BIS 2018 : « De nombreux artistes sont aujourd’hui obnubilés par l’action culturelle » (Céline Blanché)
« De nombreux artistes sont aujourd’hui obnubilés par l’action culturelle. À l’Usine, nous tentons donc de ramener ces artistes à leur fonction première : dire quelque chose sur le monde qui nous entoure. Et ce quand bien même le mode opératoire de la création nécessiterait, pour alimenter l’intention artistique, d’aller œuvrer sur un territoire et d’amener dans la création, la participation d’habitants », déclare Céline Blanché, directrice adjointe de l’Usine, Cnarep
Centre national des arts de la rue et de l’espace public
de Tournefeuille-Toulouse Métropole, lors de la table ronde « Processus de création et nouveaux rapports aux territoires » organisée par Artcena
Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre
à l’occasion des BIS
Biennales internationales du spectacle
à Nantes le 18/01/2018.
« Il y a encore 10 ou 15 ans, la création était la priorité, alors que ce qui relevait des politiques de démocratisation et d’action culturelle était secondaire. Je ne dis pas que ces jugements de valeur ont disparu totalement, mais il y a aujourd’hui une façon de penser les choses de manière beaucoup moins frontale », indique Cécile Duret-Masurel, responsable du pôle création et action culturelle et territoriale de la DRAC
Direction régionale des affaires culturelles
Pays de la Loire.
« S’il s’agit vraiment d’abolir, ne serait-ce que de manière symbolique, la séparation entre création et action culturelle, entre élaboration d’une œuvre et appropriation d’une œuvre, alors il faut que tout ce qui fait l’authenticité de la création ne se perde pas. Si l’on veut que cette évolution dans les rapports entre art et société se fasse vraiment au bénéfice de l’art et de la société, alors il faut vraiment que l’invention soit présente à tous les stades du processus de création. Il faut tenir compte des caractéristiques de chaque univers de création mais également des contraintes économiques, sociétales, politiques qui pèsent sur l’artiste. Il faut essayer de réintégrer l’exigence de l’artiste de maîtriser l’ensemble de sa démarche, dans la commande que peuvent lui formuler les collectivités. C’est une responsabilité des programmateurs mais aussi des pouvoirs publics », déclare pour sa part Emmanuel Wallon
, professeur de sociologie politique à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense.
News Tank rend compte des échanges.
« Les artistes ont fini par reconnaître l’importance qu’avait une connaissance de leur environnement pour nourrir leur propre création » (Emmanuel Wallon)
- Laëtitia Guédon
Directrice @ Les Plateaux Sauvages • Fondatrice @ Compagnie 0,10
• Formation à l’École du Studio d’Asnières en tant que comédienne, puis au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris… « Le mouvement de relation des artistes aux territoires est surtout une évolution due aux initiatives des acteurs du développement artistique et culturel : les artistes, les médiateurs et responsables de collectivités territoriales. Le phénomène n’est pas nouveau dans sa nature. Il est nouveau dans son ampleur. Depuis quelques années effectivement, on voit tomber un certain nombre de barrières qui pouvaient séparer les amateurs et les professionnels, les spécialistes de la médiation et les responsables de la création, les personnes vouées à une discipline particulière et d’autres investies dans un champ voisin. - La façon dont les implantations des compagnies et des ensembles musicaux se réalisent sur les territoires, la façon dont les liens se nouent avec des populations, évolue selon une variété de contrats déterminées par des bailleurs de fonds. Dans beaucoup de cas, les contours de l’action culturelle et des populations touchées dépendent des projets proposés par les artistes.
- Pour quelle raison les artistes se rendent volontiers plus disponibles que par le passé ? C’est un faisceau de motivations. On peut y voir un effet générationnel. Après que la génération du jeune théâtre, des pionniers des arts de la rue, du nouveau cirque et du renouveau des arts de la marionnette, a obtenu ses premières lettres de reconnaissance, les artistes ont commencé à réfléchir à leur mode de production, d’implantation et aux relations qu’ils pouvaient nouer avec une ville, un département ou une région. Beaucoup se sont rendus compte que passer de la diffusion à l’infusion était nécessaire pour sortir d’un modèle économique où une création doit se déployer pour un certain nombre de dates et disparaître inévitablement.
