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« Utiliser l’art contemporain pour obliger les gens à regarder la ville » (Édouard Philippe, Le Havre)

News Tank Culture - Paris - Actualité n°309424 - Publié le 20/12/2023 à 09:30
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©  NTC
De gauche à droite : Jean Blaise, Édouard Philippe et Ariella Masboungi - ©  NTC

« À partir de 2012, en réfléchissant à ma nouvelle politique culturelle pour Le Havre, je me suis dit qu’il fallait que je rassemble tous les acteurs culturels de la ville (…) J’ai demandé à Jean Blaise Directeur général @ Le Voyage à Nantes
Créateur de différentes manifestations culturelles : • Le festival des Allumées • Le Festival de Hué au Vietnam • Nuit blanche parisienne…
de venir animer des Assises de la culture avec dans l’idée de secouer un peu tout le monde. Il a fait naître en moi l’idée assez simple, mais assez extraordinaire, que le fait d’aimer ou pas l’art contemporain n’est pas le sujet. Il s’agissait d’utiliser l’art contemporain, non pas pour dire que nous sommes une ville qui aime l’art contemporain, mais pour obliger les gens à regarder la ville (…) Très tôt, même si j’ai dit à Jean Blaise que le succès de l’opération n'était pas un enjeu, il m’a poussé à compter les nuitées au Havre afin de mesurer un éventuel impact. Il a été énorme », indique Édouard Philippe, maire du Havre et initiateur d’un Été au Havre, lors de la conférence-débat « L’art contemporain pour le territoire, un luxe nécessaire », organisée au Club Ville Aménagement à Puteaux (Hauts-de-Seine) le 13/12/2023.

« Ce qui m’a vraiment réjoui dans le fait de travailler au Havre est que le résultat a été totalement différent de Nantes, parce que la ville est totalement différente. Cela montre que notre théorie est juste et que l’œuvre se crée en fonction du territoire, en fonction des perspectives, en fonction de la ville elle-même (…) Au Havre comme à Nantes, nous avons tout fait pour que la médiation soit la plus exigeante, la plus forte possible. Cela fonctionne. Il y a une quarantaine de médiateurs sur le parcours du Voyage à Nantes et les gens s’arrêtent et posent sans cesse des questions, cela permet de faire de la pédagogie. On se rend compte que lorsque les gens sont énervés, le fait de parler avec eux, de leur expliquer le travail de l’artiste, est susceptible de les apaiser », déclare quant à lui Jean Blaise, directeur du Voyage à Nantes et ex-directeur artistique d’Un Été au Havre.

« Nous nous sommes toujours attachés à montrer que ces opérations rapportent plus qu’elles ne coûtent. Le budget global pour la structure du Voyage à Nantes s'élève 30 M€, ce qui reste inférieur aux retombées. La création d’une image créative au sein de la ville favorise sa réussite économique (…) La question de l’entretien des œuvres est aussi fondamentale. Au sein du Voyage à Nantes, nous avons trois personnes qui s’en occupent. Elles interviennent sur les œuvres pérennes ou font intervenir des entreprises quand nous ne sommes pas suffisamment compétents pour le faire. Il en va du respect des œuvres et des artistes. Ces opérations représentent environ un million d’euros par an pour nous », ajoute-t-il.

News Tank rend compte des échanges.


« Une nouvelle façon d’envisager la ville et de la mettre en mouvement » (Édouard Philippe)

