se trouvant dans des grands musées internationaux. Il s’agit de donner davantage de sens à cette collection et que l’on se fasse plus plaisir quand on la visite, car les choses ne sont pas intuitives.
Plus largement, quels sont vos projets et vos objectifs pour les musées d’Amiens Métropole, dans le cadre de votre prise de fonctions ?
Le souhait de rendre la collection plus visible concernera, à terme, tout l’établissement. D’autre part, je souhaite faire surgir, grâce à des expositions, des figures artistiques ou des thèmes liés à notre collection ou à notre territoire, mais n’étant pas forcément connus. La Picardie souffre d’un déficit de connaissance du grand public, notamment par rapport à son histoire. Nous avons beaucoup de sujets à faire connaître, tels que des artistes des siècles passés, des grands sujets artistiques. Nous construisons donc une programmation qui contribuera à mieux asseoir cette notoriété. L’idée est de partir de grands sujets déjà présents et de profiter d’une dynamique d’expositions pour les mettre en lumière. Ceci constitue la stratégie durable, et même écologique. Les expositions portent leurs fruits : il ne s’agit pas seulement de consommation culturelle, mais aussi d’un investissement portant sur le temps long et ayant un effet positif. Les catalogues restent également après les expositions et contribuent à mieux faire connaître les choses.
L’un des aspects importants de l’identité de la collection du Musée de Picardie est sa collection de tableaux de très grand format, peints au XIXe siècle. Ce sont des tableaux d’histoire spectaculaires, ayant un côté cinématographique. Ils plaisent beaucoup au public. Or, le musée a été bombardé durant la Première Guerre mondiale et un nombre très important de ces tableaux de grand format a été roulé afin de les évacuer. Plusieurs dizaines d’entre eux ne sont pas visibles depuis un siècle. Ils ont été plus longtemps invisibles que visibles. Nous sommes engagés de manière pluriannuelle dans des campagnes de restauration de cette partie des collections. Il s’agit de la partie la plus spectaculaire des restaurations que nous mettons en place, d’autant plus qu’elles racontent une histoire liée à des événements traumatiques pour la ville. Nous en avons restauré un cette année et nous allons lancer l’an prochain une nouvelle souscription pour la restauration de l’un de ces grands formats.
Le Musée de Picardie a atteint 100 000 visiteurs en 2023. Comment poursuivre dans cette voie ?
Il y a d’abord la question de la notoriété. Les publics ont une image spontanée et naturelle des musées comme des lieux où les choses ne bougent pas. Notre stratégie est de montrer, au contraire, le côté extrêmement vivant de l’établissement. Cela passe par le fait de sortir des œuvres de réserves, pour qu’il y ait toujours quelque chose de nouveau à voir et donner envie de revenir. Acquérir de nouvelles œuvres crée aussi de la curiosité et donne envie de voir de nouvelles choses. Il y a également la question de la satisfaction des visiteurs. Nous souhaitons que les visiteurs viennent curieux lorsqu’ils franchissent la porte du musée et qu’ils en repartent très satisfaits. Ce sont les deux éléments qui font ce succès. Nous avons beaucoup de témoignages de satisfaction de notre accueil et de notre médiation, qui fidélisent le public.
Dans un musée en région, le cœur de la fréquentation n’est pas et ne sera jamais la fréquentation touristique »Dans un musée en région, le cœur de la fréquentation n’est pas et ne sera jamais la fréquentation touristique, mais d’abord la fidélité des habitants. Les publics majeurs sont les habitants de la ville qui conçoivent ce musée comme un lieu de référence pour le plaisir des yeux, apprendre des choses en histoire et histoire de l’art, mais aussi pour passer un moment de contemplation. Les écoles qui sont attentives à inscrire l’éducation artistique et culturelle dans le cursus des enfants constituent également la fréquentation du musée. Il est important que les professeurs se représentent spontanément le musée comme un lieu adapté à cette démarche.
Nous menons parallèlement une politique à l’égard du tourisme pour essayer d’être visibles de manière stratégique. Nous sommes heureux de notre fréquentation touristique en augmentation. Pour cette dernière, nous bâtissons une stratégie de visibilité insistant sur le palais, son architecture, les salons, les intérieurs, les galeries très spectaculaires. Étant donné que ce sont des personnes qui viennent pour la première fois, nous souhaitons leur transmettre cette vision d’un musée comme au XIXe siècle, avec des décors monumentaux, colorés, du beau parquet qui grince, des décors de marbres sur les murs. Nous en profitons, une fois qu’ils sont là, pour leur montrer la collection.
L’idée de densifier le parcours des collections s’adresse plutôt aux publics plus fidèles, les Amiénois, car ils le connaissent déjà. Auprès des touristes, nous essayons de défendre une approche plus orientée “monument historique” car ils sont sensibles aux musées-châteaux, qui font rêver. Nous essayons donc de nous infiltrer dans cette approche, car le Musée de Picardie se visite aussi un peu comme un palais.
La gestion de deux institutions différentes (le Musée de Picardie et la Maison de Jules Verne) réunies sous une même entité vous pose-t-elle des défis spécifiques ?
Ce sont plutôt des aubaines. La maison de Jules Verne, à rebours de ce que je viens de dire, a une fréquentation très touristique, grâce au nom de Jules Verne. Dans beaucoup de pays, ce dernier est plus lu qu’en France. Nous mettons en place une stratégie de vases communicants. Nous essayons de susciter de la curiosité pour le Musée de Picardie auprès de visiteurs étrangers qui viennent spontanément à la maison de Jules Verne, pour leur donner envie de poursuivre la visite et de franchir les 500 mètres séparant les deux institutions.
Nous proposons également des rendez-vous et de petites expositions au sein de la Maison de Jules Verne afin de recréer de la curiosité chez les visiteurs amiénois qui ont peut-être déjà visité ce lieu. La maison de Jules Verne marche beaucoup par ses propositions de médiation et d’animations culturelles. C’est un lieu à activer et les médiateurs qui l’animent ont un rôle très important, car les visiteurs viennent y chercher la présence de Jules Verne. C’est un lieu où l’on valorise quelque chose d’immatériel, une œuvre littéraire. La médiation est donc importante pour faire connaitre le texte, proposer des angles inattendus sur certains aspects de l’œuvre de Jules Verne moins connus.
Parcours
Directeur
Conservateur du patrimoine
Fiche n° 48564, créée le 14/02/2023 à 10:06 - MàJ le 02/09/2024 à 12:24
Musées d’Amiens Métropole
• Les musées d’Amiens Métropole regroupent le Musée de Picardie et de la Maison Jules Verne
• Le Musée de Picardie est un musée d’art et d’archéologie, labellisé « musée de France » en 2002, qui possède des collections de la Préhistoire au XXe siècle, notamment en archéologie et en peinture. Il a été fermé pour rénovation de juillet 2017 à mars 2020.
• La Maison Jules Verne, dont l’écrivain a été locataire de 1882 à 1900.
• Direction : Pierre Stépanoff (depuis mai 2023)
• Contact : Frédéric Desfeuillet, chargé du développement, de la communication et du mécénat
• Tél. : 03 22 97 40 57
Catégorie : Musée
Adresse du siège
48 rue de La République80000 Amiens France
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Fiche n° 4582, créée le 02/01/2017 à 09:29 - MàJ le 11/09/2024 à 09:05