- Ce phénomène de génération va de pair avec une mutation idéologique. Pendant une bonne partie des années 1980, l’artiste a revendiqué son autonomie, a repoussé avec énergie toutes les demandes d’ordre social. L’artiste n’était pas là pour réduire les fractures sociales mais avait des propositions à faire dans l’univers de l’esprit. Ces attitudes se sont considérablement modifiées car beaucoup d’artistes ont fini par reconnaître l’importance qu’avait une connaissance de leur environnement pour nourrir leur propre création.
- Ces mutations vont aussi rencontrer une contrainte économique. Il y a en effet une démographie importante des compagnies. Ces professions désargentées accueillent et attirent une jeunesse qui a envie d’un mode de vie alternatif. Pour se tailler un chemin, il ne suffit pas d’arriver avec des propositions audacieuses sur le plan artistique. Il faut aussi être capable de convaincre un certain nombre d’interlocuteurs : producteurs, collectivités territoriales et représentants des DRAC. Cela passe par une disponibilité à l’égard des citoyens. De plus, l’action culturelle permet de compléter les cachets que l’on peut recevoir au nom des travaux de création en ce sens que le nombre d’heures autorisé pour la transmission est éligible pour obtenir les allocations chômage. Les artistes peuvent avoir envie de requalifier des actions de médiation en action de création. Ce petit calcul économique va aussi favoriser un décloisonnement des esprits et une ouverture vers des démarches plus inclusives et participatives.
- Les pouvoirs publics ont accompagné ces transformations et ont donné quelques signes d’impulsion. Mais jamais tous ces volets consacrés à l’action culturelle ou à l’éducation artistique n’auraient eu autant d’effets si les artistes n’étaient pas allé au devant des collectivités territoriales.
- S’il s’agit vraiment d’abolir, ne serait-ce que de manière symbolique, la séparation entre création et action culturelle, entre élaboration d’une œuvre et appropriation d’une œuvre, alors il faut que tout ce qui fait l’authenticité de la création ne se perde pas. Si on veut que cette évolution dans les rapports entre art et société se passe vraiment au bénéfice de l’art et de la société, alors il faut vraiment que l’invention soit présente à tous les stades du processus. Il faut tenir compte des caractéristiques de chaque univers de création mais également des contraintes économiques, sociétales, politiques qui pèsent sur les artistes. Il faut essayer de réintégrer l’exigence de l’artiste de maîtriser l’ensemble de sa démarche, dans la commande que peuvent lui formuler les collectivités. C’est une responsabilité des programmateurs mais aussi des pouvoirs publics. »
Emmanuel Wallon, professeur de sociologie politique à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense
« Les nouvelles pratiques culturelles des populations évoluent, s’autonomisent, se désinstitutionnalisent, revendiquent une part créative » (Frédéric Lafond)
- « Les contextes ont changé et modifient le rôle et la présence de l’artiste. Ces contextes ont des conséquences assez importantes sur l’objet même de la création.
- Pour définir une politique culturelle, il faut absolument qu’elle soit basée sur de la concertation, de la contribution, de la coproduction, de la participation, de l’appropriation…
- L’artiste est toujours positionné dans un questionnement sociétal, en refus, en dénonciation, ou en alerte. D’autres artistes, au contraire, se moquent tout à fait du contexte.
- Avoir une bienveillance sur le rôle de la création, montre que nous, DAC Direction des affaires culturelles , avons évolué et découvert ce qu’étaient les processus de création. Seulement notre problème est que nous sommes à la fois dans le temps court de l’élu et dans un temps long de stratégie de développement de société. Nous gérons aussi la nécessité de légitimer la dépense culturelle en essayant de la raccrocher à la réussite éducative, à l’attractivité des territoires ou alors à la cohésion sociale.
- Nous sommes souvent dans des contraintes financières importantes qui ne nous permettent pas d’agir sur l’ensemble des politiques publiques. D’où le fait de repositionner l’artiste comme un réparateur.
- La réforme territoriale impose des ensembles territoriaux qui sont pour le moment dans des phases d’harmonisation et de concertation rapides. On positionne les artistes et les institutions culturelles dans ce processus soit très coopératif, soit très concurrentiel.