  • « En 2010, je suis devenu maire du Havre, qui est une ville qui, pendant très longtemps, a eu mauvaise réputation. Il s’agissait d’une ville industrielle, portuaire, qui a été complètement rasée en 1944, puis reconstruite par Auguste Perret dans un style particulier, qui a d’abord fait l’unanimité contre lui avant de faire l’unanimité pour. Elle a constitué pendant longtemps une ville dénigrée dont les habitants ne disaient jamais qu’ils l’aimaient. Quand j'étais petit, on disait généralement qu’on venait de Normandie plutôt que du Havre.
  • Une nouvelle façon d’envisager la ville et de la mettre en mouvement s’est construite progressivement. En 2005, le classement de la ville au patrimoine mondial par l’Unesco Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture a constitué un facteur décisif. Les gens pouvaient dire qu’ils venaient du Havre et que c’était beau, au même titre que Venise. Cela a profondément changé les choses et constitué un facteur objectivant de fierté, qu’il a ensuite fallu partager et faire connaître. Il faut noter que le Havre est une ville industrielle et portuaire qui entend le rester. Or, dans le monde d’aujourd’hui, cela ne suffit pas. Il faut pouvoir avoir des activités de services et ces dernières avaient disparu. Elles étaient parties à Nantes, Rouen ou même Paris, rendant la ville rugueuse, plus pauvre, avec des indicateurs sanitaires et sociaux moins bons que la moyenne départementale, elle-même moins bonne que la moyenne nationale. Il fallait changer son image pour la rendre plus attractive, au-delà de la fierté, faire en sorte que les gens viennent au Havre, voire aient envie de s’y installer.
  • À ma prise de fonctions en 2010, j’ai appliqué la même stratégie que mon prédécesseur en souhaitant me concentrer sur un thème. Mon objectif était d’avoir une politique culturelle un peu plus affichée et un peu plus ambitieuse. Je suis parti de la lecture, plutôt que de l’art dans la rue, étant probablement un peu plus sensible à la littérature qu’à l’art contemporain. En 2017, nous nous apprêtions à fêter le 500e anniversaire de la ville. Notre objectif était de montrer aux Havrais et aux autres, non pas ce que nous allions faire, mais la manière dont nous avions changé, dont nous nous étions déjà transformés.
  • À partir de 2012, en réfléchissant à ma nouvelle politique culturelle, je me suis dit qu’il fallait que je rassemble tous les acteurs culturels de la ville. Or, dans une petite ville, le monde des acteurs culturels est souvent marqué par une forme d’entre-soi. J’ai demandé à Jean Blaise de venir animer des Assises de la culture avec dans l’idée de secouer un peu tout le monde. Il a fait naître en moi l’idée assez simple, mais assez extraordinaire, que le fait d’aimer ou pas l’art contemporain n’est pas le sujet. Il s’agissait d’utiliser l’art contemporain, non pas pour dire que nous sommes une ville qui aime l’art contemporain, mais pour obliger les gens à regarder la ville. L’objectif était que, à travers des créations, on puisse offrir de nouvelles lunettes pour découvrir ou redécouvrir la ville. Le souci permanent de Jean Blaise était de trouver la justesse, l’œuvre qui, au bon endroit, permet d’être ambitieux en matière de création culturelle, mais aussi de s’interroger sur la ville avec un nouveau regard. C’est en cela que nos ambitions se sont rencontrées.
  • Nous nous sommes fait confiance. Je suis parti du principe, qu’il s’agisse des œuvres ou des formes artistiques, que je ne rentrerai jamais dans les questions de programmation parce que ce n’est pas mon métier. Cela me permet aussi d'être libre et très détendu vis-à-vis de ces questions. »

    Édouard Philippe

« On ne travaille pas dans l’espace public sans le politique » (Jean Blaise)

