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Think Culture 2022 : « Les musées doivent nous aider à comprendre notre avenir » (Chris Dercon, RMNGP)

News Tank Culture - Paris - Actualité n°262842 - Publié le 06/09/2022 à 15:50
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©  Seb Lascoux
Chris Dercon - ©  Seb Lascoux

« Nous devons reconsidérer l’empreinte carbone de nos expositions et repenser urgemment leur physicalités, la manière dont nous les réalisons, les organisons et gérons leur logistique. Ceci implique de réduire la taille de nos expositions et d’être transparents sur leur impact écologique. Comme nous avons vu apparaître des données caloriques sur la nourriture, nous verrons sans doute apparaître des données appliquées à l’empreinte écologique des productions culturelles », déclare Chris Dercon, président de la Réunion des Musées Nationaux - Grand Palais, lors de sa keynote en ouverture de la 7e édition de Think Culture Événement dédié à l’innovation dans le pilotage de la culture, organisé par News Tank Culture le 06/09/2022 au Centre Pompidou • Établissement public culturel pluridisciplinaire ouvert en 1977.• Réunit le MNAM (Musée national d’art moderne), le CCI (Centre de création industrielle), le DCC (Département culture et création)… (Paris 4e).

« Au-delà de cet aspect matériel, il nous faut considérer que le carbone émis par les visiteurs qui se rendent dans nos expositions, et particulièrement quand ils viennent de loin, est dix fois supérieur à la production de l’exposition elle-même. Il semblerait donc que la soutenabilité dans le secteur culturel doit aussi passer par la manière dont nous repensons l’offre culturelle pour un public local. Nous avons appris cette leçon lors de la pandémie, mais les impacts sur nos programmations se font bien vite oublier sous la pression économique de nos systèmes, qui dépendent du tourisme national et international », ajoute-t-il.

« Bien que nous observions une volonté des espaces culturels de maximiser leurs usages auprès des publics, il est encore nécessaire que nous développions de nouvelles conditions d’usages pour ces espaces afin d’élargir le rôle qu’ils peuvent occuper dans le tissu urbain et communautaire. »


« Nous devons reconsidérer l’empreinte carbone de nos expositions » (Chris Dercon)

  • La semaine dernière, les participants à la conférence de l’ICOM The International Council of Museums  à Prague ont voté, à l’unanimité, une nouvelle définition de ce qu’un musée est ou doit être. Cette dernière inclut les nouveaux mots « diversité » et « durabilité ». Afin de considérer l’importance et les implications de ces nouveaux mots, nous pouvons nous tourner vers l’article de Nicolas Truong, « Penser le retour du tragique en Europe », publié dans Le Monde du 23/04/2022. Dans cet article, il cite Bruno Latour en disant qu’il est possible de défendre la démocratie par l’écologie et de mêler les affects politiques aux affects écologiques. À ces affects, nous pouvons ajouter la culture, comme le fait très souvent Bruno Latour lui-même.

    Nos considérations écologiques culturelles doivent aller au-delà des enjeux matériels »