- Les nouvelles pratiques culturelles des populations évoluent, s’autonomisent, se désinstitutionnalisent, revendiquent une part créative. L’artiste qui était expert de son art devient expert de données complexes. Les artistes doivent être de plus en plus capables de réflexivité et d’inventivité, de produire des œuvres en collectif et de rendre le spectateur acteur.
- L’EAC
Éducation artistique et culturelle
, qui positionne l’artiste comme partenaire de l’apprentissage, fait que l’artiste se trouve dans des positions institutionnelles. »
Frédéric Lafond, président de la Fnadac
« Les questions d’EAC nourrissent des attentes particulières par rapport aux artistes » (Cécile Duret-Masurel)
- « Les DRAC voient de plus en plus de projets qui mettent en avant la relation aux territoires. C’est une réponse à une évolution des politiques publiques culturelles
- La territorialisation des politiques culturelles se poursuit avec la dernière réforme territoriale. La naissance de nouvelles intercommunalités à taille assez importante a pour conséquence la mise en place de politiques culturelles considérées comme un moyen de donner de la cohérence à des nouveaux périmètres territoriaux. Une demande est formulée aux artistes d’être très proches de ces territoires.
- La place grandissante des politiques d’EAC symbolise la préoccupation d’un grand nombre de collectivités autour de ces questions. Ces questions d’EAC nourrissent des attentes particulières par rapport aux artistes. On rencontre de plus en plus d’artistes qui mettent ces questions d’EAC au cœur de leurs préoccupations. Il y a encore 10 ou 15 ans, la création était la priorité, alors que ce qui relevait des politiques de démocratisation et d’action culturelle était secondaire. Je ne dis pas que ces jugements de valeur ont disparu totalement, mais il y a aujourd’hui une façon de penser les choses de manière beaucoup moins frontale.
- Aujourd’hui, si l’on veut réussir à répondre aux évolutions, il faut essayer de moins scinder les aides à la création de celles à la transmission. Sinon nous risquons de tomber dans des réponses d’opportunisme qui peuvent trahir les intentions des porteurs de projets. Historiquement ces aides à la création et aux opérations de transmission étaient très scindées.
- La question du jeune public et de la création en direction du jeune public a pu ouvrir des brèches en montrant qu’un enjeu de création pouvait se situer dans le rapport à la jeunesse.
- Par rapport aux politiques d’aide à la création, les politiques d’EAC obligent plus à un partenariat entre les collectivités et les services de l’État. »
Cécile Duret-Masurel, responsable du pôle création et action culturelle et territoriale de la DRAC Pays de la Loire
« De nombreux artistes sont aujourd’hui obnubilés par l’action culturelle » (Céline Blanché)
- « À l’Usine, nous avons développé ce que nous appelons “l’infusion”. L’infusion est une action sur le territoire qui vient en complément de la diffusion. La diffusion est et reste toujours importante. Elle vient créer la rencontre auprès de populations qui vivent et font le territoire. L’infusion est un processus plus long.
- L’Usine est un lieu de création partagée qui existe depuis une trentaine d’années. Ce lieu, avant de devenir Cnarep il y a deux ans, est originellement un lieu de création. Jamais nous n’aurions développé l’infusion si ce lieu n’était pas un lieu de création. Nous n’aurions pas été amenés à nous poser la question de l’infusion comme prolongement du geste créatif. Par ailleurs, le fait que L’Usine soit le premier “équipement culturel finalisé d’intérêt communautaire” nous a donné envie d’étendre la question de la création à l’échelle des 37 communes de la métropole toulousaine.
- Nous sommes sollicités par de nombreuses compagnies qui s’intéressent à la question de l’espace public. Bon nombre de ces compagnies viennent avec un projet culturel et pas artistique, et nous parlent de mode opératoire pour parler de leur création. Nous sommes toujours surpris d’amener ces compagnies à revenir à la question artistique.
- De nombreux artistes sont aujourd’hui obnubilés par l’action culturelle. À l’Usine, nous tentons donc de ramener ces artistes à leur fonction première : dire quelque chose sur le monde qui nous entoure. Et ce quand bien même le mode opératoire de la création nécessiterait, pour alimenter l’intention artistique, d’aller œuvrer sur un territoire et d’amener dans la création, la participation d’habitants.
- Dans notre dynamique d’infusion, nous gardons à l’esprit de proposer à des artistes d’investir un territoire en lien avec des personnes qui vivent et font ce territoire. D’investir et de prendre ce territoire comme une matière qui va alimenter une création in situ.