  • « On ne travaille pas dans l’espace public sans le politique. Quand je travaillais dans les scènes nationales, à la fin des années 1970-80, les directeurs de ces établissements ne voulaient pas rencontrer les politiques, afin d’être totalement libres, de ne pas subir de censure. Or, l’espace public appartient à tout le monde et on y est confronté au jugement public. C’est précisément ce qu’il a de formidable.
  • Avant même de m’intéresser à l’urbanisme, au développement de la ville, je me suis intéressé à l’accessibilité. Comment faire pour que le plus grand nombre puisse accéder à l’art ? On sait que seulement 9 % de la population accède aux maisons de la culture et aux scènes nationales, et encore, en étant optimistes. Aller dans l’espace public est donc un moyen de s’adresser à tout le monde, y compris à ceux qui nous détestent. Or, comment faire pour aller dans l’espace public, sans se contenter de faire de la décoration, mais en pénétrant véritablement la ville pour transformer le regard qu’on a sur elle.
  • Quand Jean-Marc Ayrault a été élu à Nantes, en 1989, la ville se trouvait dans un état lamentable. Elle venait de perdre des chantiers navals qui faisaient partie de l’identité de la ville. L’usine LU, qui était très emblématique, a également quitté Nantes. Par ailleurs, en 1943, la ville avait été bombardée, comme Le Havre, même si elle ne l’a pas été complètement. Des parties de la ville s'étaient écroulées, ont été mal reconstruites, faisant qu’elle se retrouvait comme un peu embarrassée. Jean-Marc Ayrault a misé sur la culture pour redonner des couleurs à la ville en attendant de pouvoir la reconstruire. Il savait que cela allait mettre 30-40 ans, d’où la volonté de miser sur la créativité. Nous avons invité la compagnie Royal de Luxe. Nous avons créé Les Allumés, festival où nous invitions chaque année, de 18h à 6h, pendant six nuits des artistes d’avant-garde pour venir agiter la ville, la bousculer. En 2010, Jean-Marc Ayrault m’a demandé de créer une structure, devenue Le Voyage à Nantes, rassemblant le Château des ducs de Bretagne, les Machines de l’île, un centre d’art contemporain, le Mémorial de l’abolition de l’esclavage, etc.
  • Le Lieu Unique - Scène nationale de Nantes • Scène nationale • Association loi 1901 • Créée le 01/01/2000 au sein de l’ancienne usine LU • Revendique 100 000 spectateurs et 550 000 visiteurs par an • Salles et espaces : - Grand atelier… , que nous avons réalisé avec Patrick Bouchain, a quant à lui été conçu comme un lieu de vie avec un grand bar et un grand restaurant ouvert tous les jours de l’année, dimanche inclus. L’objectif était d’avoir une ville qui se voue à la créativité, à la création artistique. Nous avons ensuite créé la biennale Estuaire et vu arriver des touristes dans une ville qui n’avait pas de tourisme d’agrément auparavant.
  • Quand je dirigeais Le Lieu Unique, le maire de Saint-Nazaire et celui de Nantes m’ont demandé de réaliser un événement qui puisse montrer le rapprochement entre les deux villes, que cette grande métropole avait une culture commune. Ils pensaient à un grand festival. Lorsque nous avons commencé à réfléchir, à travailler avec mon équipe, puisqu’il s’agissait d’un projet de territoire, nous avons déplié une carte. Nous avons évidemment constaté que ce qui reliait les deux villes était l’estuaire de la Loire, c’est donc sur cet élément-là que nous avons travaillé. Nous avons commencé à imaginer une biennale dans le cadre de laquelle nous ferions intervenir de grands artistes français et internationaux pour interpréter les différents paysages de cet estuaire. Cela a constitué le début de notre expérience de l’espace public.
  • Notre objectif est aussi de faire en sorte que les œuvres puissent venir interpréter des paysages. Nous avons notamment fait venir l’artiste Erwin Wurm sur le canal de la Martinière (Loire-Atlantique). Ce dernier constitue un canal absurde, d’où l’intérêt de faire venir un artiste qui puisse le traiter de façon absurde. Le canal devait permettre aux bateaux de rejoindre le pont de Nantes alors que la Loire s’était envasée. On a mis des années à la construire. Or, quand il a été terminé, on avait appris à draguer la Loire, ce qui le rendait obsolète. Le canal a donc fermé, devenant un cimetière de bateaux. L’œuvre conçue par Erwin Wurm a pris la forme d’un bateau distordu essayant d’échapper à son écluse pour rejoindre les autres bateaux.
  • À Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique) se trouve, depuis 2012, Le Serpent d’océan de l’artiste chinois Huang Yong Ping. Il se trouve à la sortie de l’estuaire, comme s’il avait traversé toutes les mers pour venir s’échouer ici. Les marées s’exercent sur cette œuvre qui est souvent recouverte par la mer et réapparaît à marée basse. La sculpture se trouve dans le prolongement du pont de Saint-Nazaire avec laquelle il offre une résonance. Une œuvre dans l’espace public est vraiment réussie quand elle est véritablement in situ, quand elle dialogue avec ou disrupte le paysage. »

    Jean Blaise

« L’objectif n’était pas de faire la même chose au Havre qu’à Nantes » (Édouard Philippe)