  • Dans le contexte de notre rencontre, considérons immédiatement que l’approche écologique de la culture n’est pas seulement latourienne et que nos considérations écologiques culturelles doivent aller au-delà des enjeux matériels. En témoignent les ambitions écologiques du Palais de Tokyo • Créé en 2002• Dédié à la création contemporaine en Europe• Superficie : 22 000 m²• Présidente du CA : Anne Wachsmann Guigon• Présidence : Guillaume Désanges• Directrice générale  : Marianne…  quand son nouveau directeur parle d’une « vraie révolution mentale ». Nous devons reconsidérer l’empreinte carbone de nos expositions et repenser urgemment leur physicalités, la manière dont nous les réalisons, leur logistique. Cela implique de réduire la taille de nos expositions et d’être transparents sur leur impact écologique. Nous pouvons déjà constater des exemples à l’œuvre dans l’industrie culturelle, les expositions du Musée du Luxembourg • 1750 : 1er musée français ouvert au public • 2010 : le Sénat délègue la gestion du musée à la RMN-GP (Réunion des musées nationaux-Grand Palais), en privilégiant trois axes de programmation en… par exemple, semblent plus aptes à circuler sur plusieurs localisations, de par leurs petites tailles. Dans un autre registre, le Palais des Beaux-Arts de Lille • Inauguration : 06/03/1892• Superficie : 22 000 m² • Fréquentation : - 380 979 visiteurs en 2023 (+12 %)- 341 000 visiteurs en 2022 - 169 965 visiteurs en 2021- 106 005 visiteurs en 2020- 297 610… rend publiques les données exactes de l’empreinte carbone de ces expositions. Comme nous avons vu apparaître des données caloriques sur la nourriture, nous verrons sans doute apparaître des données appliquées à l’empreinte écologique des productions culturelles.
  • Au-delà de cet aspect matériel, il nous faut considérer que le carbone émis par les visiteurs qui se rendent dans nos expositions, et particulièrement quand ils viennent de loin, est dix fois supérieur à la production de l’exposition elle-même. Il semblerait donc que la soutenabilité dans le secteur culturel doit aussi passer par la manière dont nous repensons l’offre culturelle pour un public local. Nous avons appris cette leçon lors de la pandémie, mais les impacts sur nos programmations se font bien vite oublier sous la pression économique de nos systèmes, qui dépendent du tourisme national et international pour être eux-mêmes soutenables. Quant à la réflexion portant sur l’accès aux expositions et aux collections, en nous forçant à accéder à une forme de durabilité plus respectueuse de l’environnement, il nous faudra remettre en question l’optimisme qui est le nôtre vis-à-vis des instruments digitaux permettant des accès à distance et des expériences immatérielles soi-disant immersives.
  • La reconnaissance, certes opportuniste, de nos problèmes énergétiques par les principaux acteurs de la technologie sera peut-être l’opportunité d’un changement, par exemple vers un marché de la cryptomonnaie qui utiliserait des algorithmes plus verts. D’autant que nous avons pris conscience, ces derniers mois, que nos infrastructures ne sont pas prêtes ou, pire, pas capables de s’adapter aux effets du réchauffement climatique. Il nous faudra peut-être aussi être plus flexibles sur les conditions climatologiques que nous mettons en œuvre pour nos œuvres d’art. Cela compliquera certainement l’ajustement et la négociation des contrats de prêts dans un futur proche.

    Nous constatons un intérêt nouveau pour des projets architecturaux à moindre impact »

  • Les musées correspondent encore à la majorité des nouvelles infrastructures culturelles construites et nous constatons un intérêt nouveau pour des projets architecturaux à moindre impact. Bien que nous observions déjà une volonté des espaces culturels de maximiser leurs usages par les publics, il est encore nécessaire que nous développions des nouvelles applications technologiques et conditions d’usages pour ces espaces, afin aussi d’élargir les rôles qu’ils peuvent occuper dans le tissu urbain et communautaire.
  • Une autre forme d’écologie entre en jeu dans l’état actuel de nos musées. Il s’agit de savoir si la conscience écologique et éthique qui s’exprime dans de nombreuses expositions est en voie de pérennisation, une matérialité organique qui s’installe de plus en plus dans de nouvelles œuvres. Plus qu’allégorique, cette production artistique transcende la séparation entre la culture en général et la culture caractéristique de nos sociétés occidentales. La dernière Biennale de Venise, notamment, a œuvré à redéfinir les approches et oppositions binaires traditionnelles, comme entre l’humain et le non-humain. Les sujets en jeu dans l’écosystème culturel vont bien au-delà de l’observation d’une nature hybride et réanimée dans la production artistique.
  • On trouve souvent dans des œuvres récentes une rupture avec la logique capitaliste du marché de l’art. Le livre d’Anna Lowenhaupt Tsing, publié en 2015, « Le Champignon de la fin du monde : sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme », dessine des options valables, viables pour la décroissance. Cela impliquera que nous acceptions que la séparation entre l’art orienté vers le marché et celui qui ne l’est pas devienne d’autant plus clivante. Cette séparation ne pourra plus être réconciliée, y compris par les commissaires d’exposition les plus audacieux et charismatiques. Le format artistique et politique de la liberté d’expression entre également en jeu actuellement. Quand une œuvre se dit militante, à qui et pour qui parle-t-elle ? À qui s’adresse l’art ? À une communauté déjà convaincue ?