- Nous laissons carte blanche aux artistes de choisir le mode opératoire qui conviendra le mieux à l’expression artistique qu’ils veulent développer. Malgré tout, nous proposons à la compagnie d’œuvrer autour d’une thématique. Cette thématique est toujours très large afin que chaque artiste puisse s’en emparer à sa guise. Nous donnons une sorte de cahier des charges à ces artistes : œuvrer et expérimenter artistiquement avec les caractéristiques du territoire de la métropole toulousaine qui compte 37 communes. Durant ce temps d’infusion, qui peut varier d’une à deux années, on ne parvient pas forcément à investir ces 37 communes. Nous laissons le choix aux artistes de repérer les lieux et populations du territoire avec qui ils travailleront. Nous souhaitons inviter les artistes à aller créer une œuvre avec les personnes dans ce qu’elles sont véritablement. »
Céline Blanché, directrice adjointe de l’Usine, Cnarep de Tournefeuille-Toulouse Métropole
« Pour Les Plateaux Sauvages, j’avais ce rêve un peu utopique d’avoir un lieu qui mélange processus de création et transmission artistique » (Laëtitia Guédon)
- « Aux Plateaux Sauvages, nous essayons de faire travailler les artistes sur la transmission artistique et sur leur propre création. La porosité entre transmission artistique et geste artistique peut avoir lieu en ayant conscience qu’une séparation est également possible.
- J’ai eu la chance de pouvoir inventer un lieu de A à Z. Ce lieu regroupe deux bâtiments : un ancien théâtre et un ancien centre d’animation. C’est un projet que j’ai imaginé en me souvenant des carences que j’avais pu connaître en tant que compagnie émergente. À Paris, la question de la diffusion des compagnies émergentes est davantage prise en charge que celle de l’accompagnement de ses compagnies dans leur processus de création. Pour les Plateaux Sauvages, j’avais ce rêve un peu utopique d’avoir un lieu qui mélange processus de création et transmission artistique. Nous invitons donc les artistes en résidence à partager leur processus de création avec des populations sur un temps qui n’est pas celui de la création.
- Aujourd’hui on demande aux artistes d’aller sur les territoires et de partager leur processus. Les artistes le font depuis longtemps.
- Je suis artiste associée à la Comédie de Caen, CDN. Je suis arrivée avec un projet de territoire et pas artistique. J’ai passé un an sur le territoire à partager mon processus de création. La conséquence a été que beaucoup de monde voulait venir voir le spectacle, ce qui a obligé à rajouter des dates.
- Aux Plateaux Sauvages on ne parle pas d’action culturelle mais de transmission artistique. La dénomination d’action culturelle me pose question. Cette notion induit que nous, les artistes, allons éduquer les masses populaires. »
Laëtitia Guédon, directrice des Plateaux Sauvages
ARTCENA - Centre national des arts du cirque, de la rue et du théâtre
• Centre national de ressources dédié aux arts du cirque, de la rue et du théâtre
• Issu de la fusion du CnT et de HorsLesMurs le 20/06/2016
• Fusion-absorption du Centre des ressources internationales de la scène (qui édite entre autres le site theatre-contemporain.net) effective au 01/01/2024.
• Missions :
- partage des connaissances, grâce à la création d’une plateforme numérique de référence,
- accompagnement professionnel, grâce à l’apport de conseils et de formations,
- soutien au rayonnement des arts du cirque, de la rue et du théâtre,
- soutien aux auteurs par l’attribution de l’aide nationale à la création de textes dramatiques, des Grands Prix de littérature dramatique et littérature dramatique jeunesse, ainsi que de soutiens financiers dans le cadre de dispositifs dédiés (Auteurs en tandem, Écrire pour le cirque…) en partenariat avec d’autres structures.
• Présidente : Nicole Da Costa
• Directrice générale : Gwénola David
• Contact : Camille Guillé, responsable du service communication et relations publiques
• Tél. : 01 55 28 10 04
Catégorie : Groupement professionnel
Adresse du siège
68 rue de la Folie Méricourt75011 Paris France
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Fiche n° 138, créée le 27/09/2013 à 13:23 - MàJ le 20/11/2024 à 09:43