  • « Je suis allé à Nantes pour voir les œuvres. Or, l’objectif n’était pas de faire la même chose au Havre qu’à Nantes. Nous n’étions pas dans l’idée d’un parcours avec une ligne, mais avions un défi majeur quant au fait de regarder la ville différemment. Au Havre, se posait une question d’échelle, puisqu’il s’agit d’une ville très vaste, mais très peu dense. Quand Perret en a reconstruit le centre, il imaginait y accueillir à terme plus de 200 000 personnes. En réalité, les habitants sont beaucoup moins nombreux. Il s’agit donc d’une ville peu dense avec des espaces publics assez surdimensionnés par rapport aux canons actuels. Il y a des places immenses partout, de grandes avenues, peu de bouchons.
  • Chaque année, nous proposons Un Été au Havre. À l’origine, nous avions prévu une édition unique en 2017. Or, je suis parti à Matignon au moment de l’inauguration de la manifestation et mon successeur a eu l’idée de poursuivre le projet. Il se perpétue chaque année, sur la base d’un budget global d’environ 3 M€ par an. Cet effet cumulatif permet de constituer une collection. La Ville a repris la propriété de toutes les œuvres, qui ont été acquises définitivement, et va les entretenir. À chaque fois qu’on vient au Havre, on y trouve des œuvres supplémentaires, mais aussi des rappels du passé. Il s’agit aussi d’une collection unique qui se constitue avec le temps et fait en sorte que chaque édition, par ses ajouts, soit d’autant plus intéressante que la précédente.
  • Sur le Quai Southampton, qui a justifié la création de la ville et constitue le front sud de la ville, nous avions tout un espace rempli de parkings, de véhicules, de hangars. Il nous fallait donc redonner au quai une destination de promenade, en faire une destination urbaine. Nous avons réalisé un aménagement d’une grande sobriété. Jean Blaise est ensuite intervenu sur cette ligne d’une sobriété totale, pour ajouter de la couleur, des formes, avec une œuvre de l’artiste Vincent Ganivet composée de conteneurs. Il s’agit d’une œuvre très grande afin de correspondre à l’échelle du site, lui-même très vaste. Conçue comme une œuvre temporaire, elle a généré du doute avant d’être installée. Les habitants l’ont toutefois très vite adoptée, nous avons donc rendu cette œuvre pérenne.
  • Nous avons aussi mis en place des œuvres destinées à donner une raison d’aller jusqu’à un site donné, notamment à Caucriauville, sur les hauteurs à l’extrême est de la ville. Il s’agit d’une espèce de soucoupe volante implantée dans l’un des quartiers les plus populaires de la ville, un des plus excentrés. L’idée était de placer une œuvre pour justifier d’aller jusqu’ici et dire que Le Havre ne se limite pas au centre reconstruit. Or, cette œuvre a eu un succès assez relatif. D’abord, peu de gens y sont allés et ensuite l’œuvre a très vite été abîmée. Ce n’était pas écrit d’avance, puisque c’est presque à cet endroit que nous avions installé le Centre Pompidou mobile qui avait constitué un succès extraordinaire. Ce n’est pas grave pour autant, le travail mené avec Jean Blaise reposait sur l’idée que nous ne nous fixions pas de critère de réussite, ne serait-ce que parce que je n’aurais pas très bien su dire lesquels fixer. Nous assumions de prendre des risques, nous savions que nous n’allions pas tout réussir, ce qui était aussi la force du projet.
  • En général, je n’ai pas trop de problèmes avec mon Conseil municipal, ayant une équipe assez soudée et qui me fait confiance. En 2014, ma première élection s’est faite dès le premier tour, ce qui me conférait une légitimité politique assez forte. À chaque fois que j’ai pris des risques au Havre, en matière culturelle ou non, que j’ai proposé des projets, j’ai d’abord été confronté à de la résistance. Les Havrais ont pu être un peu choqués, mais restent en fait assez enthousiastes, aiment les prises de risque.
  • Nous avons aussi des œuvres qui ont changé de place, notamment une œuvre d’Erwin Wurm, intitulée “Narrow House”, qui a été installée dans deux endroits successifs. Elle a d’abord été placée avenue Foch où elle n’avait pas complètement sa place. Les gens ont protesté. Elle a donc été réinstallée dans un parc qui a été intégralement refait en fonction de l’œuvre. Elle y a trouvé une nouvelle justesse. Une autre œuvre qui a bougé est une grande statue de Fabien Merelle, qui s’appelle “Jusqu’au bout du monde”. Elle a justement été installée dans un endroit qu’on appelle le bout du monde au Havre, au bout de la promenade. Or, l’œuvre, qui avait été réalisée en résine, a été brûlée. Cela a généré un mouvement collectif de la communauté havraise autour de la volonté de refaire l’œuvre, mais cette fois-ci en bronze. Une souscription, puis une recréation, a eu lieu. La statue a été stockée dans la cathédrale avant d'être replacée sur site.
  • Nous avons aussi disposé une œuvre de Sabrina Lang et Daniel Baumann sur la plage, ce qui a posé toutes sortes d’enjeux juridiques en lien avec la loi littoral, puisqu’en théorie, nous n’avons pas le droit de construire sur la plage. Or, cette loi n’a pas été faite pour empêcher la mise en place d’œuvres d’art, mais des constructions. Nous avons fait le choix de construire cette œuvre malgré tout, et d’attendre qu’on vienne nous demander de la déconstruire. C’était en 2018, et nous attendons toujours. Il s’agit d’un véritable sujet d’aménagement. Peut-on mettre une œuvre sur la plage tout en défendant la non-constructibilité du littoral ?
  • Chaque année, notre objectif est de garder une ou deux œuvres pour constituer une collection. Nous nous sommes posé la question du périmètre investi par ces œuvres d’art. Peut-être qu’un jour, nous étendrons l’opération à l’échelle de la communauté urbaine. Pour l’instant, elle se déploie au Havre. Au début, nous nous focalisions sur la ville reconstruite, le centre-ville. La programmation effectuée par Gaël Charbau Directeur artistique @ Un Été au Havre • Conseiller artistique @ Universcience
    • Critique d’art et commissaire d’exposition indépendant. • Organise régulièrement des expositions en France et en…
    tend à élargir un peu les choses, même si l’objectif n’est pas de traiter absolument toute la ville, car il s’agit d’un périmètre trop vaste. »