    Les musées peuvent-ils garder une neutralité et conserver leurs revendications économiques ? »

  • Éric de Chassey Membre du conseil d’administration @ Institut national du patrimoine (Inp) • Directeur général @ Institut national d‘histoire de l‘art (INHA)
    a écrit : « Il faut lutter contre l’illettrisme visuel ». À cela, il ajoute que, contrairement à ce que beaucoup peuvent penser, « la connaissance n’est pas opposée au plaisir, mais a plutôt tendance à l’augmenter, à le complexifier », raison pour laquelle il faut la promouvoir pour que ce plaisir ne soit pas réservé qu’à quelques-uns. Cela implique aussi de se demander si nos musées peuvent encore travailler avec la Russie et la Chine. Il ne s’agit pas seulement d’une question militaire, politique ou économique, mais d’un conflit revenant à : qui possède et qui peut s’exprimer sur quelle culture ? Tout à coup, nous nous demandons si les musées peuvent garder une neutralité et conserver leurs revendications économiques. Dans ces nouvelles circonstances, la transformation des musées est devenue nécessaire. Nous sommes en train de vivre une période d’anticipation dans laquelle les musées doivent nous aider plus que jamais à comprendre notre avenir.
  • Pour revenir à Bruno Latour qui considère qu’inventer consiste aussi à délimiter, l’une des inventions pourra-t-elle être le métavers Univers virtuel persistant, collectif, ouvert en permanence, où les individus/avatars peuvent interagir et explorer en temps réel grâce à des dispositifs de réalité virtuelle ou augmentée  ? On peut évoquer les galeries virtuelles, comme celle qui a été mise en œuvre récemment dans le jeu Fortnite, dans lesquelles tout le monde pourrait charger, sélectionner, juxtaposer ou commenter des œuvres provenant des plus grands musées mondiaux et réaliser ses propre accrochage pouvant être vus et partagés par des millions. Nous sommes maintenant conscients que les archives, dans leur taille et leur densité, sont devenues bien plus vastes que le monde de l’expérience directe ou physique. La raison d’être et la mission du musée ne consistent pas à construire et donner accès à une machine virtuellement illimitée, mais à toujours se rappeler et mettre en œuvre que les musées et les collections sont des biens communs. Contrairement aux NFT (Token non-fongible) Jeton numérique stocké sur une blockchain possédant des caractéristiques qui lui sont propres. Il est par nature unique et ne peut pas être remplacé par un autre. , nous ne pouvons pas réduire le bien commun à un langage propre à la propriété. Le bien commun exprime d’abord une relation qualitative. Ces qualités sont porteuses des ambitions culturelles de nos politiciens quand ils parlent de ce que le métavers pourrait être.

    Les musées sont plus populaires, mais aussi plus fragiles que jamais »

  • Il est important, aujourd’hui, que nous parlions moins de si une œuvre est bonne, mais de si elle est nécessaire, bonne pour nous. Il n’y a rien de mal à cela. Cela nous permet d’établir de nouveaux canons qui déstabilisent le statut des musées comme institutions occidentales de contrôle. Depuis quelques années, les canons sont perpétuellement revisités. Il semblerait qu’il n’y ait plus rien de fixe, c’est à ce genre de civilité que les musées doivent aspirer. Tout comme l’écologie, elle sera sans doute à une terre de conflits, le lieu d’une vraie révolution mentale. Comme cela avait été dit ici, en avril 2019, les musées sont plus populaires, mais aussi plus fragiles que jamais. Ils s’apparentent en cela à notre environnement.

Chris Dercon


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