    Édouard Philippe

« L'œuvre se crée en fonction du territoire » (Jean Blaise)

Mode opératoire

  • « Nous faisons beaucoup de repérages, nous marchons beaucoup dans la ville et à un moment donné, cette perspective, que nous n’avions pas vue pendant cinq ans, nous apparaît et nous semble véritablement dire la ville, ce qu’elle est. Nous interpellons alors un artiste à qui nous demandons de travailler sur un espace donné et qui nous fournit ensuite un croquis.
  • Il nous faut trouver le bon artiste qui doit lui-même trouver la bonne dimension. L’échelle est primordiale. Ce qui nous a réjouis avec mon équipe, c’est que ce qui surgissait au Havre était très différent de ce qui apparaissait à Nantes. Cela montre que notre théorie est juste et que l’œuvre se crée en fonction du territoire, en fonction des perspectives, en fonction de la ville elle-même. Nantes est une ville très diverse qui n’a pas la force de l’architecture du Havre. Les œuvres sont ainsi totalement différentes au Havre qu’à Nantes. Par ailleurs, la ville du Havre qui apparaît comme une grande ville quand on ne la connaît pas, est en réalité une toute petite ville. Cela rend la création d’un parcours, sur un ou deux jours, beaucoup plus facile. »

    Jean Blaise
  • « Jean Blaise n’est pas un artiste, mais la programmation fabrique une œuvre. De la même manière, les collectionneurs créent une œuvre quand ils créent de manière intelligente et non compulsive. Je prends la collection globale créée par Jean Blaise comme une œuvre. C’est aussi ce sur quoi s’appuie le contrat de confiance. À noter qu’avec une collection d’œuvres d’art dans la ville, on ne peut plus vraiment envisager l’aménagement, le futur de la ville, son réaménagement sans cette collection. Il faut prendre en compte les œuvres qui sont là, organisent les flux, une vision de la ville et participent de sa construction. »

    Édouard Philippe

Impact sur le tourisme

  • « Très tôt, même si j’ai dit à Jean Blaise que le succès de l’opération n'était pas un enjeu, il m’a poussé à compter les nuitées au Havre afin de mesurer un éventuel impact. Il a été énorme, même s’il n’est probablement pas exclusivement lié à Un Été au Havre. 
  • Pour mesurer l’impact d’Un Été au Havre, nous comptons le nombre de connexions uniques de téléphones portables sur la rue de Paris et sur le quai de Southampton entre juillet et août. Nous en sommes à un million de personnes. Dans les années 1980, au Havre, les hôtels étaient pleins pendant la semaine, vides pendant le week-end, et fermés l’été. Aujourd’hui, leur taux de remplissage l’été est supérieur à celui des hôtels à Toulouse à la même période. Nous ouvrons aussi un ou deux nouveaux hôtels par an et leur gamme s’élargit. Les gens viennent voir une ville dont ils ont entendu parler, une ville qui les surprend, des œuvres d’art, même s’ils ne restent pas très longtemps sur place. Il existe donc un impact mesurable, démontrable en matière de fréquentation, mais aussi en termes d’image, de fierté, d’identité. Le Havre n’est plus seulement la ville d’Auguste Perret ou des impressionnistes, mais aussi une ville d’art contemporain. »

    Édouard Philippe
  • « À Nantes, également, le tourisme d’agrément n’existait pas, ou très peu il y a 15 ans. Nous sommes parvenus à 100 % d’augmentation en 10 ans de ce tourisme d’agrément, même si ce n’est pas uniquement du fait du Voyage à Nantes. La ville s’est fait remarquer, est en train de se transformer de manière hallucinante. Nantes est désormais une ville culturelle dans l’esprit des Français. »

    Jean Blaise

Enjeux en matière de financement

  • « Nous nous sommes toujours attachés à montrer que ces opérations rapportent plus qu’elles ne coûtent. Le budget global de la structure du Voyage à Nantes s'élève à 30 M€, ce qui reste inférieur aux retombées. Au conseil métropolitain, il n’y a pas d’opposition pour voter le budget du Voyage à Nantes. La création d’une image créative au sein de la ville favorise sa réussite économique. »

    Jean Blaise
  • « Au Havre, il existe un club de 70-80 entreprises qui paient chaque année 5 000 €, 10 000 € ou 15 000 € pour participer au financement d’Un Été au Havre. Elles ont compris que quelque chose se jouait. Elles n’ont pas grand-chose à y gagner si ce n’est la participation à une forme d’émulation, d’interaction collective. »

    Édouard Philippe

Rapport à la médiation

  • « Je ne sais pas si les œuvres favorisent la rencontre ou permettent de créer du lien social. Elles permettent toutefois de créer un référentiel commun, une culture commune. Nous tenons à ce que chaque année, l'école d’art du Havre, qui a d’ailleurs fusionné avec celle de Rouen, organise un concours en son sein pour qu’une œuvre venant d’un des étudiants soit choisie et présentée.
  • Par ailleurs, une seule œuvre parmi toutes celles qui ont été exposées au Havre, a été endommagée. Il s’agit de celle de Fabien Merelle qui a été brûlée. Le pari de la culture est pour moi la rencontre entre un individu et une œuvre. Je m’efforce donc de proposer des œuvres et que des individus les rencontrent. »

    Édouard Philippe
  • « Au Havre comme à Nantes, nous avons tout fait pour que la médiation soit la plus exigeante, la plus forte possible. Cela fonctionne. Il y a une quarantaine de médiateurs sur le parcours du Voyage à Nantes et les gens s’arrêtent et posent sans cesse des questions, cela permet de faire de la pédagogie. On se rend compte que lorsque les gens sont énervés, le fait de parler avec eux, de leur expliquer le travail de l’artiste est susceptible de les apaiser. Les gens craignent toujours qu’on se fiche d’eux, d’où l’intérêt d’échanger. »

    Jean Blaise

Sélection des artistes

  • « J’ai souvent des gens qui me disent qu’il n’y a pas d’artistes havrais exposés pendant Un Été au Havre. Or, je ne fais pas une manifestation cantonale. Le Havre est classé au patrimoine mondial de l’Unesco, la ville dit quelque chose de l’humanité, d’une période, d’un projet, que viennent ensuite sublimer des artistes. Il s’agit aussi du premier port français, un port étant un lieu d’échanges. Ce qui m’intéresse, c’est d’avoir une dimension plus internationale, que le monde vienne au Havre. De trouver l’œuvre juste pour la ville du Havre. Je l’ai dit, à la fois à Jean Blaise, et de façon systématique lors de réunions avec des artistes havrais. Cela a été difficile à faire comprendre au départ, maintenant les choses sont plus naturelles. »

    Édouard Philippe
  • « Nous ne faisons pas venir des artistes étrangers par snobisme. Notre théorie consiste à se demander quel artiste interprétera le mieux un site en particulier, en concevant une œuvre à partir d’un lieu. Nous ne nous sommes pas non plus astreints à faire venir autant de femmes que d’hommes. Ces dernières sont toutefois de plus en plus nombreuses parce qu’elles sont géniales, cette évolution advient de toute façon. »

    Jean Blaise

Entretien des œuvres exposées

  • « La question de l’entretien des œuvres est fondamentale. Au sein du Voyage à Nantes, nous avons trois personnes qui s’en occupent. Elles interviennent sur les œuvres pérennes ou font intervenir des entreprises quand nous ne sommes pas suffisamment compétents pour le faire. Il en va du respect des œuvres et des artistes. Ces opérations représentent environ un million d’euros par an pour nous. »

    Jean Blaise

Stanislas Mahé
Secrétariat général du Club
Club Ville Aménagement
06 52 25 20 79
stanislas.mahe@i-carre.net

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De gauche à droite : Jean Blaise, Édouard Philippe et Ariella Masboungi - ©  NTC